L’auteur invité est Bernard Élie, économiste, professeur associé de l’UQAM
La Finance mondialisée est maîtresse du jeu devant des gouvernements incapables d’avoir une vision globale et concertée. Elle nous a menés à une crise financière dévastatrice, puis à une récession profonde. Maintenant elle se permet de sanctionner les gouvernements trop endettés, en grande partie par la faute du secteur financier, et ces derniers font payer la note à leurs citoyens. Comme un chat, la Finance retombe toujours sur ses pattes et n’est jamais pénalisée pour les catastrophes qu’elle a causées. Au contraire, la Finance va bénéficier de transferts colossaux de richesse, véritables hold-up de 2007 à 2010.
Le premier hold-up
La crise des hypothèques à hauts risques (les « subprime ») débuta en février 2007. Les défauts de paiements sur ces crédits hypothécaires se multiplièrent aux États-Unis et provoquèrent les premières faillites d’établissements bancaires spécialisés. En juin de la même année, la banque d’investissement Bear Stearns, qui annonçait la faillite de deux fonds spéculatifs, sera la première grande banque à subir les dommages de la crise du « subprime ». Le 16 mars 2008, la JP Morgan Chase la racheta pour une bouchée de pain avec l’aide du gouvernement Américain. Il fallait sauvegarder les circuits du crédit, moteur du capitalisme. L’administration Bush va engager les ressources des contribuables et de la Réserve fédérale (la Fed) pour sauver le système financier américain : en septembre 2008, le Trésor américain esquisse les premiers éléments d’un plan de $700 milliards, baptisé TARP (Troubled Asset Relief Program), qui visait à retirer les actifs douteux du bilan des banques. Le taux directeur de la Fed va atteindre un plancher historique. Les établissements financiers pourront se procurer des liquidités à des taux d’intérêt quasi nul et, espérait-on, recommencer à prêter aux entreprises et aux particuliers.
Les autres pays industrialisés vont également adopter des plans de sauvetage semblables de leur système financier. Les États vont alors s’endetter pour ces opérations. Les autorités publiques vont payer pour les dérives cupides et spéculatives de la Finance privée. La Finance réalise son premier hold-up. Les établissements financiers ont empoché et se font renflouer par l’État : c’est la socialisation des pertes.
Le resserrement du crédit aux entreprises et aux particuliers qui vont suivre entraînera la plus sérieuse récession depuis la crise des années 1930. La mise en place par les gouvernements des plans de relance va accroître les déficits budgétaires et les dettes publiques.
Les ressources publiques consacrées au sauvetage du système financier et aux plans de relance de l’économie sont colossales – près de 5% du PIB mondial pour 2008-2009. Des milliers de milliards de dollars, plus de 3 000 milliards.
Le deuxième hold-up
Les titres de mauvaise qualité vendus à travers la planète, faussement évalués par les agences de notation plus que complaisantes, vont faire fondre les épargnes du public par la dévalorisation des actifs des banques, des fonds de pensions et des autres portefeuilles. Au Québec, les 40 milliards de pertes de la Caisse de dépôt et de placement sont encore bien présentes dans nos mémoires. Sans oublier la dévalorisation des investissements des particuliers. Ces sommes confisquées par le secteur financier représentent le deuxième hold-up. Encore des pertes de milliers de milliards de dollars.
Le troisième hold-up
Non satisfaits d’avoir été renfloués par les autorités publiques et d’avoir vendu des titres sans valeur au public, les établissements financiers n’en resteront pas là. Jugeant sans doute trop faibles les rendements sur les dettes publiques, ils ont voulu augmenter les taux d’intérêt demandés en décidant que certaines dettes étaient trop élevées. Rappelons que les dettes des gouvernements ont augmenté par la gouvernance irresponsable des établissements financiers source de la récession que nous connaissons encore. Le recours par les gouvernements à l’endettement était d’autant plus facile que les taux d’intérêt étaient très bas, justement pour relancer le crédit arrêté par la crise financière. La Grèce fut la première victime. D’autres viendront : l’Espagne, le Portugal, l’Italie, l’Irlande et, pourquoi pas, les États-Unis et le Japon, les deux pays les plus endettés de la planète. La décision de Standard & Poor’s, le 27 avril dernier, de réduire la note de la dette grecque de BBB+ à BB+ (de placement de qualité moyenne à investissement spéculatif) a propulsé l’intérêt sur la dette à dix ans de ce pays à 12,5%.
Les agences de notation financière sont le bras séculier des établissements financiers. La ponction sur les revenus des Grecs est une bonne affaire pour les financiers. Certes, les Grecs ont certaines réformes à faire, mais pas aux seuls profits de la sphère financière.
Les agences de notation financière, au service du capital financier, permettent à ce dernier de réaliser son troisième hold-up. Mais ces agences ont-elles la crédibilité qu’on leur donne ? L’échec de leur notation financière qui a conduit à la crise des « subprime » devrait nous faire douter de leur compétence et de leur probité à évaluer aujourd’hui le risque des dettes souveraines. En effet, à cette époque, les agences de notation en accordant des notes AAA à des produits très complexes (la note de sécurité maximale chez Standard & Poor’s) – les CDO ou Collateralised Debt Obligations, dont les PCAA (les Papiers Commerciaux Adossés à des Actifs) – ont perdu toute crédibilité. Les agences de notation n’ont pas seulement induit en erreur les investisseurs qui ont acquis ces produits, elles ont aussi provoqué des pertes considérables.
À l’origine, ces agences étaient au service des investisseurs. Ces derniers demandaient, contre rémunération, à ces spécialistes de l’évaluation financière d’indiquer le niveau des risques encourus des titres sur les marchés. Les investisseurs pouvaient ainsi orienter leurs placements en fonction de leur niveau d’aversion aux risques. Mais depuis plus de 30 ans, les agences de notation se sont mises au service des émetteurs de titres. Ces derniers souhaitent que les produits financiers qu’ils offrent aux investisseurs soient notés le mieux possible. La transparence est devenue de plus en plus obscure. En étant payées par les émetteurs de titres, les agences perdaient leur objectivité et leur crédibilité. Pour ne pas perdre un client, les agences sont devenus très complaisantes, concurrence oblige. Revoir le rôle des agences de notation financière doit être au cœur de toute réforme des pratiques financières.
Le quatrième hold-up
Pour se soumettre aux exigences de rigueur des « marchés financiers », les gouvernements vont se lancer dans des coupures et des réductions de programmes draconiennes. L’objectif étant de réduire les déficits budgétaires et rembourser les dettes publiques. Dans un contexte de faible reprise économique, cette rigueur fera de nombreuses victimes sur l’autel de la Finance.
Tous les gouvernements occidentaux ont adopté cette voie d’austérité. La Grèce, mais aussi l’Espagne, l’Italie, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et le Québec y sont bien engagés. Rétablir les finances publiques par la réduction des dépenses et l’augmentation des taxes et des tarifs (le principe de l’utilisateur payeur) sont les mots d’ordre. Cependant, il ne faudrait surtout pas réaliser le retour à l’équilibre par des augmentations des impôts sur les revenus des particuliers et des entreprises. Le cas de la Californie représente bien les conséquences de ces politiques de rigueur dont Stephen Harper s’est fait l’apôtre pour le prochain G8-G20. Privé de recettes fiscales suffisantes, l’État d’Arnold Schwarzenegger doit encore une fois se serrer la ceinture pour réduire son déficit de plus de 19 milliards. Les budgets sociaux, déjà bien malmenés, seront encore amoindris.
Le prochain front sera celui des régimes de retraites. Déjà dans le secteur privé, les régimes à cotisation déterminée remplacent de plus en plus les régimes à prestation déterminée. Les régimes à cotisation déterminée permettent de reporter les risques des placements aux cotisants : les revenus de retraites varieront en fonction des rendements obtenus. Des mauvais placements donneront de mauvaises prestations de retraite. Dans les régimes à prestation déterminée les risques sont à la charge de l’employeur. En cas de déficit de la caisse de retraite, l’employeur doit combler le déficit, les travailleurs sont assurés d’obtenir la prestation prévue.
Dans deux semaines, le G20 va-t-il à établir des règles pour réguler la Finance mondialisée ? Des règles préventives, en amont, qui devront prévenir d’autres crises financières. La taxe sur les banques, déjà abandonnée comme mesure universelle, n’était qu’une mesure en aval.
Les chefs d’État du G20 vont-ils écouter Mark Carney, Gouverneur de la Banque du Canada, qui concluait dans une conférence : « En conclusion, je dirai que le système financier, après s’être autoproclamé centre de l’activité économique, doit graduellement reprendre son rôle de serviteur de l’économie réelle ».
À bientôt, si vous le voulez bien.
On peut lire le présent texte, avec les notes de bas de page, sur le site d’Économie Autrement
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