Les auteurs invités sont Denis Bourque et René Lachapelle
L’automne dernier, j’avais ouvert un débat avec un article dans mon carnet : Organisation communautaire en CLSC et associations citoyennes : un avenir incertain. Ce qui m’a valu une réponse étoffée de René Lachapelle qui préparait avec Denis Bourque un ouvrage sur la question, « L’organisation communautaire en CSS ». L’ouvrage, qui vient de sortir, vaut le détour parce qu’il nous permet de saisir les transformations en cours chez des professionnels de l’organisation communautaire en CLSC devenus des professionnels d’un service public qui s’est mué en CSSS. On lira ici des extraits qui donneront un aperçu de cet ouvrage fort bien documenté et appuyé de recherches qui se mènent à la Chaire de recherche du Canada en organisation communautaire à l’UQO (Louis Favreau).
Au Québec dans les années 1970, l’introduction de l’organisation communautaire dans les CLSC a constitué une innovation : soutenir l’action citoyenne comme stratégie de santé et bien-être. Comeau et St-Onge parlent de création des CSSS comme d’un marqueur historique qui détermine la fin d’une époque pour l’organisation communautaire. Si cela représente la fin d’une époque, ce n’est certainement pas la fin de la tension permanente qui caractérise l’organisation communautaire dans les services publics, particulièrement dans le réseau de la santé et des services sociaux. Depuis qu’elle existe, l’organisation communautaire est au croisement de logiques et de courants qui s’opposent : contribuer au renforcement de la société civile tout en s’inscrivant dans une institution étatique relevant de la nouvelle gestion publique privilégiant les partenariats public-privé (PPP) et la privatisation ; favoriser la participation citoyenne tout en composant avec des programmes publics et privés cherchant à instrumentaliser les communautés ; agir sur les déterminants sociaux de la santé et les causes des problèmes sociaux alors que l’action publique ne vise qu’à en gérer les conséquences. L’organisation communautaire est une pratique qui a appris à composer avec les paradoxes et à se situer à l’interface des logiques ascendante en provenance de la société civile et descendante en provenance des pouvoirs publics et privés, dans la recherche constante d’innovations ou d’arrangements favorables aux communautés.
Depuis la création des CSSS, l’organisation communautaire traverse une nouvelle période de turbulence qui offre à la fois des contraintes et des opportunités de faire reconnaître sa contribution à la démocratie. Dans le réseau de services publics d’abord où les impératifs de gestion ont jusqu’à maintenant entraîné un recul important de la capacité d’agir des citoyennes et citoyens, notamment par la disparition des conseils d’administration élus et par l’imposition de programmes-cadres qui rigidifient les rapports avec les communautés locales. Mais aussi dans les collectivités où les mêmes obsessions gestionnaires que les décennies de néolibéralisme ont légitimées, menacent la participation citoyenne au développement de leurs communautés. En même temps, l’Organisation mondiale de la santé affirme que l’action politique est incontournable pour réduire les inégalités sociales de santé en une génération et la préoccupation de la participation traverse les organisations citoyennes, qu’elles soient communautaires ou axées sur la démocratie représentative.
La période de crise des modèles de développement fait en sorte que les mouvements sociaux avancent actuellement en rangs dispersés. Avec la fin des politiques sociales progressistes et la crise profonde qui ébranle les économies capitalistes, la question du changement social revient à l’ordre du jour. Les partis politiques en place ne font guère preuve de leur capacité à la porter, mais des lieux de réflexion s’organisent. La démarche pour renouveler la social-démocratie québécoise en est un exemple.
Dans l’histoire de l’organisation communautaire en CLSC, ce type de débat a souvent été facteur de division. La disparition du Regroupement des organisateurs communautaires du Québec au profit du Collectif québécois de conscientisation en 1983, sur un fond de débat auquel fait écho un numéro de 1985 de la revue Service social en est une illustration. Le RQIIAC s’est plutôt campé dans une position de convergence de diverses propositions de changement social. Un peu à la manière des forums sociaux où l’on trouve plusieurs points de vue sur « un autre monde possible », il se présente comme un espace de débat plutôt que porteur d’une approche unique d’intervention ou d’un projet de société défini. Cela lui vaut parfois le reproche de ne pas prendre position, mais l’action à la base demeure un lieu d’innovation pour le changement et le RQIIAC a participé activement à la mobilisation du Collectif pour un Québec sans pauvreté. L’action politique est un type d’intervention reconnu en organisation communautaire dans le cadre de référence du RQIIAC, mais aussi dans le cadre normatif du MSSS. À ce titre, les OC des CSSS sont en première ligne pour relever le défi de faire autrement, avec des associations communautaires comme dans les initiatives locales de revitalisation et de développement des communautés.
Cette action a toutefois besoin que les mouvements sociaux soient porteurs de propositions de changement social qui provoquent la convergence des enjeux collectifs. La période que nous traversons est effervescente sur les fronts sociaux, économiques et environnementaux. Mais le développement durable relève encore du discours plus que de l’action. La jonction entre la lutte contre les inégalités sociales et de santé, le développement économique axé sur le bien-être des populations et le respect de l’environnement manque d’un cadre et surtout d’une force politique pour s’inscrire dans un projet collectif mobilisateur. La contribution des mouvements sociaux (syndical, coopératif, associatif, féministe, environnementaliste, etc.) et des organisations politiques est essentielle pour que les initiatives ne s’organisent plus en rangs dispersés et que l’action politique de type communautaire s’inscrive dans un projet de société.
La nouvelle génération des organisatrices et des organisateurs communautaires (OC) est donc soumise à des contraintes importantes, mais elle dispose aussi d’un héritage qu’elle est en train d’ajuster à la nouvelle conjoncture dans laquelle elle se déploie. Elle n’a ni la responsabilité ni les moyens, à elle seule, de faire un virage démocratique au Québec, mais elle peut y apporter une contribution significative.
Dans les CSSS d’abord où elle doit faire reconnaître sa contribution pour ce qu’elle est. Les cadres de référence locaux aussi bien que la mise en place des coordinations professionnelles en organisation communautaire constituent, de ce point de vue, des initiatives permettant d’établir les mécanismes de communication essentiels pour la crédibilité et l’efficacité de l’organisation communautaire. Elle peut mettre à profit les acquis de la communauté de pratiques du RQIIAC et le corpus de connaissances scientifiques sur l’organisation communautaire au Québec développé dans les milieux de recherche et d’enseignement. Sur ces bases communes, les cadres de référence locaux permettent de camper et de débattre avec les gestionnaires une analyse des enjeux communautaires locaux, de choisir des modèles de pratique et de définir une offre de services qui assure la pertinence et la légitimité institutionnelle des interventions. L’organisation communautaire est une pratique habituée à être questionnée et qui évolue parce que les OC prennent les moyens d’en affirmer la pertinence. Le nouveau contexte devrait donc stimuler les OC à faire leur place dans les CSSS.
Au niveau de la société québécoise, les mouvements sociaux doivent demeurer l’ancrage dans lequel s’inscrivent les pratiques d’organisation communautaire du secteur public. Ce ne sera plus comme aux premières heures des CLSC où la syndicalisation fournissait une jonction directe et le mouvement populaire, des alliances stimulantes. Pratique frontière entre les services publics et les mouvements sociaux, l’organisation communautaire peut contribuer à ce que l’action citoyenne prenne toute sa portée comme stratégie de santé et bien-être, mais aussi comme avenue de renouvellement et d’élargissement de la démocratie en misant sur des acquis que les politiques conservatrices n’ont pas réussi à balayer.
Les enjeux de la participation sont au cœur des perspectives de l’organisation communautaire au Québec, dans les CSSS mais aussi dans les organismes communautaires et les instances locales de développement. Ces enjeux concernent les trois formes de participation : 1- sociale qui fait référence aux formes d’engagement dans des mouvements pour modifier les normes et les structures sociales au plan sociétal et à celui des communautés locales ; 2- démocratique qui désigne l’adhésion aux débats sur les enjeux collectifs (sociaux, économiques, de santé, environnementaux, etc.) dans l’espace public ; et 3- politique qui signifie l’exercice du pouvoir direct ou indirect visant à agir sur les décisions publiques.
Il n’y a pas de développement durable sans participation et surtout sans une appropriation citoyenne des enjeux. Les impasses actuelles de la social-démocratie québécoise sont toutes marquées par la négligence à l’égard de la participation citoyenne. La recherche de l’intérêt général doit donner du souffle à l’action quotidienne et faire en sorte que les OC ne succombent pas à la lourdeur des institutions avec lesquelles ils doivent intervenir et composer. Ils ont le défi de faire reconnaître ces enjeux de démocratie notamment à leurs partenaires de la santé publique. L’expertise québécoise mérite d’être inscrite au registre des meilleures pratiques et il y a tout à gagner pour la santé publique comme pour les communautés dans lesquelles elle souhaite intervenir à le reconnaître. L’organisation communautaire en CSSS n’est pas une technique de mobilisation, mais une expertise de citoyenneté.
On peut lire le texte complet (avec des références bibliographiques) sur le blogue de Louis Favreau
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