L’auteur invité est Normand Mousseau, professeur de physique à l’Université de Montréal et auteur de « L’Avenir du Québec passe par l’indépendance énergétique » (éditions MultiMondes, 2009)
Le Québec dispose d’immenses ressources énergétiques — hydrauliques, bien sûr, mais aussi éoliennes et, on le sait depuis quelque temps, gazières. Alors que le reste de la planète cherche un moyen de remplacer ses centrales au charbon et au mazout par de l’énergie propre, nous sommes une des rares nations à disposer d’un surplus important d’énergies vertes.
En utilisant ces ressources stratégiquement, il serait possible d’en faire un des principaux leviers de développement économique du Québec du XXIe siècle. Pour y parvenir, il est nécessaire de mettre en place une politique énergétique cohérente et ambitieuse évitant les lieux communs et les fausses évidences pour cibler plutôt les actions concrètes et constructives.
Ainsi, les pressions se multiplient pour la hausse des tarifs d’électricité au Québec. Cette hausse, dit-on, permettrait d’économiser l’énergie que l’on gaspille allègrement, libérant une marge suffisante pour établir des ententes lucratives à long terme avec nos voisins. Cet argument, pourtant, ne tient pas la route. Tout d’abord, les citoyens ne sont pas les gaspilleurs qu’on raconte. La consommation énergétique du secteur résidentiel depuis 1980 est restée stable à environ 7,5 millions de tonnes équivalentes de pétrole, alors que seulement depuis 10 ans, le nombre de logements a augmenté de 13 %. Au cours de ces mêmes 30 années, le secteur commercial a vu sa consommation énergétique augmenter de 60 %!
Un pactole, vraiment?
La nécessité de libérer de l’électricité pour la vendre à l’étranger ne tient pas non plus. L’an dernier, Hydro-Québec n’a pas pu vendre tous ses surplus, faute de clients. Pour le moment, notre société d’État a plutôt intérêt à ce que les Québécois consomment autant que possible! De plus, si la vente de l’électricité sur le marché «spot» s’avère particulièrement rentable, les ententes à long terme sont loin de représenter le pactole que l’on nous fait souvent miroiter.
Ainsi, Jean-Thomas Bernard, de l’Université Laval, a calculé que l’entente de 26 ans signée avec le Vermont concerne un tarif de seulement 4,5 cents le kilowattheure (kWh). C’est un peu plus élevé que le tarif du bloc patrimonial, mais nettement en dessous ce que coûte la construction du complexe de la Romaine, qu’on évalue à environ 10 ¢/kWh. Or, selon Hydro-Québec, l’électricité produite à partir de ce complexe sera dédiée avant tout aux exportations.
Même chose du côté du Nouveau-Brunswick, où Hydro devrait vendre son électricité à 7,35 ¢/kWh tout en épongeant une dette de 3,2 milliards appartenant à Énergie NB en échange des actifs de production, dont des centrales thermiques qui devront être fermées à moyen terme. Le tarif en vigueur, en comptant cette dette, est donc nettement moins favorable qu’il ne le paraît au premier abord et implique, encore une fois, que les coûts des nouvelles infrastructures de production d’électricité destinées à l’exportation dépassent largement les tarifs qu’il est possible d’obtenir avec des contrats à long terme.
Gaz naturel
On peut d’ailleurs se demander pourquoi Hydro-Québec signe des contrats à long terme alors que la demande pour l’électricité dans le nord-est de l’Amérique du Nord a atteint un creux avec la crise économique qui sévit depuis l’automne 2008, faisant chuter les prix de l’énergie. Pour le savoir, il faudrait que le public ait accès à ces contrats. Or, notre société d’État refuse de dévoiler ses contrats et sa stratégie à long terme, sous prétexte qu’il s’agit de secrets industriels. Aujourd’hui, il est plus facile de connaître les coûts et les stratégies de Suncor, géante des sables bitumineux, que d’Hydro-Québec. Voilà qui n’est pas banal, surtout dans une démocratie.
Les ressources énergétiques du Québec ne se limitent pas à l’électricité. Le secteur du gaz naturel subit des bouleversements majeurs en Amérique du Nord avec le développement de nouvelles technologies permettant d’exploiter à prix compétitifs les schistes gaziers qu’on retrouve dans de nombreuses régions du continent, dont au Québec. Désirant se positionner rapidement dans le secteur, le gouvernement de Jean Charest a multiplié les encouragements auprès de l’industrie gazière et pétrolifère malgré les risques environnementaux possiblement importants associés avec l’exploitation de ces gisements.
Déjà, plusieurs compagnies ont commencé à exploiter, à petite échelle pour le moment, les schistes gaziers du Bas-Saint-Laurent, avant même la mise en place d’une politique environnementale dédiée à cette nouvelle industrie. Sans débat, le gouvernement a également accordé un congé de redevances de cinq ans sur ces exploitations. Or, comme le pic de production d’un puits gazier est de quelques mois au maximum, cela veut dire que les redevances ne seront payées que sur la portion congrue de la production totale de chaque puits. Dans un contexte nord-américain où États et provinces rivalisent pour s’établir comme la nouvelle « Alberta du gaz naturel », cette situation risque de perdurer : afin d’attirer et de conserver l’industrie gazière, les gouvernements et les citoyens devront se contenter de très peu.
À la lumière de ces éléments, on doit conclure que la politique énergétique québécoise actuelle est loin de représenter le levier économique qu’on a fait miroiter à la population. Le gaz naturel et l’électricité étant bradés à l’étranger, il semble que la seule avenue restante pour profiter de la manne énergétique soit de se taxer soi-même. Ne peut-on vraiment pas faire mieux ?
On peut lire ce texte sur le site Internet du journal Le Devoir
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