L’auteur invité est Nancy Neamtan, présidente – directrice générale du Chantier de l’économie sociale
La scène politique québécoise est actuellement secouée par de grands vents ! Le cumul des scandales, réels ou appréhendés, frappe fort. Le désaveu de la population envers la classe politique n’a jamais été aussi élevé ; au point de soulever des inquiétudes sur l’avenir de notre système démocratique.
Et que dire des économistes qui conseillent nos élus ? Ces mêmes économistes qui n’ont de cesse de brandir sur toutes les tribunes la menace d’une dangereuse dérive si nous ne coupons pas dans les services publics et ne faisons pas davantage de place au secteur privé. À quand le même fort désaveu face à ces économistes qui crient à l’immobilisme chaque fois que les citoyens refusent de se faire imposer des projets ayant des conséquences néfastes sur les milieux de vie ? D’ailleurs, il me semble que lorsqu’on se dirige à toute vitesse vers un mur, un peu d’immobilisme ne peut être que bénéfique !
Faut-il rappeler, encore une fois, que non seulement ces grands économistes n’ont pas vu venir la dernière crise financière et économique mais, une fois la crise venue, ils ont vite oublié leur obsession de réduction du rôle de l’État pour aussitôt saluer les interventions massives en faveur des grandes entreprises privées. Aujourd’hui, alors qu’une reprise économique s’amorce, ils reprennent leurs vieux discours axés sur la croissance sans conditions, la confiance aveugle dans le libre marché et la nécessité de sabrer dans le rôle de l’État. Et, d’autant plus inquiétant pour l’avenir, aucun de ces économistes « orthodoxes » ne propose de nouvelles solutions pour éviter la répétition de ces cycles ponctués de crises et de reprises, faisant plutôt valoir que c’est tout à fait dans l’ordre des choses de l’économie de marché.
Pourtant, des alternatives économiques existent bel et bien ! Elles émanent de partout et elles sont appuyées de plus en plus par des économistes de renom. En 2009, le Prix Nobel de l’économie a été décerné pour la première fois à une femme, Elinor Orstrom. Cette économiste américaine, qui a travaillé sur la propriété et la gestion collectives qui constituent le bien commun, a démontré l’efficacité de cette forme spécifique de propriété et de gouvernance qui place les décisions collectives des communautés au centre du jeu socioéconomique. Bien que ses recherches aient été concentrées en premier lieu sur la gestion des ressources naturelles, démontrant que par des formes de propriétés collectives et démocratiques les communautés concernées réussissent à maintenir, préserver et renouveler les ressources, sa théorie peut s’appliquer a tous les secteurs.
Si le Prix Nobel de 2009 donne une plus grande visibilité à cette prise en charge citoyenne des activités économiques, la réalité sur le terrain foisonne d’exemples d’initiatives collectives qui prennent de plus en plus de place au sein de l’économie québécoise et ailleurs. L’essor de l’économie sociale, identifiée récemment dans la revue Urba de l’Union des municipalités comme « La force tranquille » du développement des collectivités, se poursuit et s’étend à des secteurs de plus en plus diversifiés. Ailleurs sur la planète, notamment en Amérique latine, l’économie sociale et solidaire est un axe stratégique pour le développement économique dans plusieurs pays.
Malheureusement, force est de constater que le ministre Bachand n’a pas pris le temps de lire les travaux de la lauréate du Prix Nobel. Au contraire, le récent Budget Bachand vient confirmer une tendance que nous craignions : la remise en question de fragiles acquis en faveur des entreprises collectives au Québec. Entre autres choses, ce budget consacre le refus systématique du gouvernement de revoir le cadre financier des entreprises en aide domestique, modèle inspirant d’une prise en charge collective de nos responsabilités envers nos aînés ; il confirme la décision de ne pas respecter l’engagement pris a l’effet de compléter les 15 000 places manquantes dans le réseau des CPE, contrôlés par les parents ; il révèle la valse-hésitation gouvernementale face aux projets communautaires dans le domaine de l’énergie éolienne ; sans oublier la dérive temporaire – maintenant corrigée en partie – à l’effet d’empêcher les municipalités de conclure des ententes de gré à gré avec les entreprises d’économie sociale en gestion de matières résiduelles. Ce sont là autant d’exemples d’un refus de reconnaître ce pourquoi la lauréate du dernier Prix Nobel d’économie a été récompensée, à savoir la confirmation de l’avantage indéniable de cette action collective au coeur de l’économie.
De toute évidence, le message n’a pas encore passé. Parfois, on a l’impression d’être encore prisonnier de la vision de Margaret Thatcher, qui déclarait, pour défendre ses politiques néolibérales : « There is no alternative ». Heureusement, de plus en plus d’économistes québécois, regroupés, entre autres, dans des collectifs tels l’IRIS, Économie autrement et des Éditions Vie Économique, ont décidé de prendre la parole pour proposer d’autres analyses économiques et d’autres stratégies de développement axées sur un véritable développement durable. Le Chantier de l’économie sociale se réjouit de ces initiatives et espère qu’un véritable débat pluriel puisse avoir lieu sur l’avenir de notre économie.
On trouve ce texte dans le bulletin Momentum sur le site du Chantier de l’économie sociale
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