L’auteur invité est Violaine Ouellette, de l’Association québécoise des CPE
En 1997, la société québécoise a fait le choix de privilégier le développement d’un réseau d’entreprises d’économie sociale sans but lucratif – les CPE – pour offrir des services de garde éducatifs de qualité aux jeunes enfants. En 2003, après quelques années de développement intensif et fidèle à cette orientation, les centres de la petite enfance (CPE), qui à l’époque intégraient pleinement la garde en milieu familial, offraient 84 % des places en services de garde éducatifs au Québec.
Aujourd’hui, cette prédominance du modèle d’économie sociale, sans but lucratif, s’effrite dramatiquement :
• Les CPE offrent maintenant 34 % des places en services de garde éducatifs ;
• Les responsables de services de garde en milieu familial, devenues elles-mêmes des prestataires de services gérant leur propre entreprise, représentent 39 % des places ;
• Et le secteur commercial à but lucratif s’est accaparé plus de 26 % du marché, dont une partie n’est pas règlementée ni contrôlée.
Ce constat est d’autant plus inquiétant que le nombre de familles ayant besoin de services de garde est en nette augmentation, principalement en raison de la hausse marquée des naissances au cours des dernières années. De plus en plus, les familles en recherche de solutions doivent donc se tourner vers le secteur commercial, voire vers la garde non régie, pour avoir accès à une place. Ce retour au développement tous azimuts des services de garde risque de diluer les efforts consentis depuis nombre d’années pour offrir des services éducatifs de grande qualité à tous les jeunes enfants du Québec.
La tendance à la commercialisation et aux services de garde non régis s’expliquent en grande partie par la combinaison des trois facteurs suivants :
1) La création de places en CPE a été ralentie depuis 2003, affichant un développement anémique par rapport aux besoins des familles. En effet, le Québec connaît actuellement un véritable baby boom avec près de 15 000 naissances de plus annuellement, par rapport à la moyenne des années précédentes. Au même moment, on constate une diminution du nombre de places développées en centres de la petite enfance au profit du secteur commercial.
2) En misant sur le crédit d’impôt1 pour frais de garde plutôt que sur un développement adéquat de places à 7 $ en CPE, le gouvernement ouvre un marché important aux garderies commerciales à plein tarif. Depuis 2008, le gouvernement libéral a amorcé la mise en place de plusieurs bonifications du crédit d’impôt pour frais de garde afin de « rapprocher davantage le coût net de la garde privée de celui de la garde à contribution réduite » (Budget du Québec 2009–2010). C’est ainsi qu’entre 2008 et 2010, le nombre de places dans ces garderies commerciales a augmenté de 135 % !
3) Le crédit d’impôt est également applicable à la garde non règlementée. Au Québec, toute personne peut opérer un service de garde privé accueillant enfants ou moins, sans détenir de permis ni être enregistrée auprès des autorités gouvernementales. Ces services ne sont soumis à aucune règle. Pourtant, les propriétaires de ce type de service peuvent émettre aux parents des reçus d’impôt pour lesquels l’État fournira un remboursement.
Le soutien au secteur commercial : une utilisation inappropriée des fonds publics
Le cas des garderies commerciales subventionnées (à 7 $)
On remarque depuis quelques années que de nombreux dérapages surviennent dans les garderies commerciales subventionnées, tous engendrés par la recherche de profits : surfacturation illégale des parents, marché de revente de permis à prix faramineux (une garderie de 80 places, dont le permis a été acquis à 157 $, peut être revendue pour un million de dollars une fois l’entreprise en opération et ce, en excluant le prix de la bâtisse), des propriétaires d’abattoirs de bovins qui se lancent dans le secteur des services de garde, le développement de chaînes de garderies, etc. En subventionnant largement ces garderies privées commerciales, dans un marché pourtant sans risque, avec une clientèle assurée, l’État a contribué à faire monter les enchères. Outre les questions évidentes que soulève cette marchandisation à l’égard de la qualité des services aux enfants et aux familles, c’est aussi l’utilisation inappropriée des fonds publics qui est en cause. En effet, est-il convenable que l’argent des contribuables serve à enrichir des particuliers, sans que ces bénéfices ne soient retournés d’aucune façon à la communauté ? Un quotidien rapportait récemment que le réseau des garderies privées subventionnées a engrangé 48 millions $ de bénéfices nets l’an dernier, soit une moyenne de 12 % de profit après impôt. Dans les CPE, la moyenne des surplus est de 2 %, lesquels sont réinvestis dans la qualité des services.
Le cas des garderies commerciales à plein tarif et des services non régis
En bonifiant la mesure du crédit d’impôt pour frais de garde plutôt que de créer de nouvelles places en CPE, le gouvernement encourage le développement du secteur privé à but lucratif et la garde non régie. L’État peut ainsi être amené à financer des services pour lesquels ni lui ni personne n’a de contrôle ! Le montant versé peut même être plus élevé que la subvention allouée pour une place en milieu familial règlementé à 7 $.
Offrir une alternative aux parents en attendant qu’ils aient accès à des places de qualité à 7 $, c’est une chose, mais favoriser la marchandisation des services de garde et soutenir le déploiement d’une offre désorganisée et non règlementée en est une autre, extrêmement préoccupante.
Miser sur l’économie sociale et développer des places de qualité en CPE
Pour freiner cette tendance à la commercialisation, le gouvernement du Québec doit annoncer au plus tôt la création des 15 000 places promises en campagne électorale. Celles-ci doivent être développées dans les CPE, entreprises d’économie sociale contrôlées par les parents, et dont le seul objectif est de répondre aux besoins des jeunes enfants et de leur famille.
En plus d’être le mieux habilité à desservir adéquatement les familles dans les communautés sur l’ensemble du territoire du Québec, le modèle d’économie sociale est également plus susceptible de générer la confiance des parents. En effet, le caractère non lucratif de l’organisation ainsi que la place des parents au coeur de la gouvernance sont des éléments qui favorisent cette confiance. Et celle-ci revêt une grande importance dans le cadre de services offerts aux tout-petits, en l’absence de leurs parents.
Bien sûr, le réseau des CPE est perfectible à différents égards, mais il demeure qu’actuellement sa principale lacune est le manque de places et cette situation peut, heureusement, être corrigée.
Déjà, de nombreuses communautés sont mobilisées et prêtes à développer : des municipalités, des entreprises, des écoles se sont déjà concertées et ont élaboré des projets avec des CPE qui n’attendent qu’à être concrétisés. Ne reste que la volonté et un signal clair de la part des décideurs pour passer à l’action !
On trouve ce texte, avec ses notes de bas de page, dans le bulletin Momentum sur le site du Chantier de l’économie sociale
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