L’auteur invité est Christian Chavagneux, rédacteur en chef de la revue L’Economie politique
Ce texte est l’éditorial du n° 047 – juillet 2010 de la revue L’Economie politique : Pour une fiscalité au service des pauvres
C’est le débat macroéconomique de l’année: jusqu’où et à quel rythme les grands pays industrialisés doivent-ils réduire leurs déficits publics pour maîtriser leurs dettes? « Fortement et très vite car nous sommes au bord d’un cercle vicieux d’endettement« , affirment les dirigeants européens; « modérément et en prenant le temps car la croissance est fragile et le chômage élevé« , répondent les Américains, aussi bien du côté de Barack Obama que de Paul Krugman.
Face à ce débat, le Fonds monétaire international (FMI) a publié en mai dernier une étude très intéressante qui est bizarrement restée peu commentée de ce côté-ci de l’Atlantique. Que peut-on y lire?
Le premier message est clair: les perspectives budgétaires sont orientées vers une réduction des déficits structurels (mesurés hors paiement des intérêts de la dette et hors effet du cycle économique) à l’horizon 2011-2015, du fait de l’abandon progressif des politiques de soutien à la croissance. Certes, même en réduction, l’accumulation de déficits continuera à gonfler les dettes publiques des pays avancés, qui devraient passer de l’équivalent de 91% de leur produit intérieur brut (PIB) aujourd’hui à 110% en 2015, soit au total une hausse de 37 points de PIB par rapport à leur niveau d’avant-crise. La question essentielle est donc de savoir si ces dettes sont remboursables ou pas. A lire le document du FMI, on en ressort plutôt avec l’impression que la panique montrée ces derniers mois par les marchés financiers à cet égard est largement injustifiée.
Les Etats accumulent-ils les déficits et les dettes parce qu’ils sont d’incontrôlables dépensiers? Non: la moitié de la dégradation des finances publiques de la période 2008-2015 tient à la chute des recettes fiscales, liée elle-même à la baisse du PIB causée par la crise et au fait que la croissance n’est plus gonflée par les excès de la finance.
Les soutiens budgétaires aux banques expliquent 20% de la dégradation. Les promesses d’aide des Etats à leurs établissements financiers avaient atteint à la fin 2009 l’équivalent de 6,5% de leur PIB. Pour l’instant, ils n’ont dépensé que 3,5% de PIB. Et nombre d’entre eux récupèrent de l’argent (intérêts, dividendes), ce qui réduit le coût final de leurs interventions. Une taxe sur les banques devant également voir le jour dans plusieurs pays, le coût direct final du soutien des Etats devrait s’avérer assez faible.
Par ailleurs, les Etats disposent d’actifs dont une partie est mobilisable pour rembourser leurs dettes. Une étude de leur solvabilité à moyen terme se devrait donc de raisonner en termes de dette nette, une fois ces actifs estimés et pris en compte. La différence entre dette brute et dette nette n’est ainsi pas négligeable: l’équivalent de 10 points de PIB pour la France! A l’horizon 2015, la dette brute de notre pays devrait représenter 95% du PIB, contre 85% pour la dette nette.
Selon le FMI, une progression de la dette publique de 10 points de pourcentage se traduit dans les pays avancés par une perte de croissance de 0,15 point de PIB par an. Ce qui donne pour la France moins d’un demi-point de croissance perdu d’ici à 2015… Elle entraîne également a priori une hausse de 50 points de base des taux d’intérêt à long terme, étalée sur plusieurs années. Avec une hausse moyenne de près de 40 points de PIB des dettes publiques due à la crise, on pourrait s’attendre à 200 points de base de hausse des taux à long terme. Mais l’abondance de liquidité mondiale – qui a maintenu longtemps à bas niveau les taux d’intérêt à long terme – est toujours là.
Reste que les grands pays ne peuvent rester sans rien faire face à la dégradation de la situation de leurs déficits et de leurs dettes. S’ils restent a priori gérables… ils doivent être gérés! De quelle façon? Le rapport souligne que les baisses de dépenses ont un impact plus fort que les hausses d’impôts, mais l’écart n’est pas très important. Et les économistes du FMI n’ont pas proposé de scénario où l’on fait payer davantage les hauts revenus et le capital. Même s’ils n’oublient pas de souligner que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale doit faire partie de l’arsenal de gestion des déficits.
La progression des déficits et des dettes nécessite donc une action modérée des Etats afin de sauver la croissance. En la matière, comme dit le proverbe latin, festina lente: hâtons-nous lentement.
On peut lire ce texte sur le site du magazine Alternatives Economiques
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