L’auteur invité est René Lachapelle, Chaire de recherche du Canada en organisation communautaire, président du Groupe d’économie solidaire du Québec (GESQ)
La crise alimentaire est la grande oubliée de la crise globale. Comment relever le défi d’une agriculture durable au Québec et dans le monde alors que l’agriculture a pratiquement disparu des priorités politiques mondiales et qu’elle est par ailleurs remise en question ici même (Commission Pronovost en 2008 et projet de livre vert du gouvernement québécois cet automne) ?
Crise oubliée mais en même temps, dans une perspective Nord-Sud, elle frappe par son ampleur. La souveraineté alimentaire est sa réponse. Ce concept est fédérateur pour de nombreuses organisations, tant au Québec (la coalition pour la souveraineté alimentaire) qu’à l’échelle internationale (les deux regroupements mondiaux que sont la Fédération internationale des producteurs agricoles (FIPA) et l’organisation Via Campesina s’entendent sur cette orientation). C’était, pour le GESQ, selon son président, un impératif sociopolitique que de réfléchir sur cette question dans une perspective d’économie solidaire. Pourquoi ? Parce que si l’agriculture mobilisait plus de 20% de la coopération internationale dans les années 80, elles n’en mobilisent plus que 3%. Priorité donc en direction de « stocks régulateurs, des débouchés garantis, soit par contractualisation, soit par la constitution de groupements de producteurs et de coopératives fortes » nous dit la géographe Sylvie Brunelle (2010). Et bien sûr des réponses nationales et régionales au défi paysan. Nous laissons la parole ce mois-ci à notre collègue René Lachapelle, président du GESQ. En fait, ce sont ses notes de clôture à la 5e édition de l’Université d’été de cette organisation qui se tenait en Estrie les 27 et 28 mai dernier en collaboration avec des organisations de la région : la Coopérative de développement régional (CDR), la fédération régionale de l’UPA, le Carrefour de solidarité international de Sherbrooke et COMAX-Estrie.
La démarche de l’Université d’été nous a permis de mieux comprendre la variété des initiatives qui pointent vers une approche durable de l’alimentation, la dimension nécessairement politique de la souveraineté alimentaire et la contribution essentielle des mouvements sociaux pour y parvenir.
Des initiatives variées pointent vers une approche durable de l’alimentation
Les ateliers ont présenté plusieurs initiatives pour que les producteurs aient les moyens de produire dans des conditions économiquement viables, mais aussi socialement équitables et respectueuses de l’environnement. De la prise de terres par le Mouvement des sans terre au Brésil à la gestion de l’offre en passant par la préservation du patrimoine de diversité génétique des semences, la protection du territoire et l’innovation pour répondre aux nouvelles demandes, nous avons eu l’occasion de découvrir ou de mieux connaître une variété d’initiatives portées par une variété d’organisations. Nous avons aussi été sensibilisés à la finalité alimentaire de l’agriculture, ce que ne respecte pas l’agrobusiness dont les finalités de profit incitent à l’abaissement des coûts de production indépendamment des conséquences et à la recherche de créneaux rentables comme les cultures de rente et les carburants biologiques.
Les consommateurs, pour leur part, n’ont pas toujours l’information requise pour faire des choix éclairés sur les denrées qu’on leur propose. Mais de plus en plus s’organisent des réseaux d’échange qui favorisent la proximité des approvisionnements et des liens directs entre consommateurs et producteurs. Ces initiatives ont en commun la préoccupation que les termes de l’échange soient socialement acceptables. Des marchés de solidarité au commerce équitable en passant par l’agriculture soutenue par la communauté, émergent des innovations qui resocialisent les rapports entre les producteurs et les consommateurs.
Cette diversité d’initiatives est une richesse pour développer de nouvelles réponses au défi d’un monde où une production alimentaire excédant les besoins de l’humanité cohabite avec la faim qui affecte, souvent mortellement, 1,1 milliard de personnes. Ces initiatives sont en effet, pour une part, une façon de RÉSISTER à l’appauvrissement qui affame les populations, l’occupation des terres par le Mouvement des sans terre (MST) par exemple ; et, d’autre part, des pistes pour CONSTRUIRE sur le terrain et maintenant des alternatives viables à la base d’une économie solidaire : le même MST a favorisé le développement, au fil du temps, de 20,000 coopératives (Monde diplomatique, juillet 2009, p.8-9). La diversité des initiatives et des alternatives ne va pas sans tensions voire sans conflits entre les acteurs concernés. Nous avons le défi de gérer ces conflits pour que, au lieu de diviser les forces d’avenir, ils permettent de discerner le meilleur. Car la souveraineté alimentaire est un enjeu politique autour duquel nous devons savoir gérer des rapports de force.
La dimension nécessairement politique de la souveraineté alimentaire
Relevant du droit des peuples, la souveraineté alimentaire implique de subordonner le commerce aux exigences de la finalité sociale de la production agricole, c’est-à-dire nourrir le monde. Elle permet aux personnes l’accès physique et économique aux aliments (sécurité alimentaire), mais aussi l’autonomie alimentaire des peuples. Il ne peut y avoir de souveraineté alimentaire sans casser le cercle vicieux des inégalités sociales et des mécanismes qui non seulement les entretiennent, mais les aggravent. Du Mouvement des sans terre au Brésil à la lutte pour la préservation de la gestion de l’offre contre les multinationales de l’agroalimentaire, en passant par la réappropriation de l’agriculture paysanne en Haïti, ce sont de dures luttes qu’il faut mener pour briser des rapports qui aggravent les écarts entre celles et ceux qui ont faim et ceux et celles qui s’enrichissent en contrôlant la production alimentaire.
Lutter c’est obligatoirement s’organiser pour donner aux paysans les moyens d’agir et aux consommateurs les moyens de choisir des produits équitables. Les États doivent imposer aux marchés des contraintes pour que toutes les dimensions du développement soient prises en compte quant il s’agit d’alimentation. Mais nous savons bien que devant « la sagesse qui vient d’en bas » (Mgr Baldino), les prétentions des experts ont la préséance d’écoute et que ceux et celles qui veulent prendre en main leurs affaires sont violemment réprimés dans plusieurs pays. Les organisations doivent donc développer des alliances, établir des liaisons qui permettent des stratégies de solidarité. Cela passe par des liens entre les personnes qui mènent l’action, sur la base desquels il est possible d’établir de collaborations entre les organisations. Le défi c’est de faire converger les engagements politiques autour de propositions structurantes.
Le soutien essentiel des mouvements sociaux
Les initiatives locales dispersées n’ont aucune chance de transformer à elles seules les règles qui génèrent les inégalités et leurs terribles effets. Elles doivent se fédérer, constituer des réseaux, élargir les mobilisations. Cela n’est pas possible si les mouvements sociaux ne leur fournissent pas à la fois des perspectives rassembleuses et des moyens de lutte. Que ce soient les communautés chrétiennes progressistes d’Amérique latine et des Caraïbes, les organisations syndicales d’agriculteurs et les fédérations paysannes, le mouvement coopératif ou le mouvement des femmes, il faut que les énergies de mobilisation permettent aux innovations d’atteindre leur pleine envergure. Ce soutien humain et financier est déterminant pour la lutte et pour la recherche de compromis qui rendent possible l’institutionnalisation des réussites et la mise en application d’une législation favorable à la souveraineté alimentaire. La souveraineté alimentaire est un enjeu politique.
On peut lire le texte original, avec les nombreuses références bibliographiques, sur le Carnet de Louis Favreau
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