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Nortel sera dépecé

nortelIl n’y a pas si longtemps, nous nous réjouissions de l’échec de la prise de contrôle de BCE par Teachers’ et des private equity funds des États-Unis. Qui sait si, avec cette prise de contrôle, nous n’aurions pas assisté encore une fois au scénario d’une entreprise créée au Québec se faire dépecer par des spéculateurs financiers, comme ce fut le cas avec Nortel, ancienne filiale de Bell qui, le 14 janvier 2009, se protégeait de ses créanciers en se plaçant sous la protection de la loi.

En France, le tribunal de Versailles a prononcé la liquidation judiciaire de SA Nortel Networks, filiale du groupe canadien, qui sera effective fin août en l’absence de repreneur. La semaine dernière, le groupe annonçait la vente de la division téléphonie mobile à Nokia alors qu’en même temps le P-DG actuel de Nortel défendait sa décision de verser des primes de 45 millions de dollars aux employés cadres, tout en refusant de verser des indemnités de départ à des centaines d’employés mis à pied et en diminuant les pensions versées aux retraités.

Je me permets d’aborder le cas exemplaire de cette entreprise puisque j’y ai travaillé pendant une douzaine d’années. C’est dans cette entreprise que j’ai fait mon apprentissage syndical, dans un établissement situé dans l’Outaouais québécois. Nortel, à l’époque Northern Electric, avait été largement subventionné pour ouvrir cet établissement, qu’elle fermera sauvagement le lendemain de l’élection du 21 novembre 1988, qui avait été en quelque sorte un référendum sur l’Accord de libre échange avec les États-Unis. Très exactement le lendemain de l’élection, Nortel annonçait à ses employés d’Aylmer que la conjoncture (!) l’obligeait à transférer la production à son établissement d’Atlanta. Cette fermeture n’a été qu’une étape d’une stratégie corporative, d’abord conduite par cet « esprit du capitalisme » de conquête des marchés, mais qui s’est rapidement transformé en vil appât du gain de court terme, au dépend de la communauté qui avait vu naître cette entreprise.

Née à Montréal en 1895, l’entreprise fabrique pour Bell (qui en détient 93 % des actions) des téléphones pour le marché canadien. Rapidement, grâce au pouvoir de monopole sur le marché central canadien qui est accordé par le gouvernement fédéral à la maison mère, et le rapatriement des efforts de R&D à partir du tournant des années 1950 (dans la foulée des lois anti-trust votées aux États-Unis), Northern Electric emploie dans la décennie d’après-guerre 10 000 travailleurs, principalement actifs dans des usines montréalaises. Elle devient bientôt une filiale exclusive de Bell Canada et se lance dans un vaste programme de recherche qui fera d’elle la plus grande entreprise technologique canadienne.

À partir des années 1960, Northern Electric se lance sur les marchés internationaux en obtenant, avec un partenaire local, 70 % du marché domestique de la téléphonie turque. Elle étend son système productif avec des installations de production aux États-Unis et en Turquie. Elle fait son entrée en Bourse (la part de Bell passe de 100 % à 90 %) et change de nom pour Northern Telecom dans les années 1970. Graduellement, elle concentre ses activités de recherche à l’extérieur du Québec, principalement en Ontario. Elle fera d’Ottawa une véritable Silicon Valley du Nord. Sous la poussée des nouveaux produits utilisant les technologies digitales (dont le DMS-100 qui était fabriqué à Aylmer, Québec), l’entreprise emploie 70 000 travailleurs partout dans le monde et atteint un chiffre d’affaires de 12 milliards $ au milieu des années 1990. Surfant sur la bulle technologique qui, à cette époque, commence à gonfler le prix de l’action de Nortel, l’entreprise se lance dans une stratégie d’achat tous azimuts des nouvelles technologies en émergence, dont la firme Bay Networks, qu’elle achète en 1998 pour 6,9 milliards $ par échange d’actions. La nouvelle entreprise s’appelle Nortel Networks, et elle atteint alors son apogée puisqu’à partir de mars 2000, avec l’éclatement de la bulle, on assistera ensuite à la descente aux enfers.

Au maximum de la bulle spéculative, en 2000, le prix de l’action de Nortel atteint 124 $ et sa capitalisation boursière se chiffre à près de 400 milliards $, la plus grande de la bourse de Toronto. En 2002, elle ne vaudra plus que 5 milliards $. Que s’est-il passé ? Pourquoi ce fleuron de l’industrie canadienne n’a-t-il pas pu se ressaisir, rebondir pour protéger ce que ses artisans (travailleurs québécois et canadiens, chercheurs émérites) avaient construits de toute pièce ? C’est qu’à partir de 2000 ce n’est plus l’esprit de conquête qui anime ses dirigeants, mais l’appât du gain rapide. Le 1er mai 2000, fête des travailleurs, les dirigeants de Bell se défont de leurs actions de Nortel (ils leur restaient encore 35 % des parts) et ramassent un gros lot de 88,5 milliards $. En octobre 2001, le PDG John Roth quitte le bateau en s’accordant au passage un pécule de 100 millions $ en exerçant ses options d’achats. Comment peut-on expliquer cette compensation lorsque l’on sait que sous sa direction l’entreprise avait perdu 300 milliards $ de sa capitalisation et mis à pied 20 000 travailleurs !

Le reste est connu. C’est une suite de scandale (en 2004 le scandale des méthodes comptables crapuleuses des dirigeants éclate et le PDG Frank Dunn est congédié) et de licenciements qui se poursuit. C’est également une stratégie insensée de ses dirigeants de se concentrer sur la conception en se délestant de l’expertise industriels. Nortel cesse ses activités dans le secteur de la fabrication et vend des usines à Flextronics International, ce qui entraîne le transfert de 2500 employés montréalais, qui fermera cet établissement peu de temps après.

En 2009, lorsqu’elle demande la protection de ses créanciers, Nortel n’a plus que 20 000 salariés, dont à toute fin utile pratiquement aucun à Montréal, alors qu’elle y était née.

Discussion

3 commentaires pour “Nortel sera dépecé”

  1. J’ai travaillé pour Northern Electric dans les années 70 et 80. J’aimerais savoir si j’ai cotisé à un fond de pension. Si oui je voudrais faire le rachat. A quel endroit puis-je m’informer?

    Écrit par Lisette Laprise | décembre 2, 2009, 15 h 47 min
  2. Moi aussi j’ai travaillé à l’usine d’Aylmer. Qu’arrive t’il avec l’argent qu’on y a investi.

    Écrit par Lisette Laprise | janvier 4, 2010, 11 h 42 min
  3. j ai aussi travailler pour la northen electique de 66 a 74 y a t il une place pour se renseigner a savoir si j ai cotise a un fonds de pension si oui je voudrais savoir quoi faire je suis a ma pnsion depuis 1 an

    Écrit par diane desbiens | juillet 1, 2010, 16 h 03 min

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