Réinventer une économie au service de la société ! Le programme est ambitieux. Mais s’il y a un mouvement qui peut se permettre de prétendre à sa capacité à pouvoir contribuer largement à ce défi de repenser l’économie, c’est celui de l’économie sociale. N’est-ce pas le mouvement associatif – les coopératives, mutuelles ainsi que, dans un sens plus large les syndicats – qui a mis en œuvre les principes et les règles de la solidarité sociale aux XIXe et XXe siècles, avant qu’ils soient formalisés et généralisés par l’État Providence.
Résumé des contributions de quatre grands praticiens ou penseurs du mouvement coopératif au débat sur le projet de réinventer l’économie.
Felice Scalvini, président Confédération européenne des coopératives
Propose une biodiversité entrepreneuriale pour sortir d’une monoculture de l’entreprise capitaliste qui cherche à imposer les seuls principes marchands. La crise que nous venons de traverser découle malheureusement d’une trop forte extension des marchés. Un environnement économique plus écologique exige une biodiversité entrepreneuriale. Le maître mot est la pluralité économique, tant pour sortir de la crise économique actuelle que pour développer les potentialités des personnes. Là où la pluralité économique – économie sociale, publique, domestique – est plus forte, la Grande Récession que nous venons traverser a eu des conséquences moins sévère. Pour l’avenir, le mouvement coopératif doit renforcer son code génétique, promouvoir la biodiversité entrepreneuriale, développer l’action politique et travailler à tous les niveaux, du plus local au plus global. C’est en grande partie une bataille culturelle qu’il faut mener, puisque même les entreprises coopératives ont connu une mutation de leur ADN, en faveur des valeurs marchandes. Sur le plan pratique, cependant, il faut développer la structure « politique » du mouvement, à travers des organisations territoriales et sectorielles plus fortes.
Monique Leroux, présidente du Mouvement des caisses Desjardins
L’apport du Mouvement des caisses Desjardins n’est pas négligeable pour le développement passé, actuel et, espérons-le, futur du Québec. Dans le cadre de cette conférence portant justement sur l’avenir du Québec, sur le projet de société que nous voulons, Mme Leroux nous présente le projet du mouvement pour une prospérité durable du Québec, qui tient compte des besoins des membres et des collectivités dans lesquelles ils vivent. C’est dans son plan d’évolution que s’exprime concrètement le plan d’action de Desjardins, sur le comment doit se réaliser la « démocratisation » de la vie économique par le biais d’une institution financière largement intégrée à la vie économique québécoise. En offrant aux Québécois les instruments pour la réalisation de leur destinée – outil financier mais aussi éducation à la coopération – Desjardins veut continuer à leur offrir des moyens d’émancipation. La coopération est une formule qui a démontré sa résilience. Il faut renforcer les rôle des coopératives et mutuelles pour éviter des phénomènes tels que la perte de centres de décision économique et la délocalisation de l’activité économique. Le mouvement coopératif a décidément un rôle à jouer dans l’avenir, et nous avons le devoir de mobiliser toutes les volontés vers ce projet de prospérité durable.
Thierry Jeantet, président des Rencontres du Mont-Blanc
D’emblée M. Jeantet propose une alternative pour sortir du modèle de développement actuel, insoutenable. Rejetant l’idée de la dimension « naturelle » des marchés, M. Jeantet présente l’économie marchande comme une création sociale, un produit historique, daté, de l’activité humaine. Nous devons réclamer le droit à l’innovation sociale et aux diverses alternatives à un capitalisme pur, destructeur des liens sociaux les plus indispensables. D’autant plus que la crise du modèle est devenue évidente. Et tout aussi évident est l’incapacité congénitale de ce modèle à répondre à un ensemble de crises – démographique, écologie – qui s’accumulent aujourd’hui, et dont il est en partie lui-même responsable. Par ailleurs, il voit émerger une multitude de mouvements et de contre-pouvoirs à ce modèle. Dans cette optique, M. Jeantet voit six rôles dévolus à l’économie sociale (ÉS) : 1) sa capacité à créer des liens sociaux dans le vaste domaine de l’activité économique, 2) sa capacité à créer des pôles de stabilité et de partage avec une formule originale de propriété, sur une base volontaire et collective, 3) son devoir d’accroître la part de l’ÉS dans l’économie traditionnelle, mais également dans l’économie de proximité, non-marchand et non-monétaire, 4) la nécessité de maîtriser l’agenda international dans le développement de l’activité humaine, compte tenu que l’ÉS ne veut pas dire décroissance mais représente plutôt une formule enrichie de croissance qui tient compte de l’ensemble des dimensions du développement, 5) devoir de participer au changement des règles internationales, en soutenant les contre-pouvoirs émergeant dans divers domaines et dans divers lieux et 6) finalement celui de changer les rapports entre les acteurs économiques de manière à briser les barrières entre les besoins de chacun – individus, collectivités, organisations économiques.
Abdou Salam Fall, sociologue sénégalais
Au-delà des rapports de force actuels, M. Fall nous propose quelques éléments pour sortir d’un modèle insoutenable : profiter des opportunités de la situation de crise; s’appuyer sur les forces nationales pour le changement; mobiliser les organisations et les structures des mouvements sociaux traditionnels; miser sur l’émergence de nouveaux contre-pouvoirs qui cheminent sur une nouvelle gouvernance ouverte. Ramenant le développement de son argumentation au cas sénégalais, M. Fall exprime concrètement la réinvention d’une économie dans un pays du Sud déstructurée par un modèle de développement tournée vers le capital et les pays du Nord.
Cet excellent panel d’ouverture au Séminaire international Quel projet de société pour demain ? dresse un vaste portrait des enjeux, des défis mais aussi des solutions possibles pour l’avenir. Nous reviendrons demain sur les débats au sein des ateliers d’aujourd’hui et demain.
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