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Le samedi 23 avril 2022

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En quoi les coopératives sont des éléments pour une alternative à l’ultralibéralisme ?

L’auteur invité est Léopold Beaulieu, président-directeur général de Fondaction, le fonds de développement CSN pour la coopération et l’emploi

Après avoir traversé une crise mondiale qui représente l’échec d’un modèle de développement fondé sur le laisser-faire économique, sur des attentes irréalistes en termes de rendement et sur le retrait de l’État social, il est en effet urgent et nécessaire de réfléchir et d’échanger sur les enjeux et les défis que nous devons relever, mais aussi des alternatives qui s’offrent à nous. Aujourd’hui, les échecs du marché sont patents : les prétendues vertus autorégulatrices des marchés financiers se sont avérées une véritable catastrophe humaine; la poursuite effrénée du rendement maximum nous conduit à une folie spéculative et à une destruction économique, sociale et environnementale tragique pour des centaines de millions de personnes; ce n’est que grâce à l’intervention des États nationaux, malgré l’état déplorable dans laquelle nous les avons laissés, que nous avons évité le pire.

C’est urgent et d’autant plus nécessaire que nous ne voyons pas les décideurs politiques et économiques dominants tirer clairement les constats qui s’imposent et s’atteler à la tâche de réformer en profondeur le modèle de développement. Le manque de courage des décideurs, leur absence de vision et, pour certains, leur aveuglement quasiment criminel, nous oblige, nous les acteurs associés aux mouvements sociaux, à intervenir pour clarifier les enjeux et identifier les paramètres de transformation vers un développement plus durable et responsable.

Lorsque nous regardons en arrière, nous pouvons constater que le mouvement associatif (syndical, coopératif et mutualiste), au tournant du XXe siècle, a eu une contribution majeure dans la naissance de l’État social, en mettant en œuvre les principes des systèmes de sécurité sociale avant leur mise en place par les États occidentaux. Aujourd’hui, nous devons mettre l’épaule à la roue pour réactualiser les principes de la solidarité sociale, mais plus largement, nous avons le devoir d’identifier les modalités d’un nouveau modèle de développement, puisque les manières de faire actuelles s’avèrent insoutenables.

On m’a demandé de partager quelques réflexions avec vous En quoi le mouvement coopératif est un élément important d’une alternative à l’ultralibéralisme ?

Dans son essence, le fait associatif est un acte de résistance à une société fondée sur l’inégalité. C’est la raison pour laquelle il a su imprimer ses valeurs de solidarité dans la construction de l’État social au tournant du XXe siècle. Aujourd’hui, exactement un siècle plus tard, les différentes composantes du mouvement associatif, c’est-à-dire le syndicalisme, les coopératives et mutuelles ainsi que les OBNL et le communautaire, sont des acteurs reconnus, présents à différents niveaux de la société moderne, du plus local au plus global.

L’actualité du fait associatif ou de l’économie sociale est ainsi particulièrement évidente. Sa capacité de mobilisation des personnes et des ressources, tant au niveau de la proximité des besoins (au niveau local), que de celui de la proximité des intérêts (au niveau international) fait du mouvement associatif un acteur majeur dans un contexte de mondialisation des défis, où les niveaux locaux et globaux sont indissociables.

Alors qu’un nombre grandissant de travailleurs et de citoyens veulent maîtriser davantage leur travail, qu’ils tiennent à mieux contrôler l’utilisation qui est faite de leurs épargnes et qu’ils cherchent les voies d’une consommation plus responsable, les entreprises et les organisations d’économie sociale doivent tout mettre en œuvre pour apporter des réponses à ces nouveaux besoins.

Le développement de nouvelles activités

Nos manières de faire doivent changer. La tendance lourde observée aujourd’hui consiste à repenser les modèles productifs de manière à minimiser les impacts négatifs de l’activité – par exemple les gaz à effet de serre – et à en maximiser les impacts positifs, comme la mise en marché de produits écologiques.

On peut imaginer qu’au cours des prochaines années, une part croissante du PIB sera tirée des activités de recyclage et de valorisation des matières résiduelles. Les matières résiduelles des uns deviennent de plus en plus les matières premières des autres. La croissance devrait ensuite reposer pour une bonne part sur la valeur ajoutée résultant de l’intégration des impacts sociaux et environnementaux dont les entreprises ne tiennent généralement pas compte dans la conception des biens et des services. Plusieurs champs d’activité se présentent à nous et peuvent devenir le terreau d’une économie davantage relationnelle. Ce sont des défis à relever pour les acteurs et les entrepreneurs de l’économie sociale.

Les besoins financiers des entreprises d’’économie sociale, ainsi que l’analyse sous-jacente à ce type d’entreprises, imposent par ailleurs de nouvelles expertises et de nouveaux produits financiers qui ne sont pas offerts par les institutions financières habituelles. Parallèlement, à travers la masse croissante de détenteurs de titres financiers, ils sont de plus en plus nombreux celles et ceux qui exigent que les rendements financiers de leurs titres ne se fassent pas au détriment des valeurs sociales qui sont les leurs.

En ce sens, on peut dire qu’au niveau national, le financement des nouvelles technologies vertes, du développement local et de l’économie sociale ainsi que la montée des valeurs de solidarité chez les détenteurs d’actif sont l’expression d’une nécessaire reconfiguration du système financier sur une autre base, qu’on pourrait appeler une finance socialement responsable. Les nouvelles institutions financières qui sont ancrées dans des mouvements sociaux divers, tels que les syndicats, les communautés, le mouvement écologique, sont l’antithèse de la finance spéculative parce que, en agissant sur le moyen et le long terme et en intégrant des préoccupations sociales dans leur processus de décision, elles combinent l’économie et le social, le local et le global. Permettez-moi de mentionner au passage des institutions telles que la Caisse d’économie solidaire, Filaction, Fondaction et la Fiducie du Chantier de l’économie sociale.

Nous savons que les apporteurs de fonds détiennent une influence majeure sur les orientations des entreprises. Ces nouvelles institutions financières deviennent porteuses de ces valeurs au sein des centres de décision économique.

L’existence d’institutions intermédiaires

On peut dire, sans risque de se tromper, que l’état du développement de l’économie sociale au Québec s’explique en bonne partie par le fait qu’elle s’est dotée d’un ensemble d’institutions intermédiaires. A priori, une nouvelle phase de développement de l’économie sociale implique donc un redéploiement de ces réseaux.

Par exemple, la création de divers regroupements sectoriels (habitation, forestière, CPE, etc.) ainsi que d’organisations telles que le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité et du Chantier de l’économie sociale, qui ont servi de lieux de délibération et de représentation. Ces institutions ont permis d’accéder à une première série de programmes gouvernementaux et de législations favorables à la diffusion des innovations sociales qui avaient été créées antérieurement.

Parmi les autres institutions intermédiaires qui ont un rôle à jouer dans la gouvernance des activités économiques propres à l’économie sociale, les organismes d’appui direct à l’entrepreneurship collectif sont particulièrement importants. En se donnant des institutions telles que les Coopératives de développement régionale (CDR), les Groupes de ressources techniques (GRT) pour le soutien aux coopératives de logement, les Corporations de développement économique communautaire (CDEC) ainsi que des firmes de consultants telles que MCE Conseils, une autre initiative de la CSN, l’économie sociale s’est dotée d’outils et de mécanismes qui participent à la formalisation des règles et à la diffusion des innovations de l’économie sociale.

Enfin, à un autre niveau d’action, l’économie sociale québécoise a trouvé important de se munir d’institutions intermédiaires de savoirs, de veille et de formation tels que le CIRIEC ainsi que plusieurs chaires et centres de recherche. Plus récemment, des Alliances de recherche, mieux connue sous le nom d’ARUC, ont été mises en place grâce à des partenariats entre les Universités et les partenaires sociaux. Fondaction y participe selon ses moyens.

Toutes ces institutions constituent des lieux indispensables d’échange et de partage des meilleures pratiques. Elles servent également d’institutions culturelles, qui formalisent et diffusent les valeurs du mouvement, et servent en quelque sorte de mémoire collective en constant enrichissement.

Le rôle de l’État

Cependant, la reconfiguration du système financier et le déploiement des réseaux d’institutions intermédiaires dont j’ai parlé jusqu’à maintenant ne pourrait être véritablement menée à terme, ici comme ailleurs, sans la présence forte d’États partenaires. Les État jouent un rôle qu’aucun autre acteur ne peut jouer. Ayant été systématiquement dévalorisés au cours des trente dernières années, les États nationaux doivent reconquérir leur capacité d’agir, mais dans une nouvelle position. Celle de partenaire qui facilite la participation des citoyens et des acteurs sociaux aux processus de formulation et de réalisation des stratégies de développement. L’État est non seulement un redistributeur de richesses, il doit être en plus un acteur de premier plan pour réaliser les conditions d’un autre développement, d’un développement plus durable.

Dans cette perspective, l’économie sociale peut, en toute liberté jouer le rôle de partenaire majeur des États qui s’engagent dans cette direction. Mais aussi, répondre à des besoins non satisfaits, ainsi que conquérir ou partager des espaces occupés par l’entreprise capitaliste.

Le nouvel État social doit reconnaître, et travailler à faire reconnaître par tous, la nécessité d’une participation accrue de tous les acteurs aux divers niveaux de gouvernance : nationale ou locale, sectorielle ou corporative. La participation du producteur ou de l’usager aux processus décisionnels de l’entreprise collective, l’engagement des fiduciaires de caisses de retraite ou des épargnants soucieux d’éthique aux choix stratégiques des grandes entreprises publiques, la concertation de l’ensemble des acteurs sociaux aux stratégies de développement local ou sectoriel, voilà autant de formes de régulation qu’il faut encourager.

Dans une économie trop souvent déterminée par la spéculation et la rentabilité à court terme, où nous avons pu constater trop de destruction du tissu social et la délocalisation de millions d’emplois pour gagner en performance, les entreprises d’économie sociale, ancrées sur leur territoire, ont su donner accès à des emplois locaux. L’État et l’économie sociale sont les composantes essentielles de la solution à la crise du modèle de développement.

Conclusion

J’ai parlé de l’importance du rôle de l’État et j’ai identifié des institutions financières et autres institutions intermédiaires sur lesquelles nous aurons besoin de pouvoir compter pour que soient davantage réunies les conditions favorables au développement d’une économie plurielle. En conclusion je voudrais préciser que cela est vrai parce que ces conditions se vivent sur le plan de l’espace territorial, qui reste le lieu privilégié d’une coordination des activités permettant d’assurer une plus grande cohésion sociale de ceux qui partagent cette volonté de vivre ensemble.

Ces conditions favorables créent un modèle de développement qui permet une mise en réseau, une réciprocité et une mobilisation sociale, rendues possibles parce que les attentes des consommatrices et des consommateurs, des citoyennes et des citoyens, des travailleuses et des travailleurs sont prises en compte. Elles sont prises en compte parce qu’ils et elles sont parties prenantes aux décisions.

Pour répondre aux enjeux de ce 21e siècle, on ne pourra plus penser l’économie sans tenir compte des impacts environnementaux, l’environnement sans tenir compte de l’activité sociale, le social sans tenir compte de l’économie.

La grande transformation que nous vivons présentement, confirme la pertinence de l’économie sociale. Celle d’être en mesure d’offrir une vision nouvelle, globale et cohérente, dans la construction d’une nouvelle régulation pour le XXIe siècle.

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