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Le samedi 23 avril 2022

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L’énergie éolienne communautaire, une solution dans le vent

L’auteure invitée est Nathalie Deraspe, journaliste pigiste.

Le débat fait rage autour de l’énergie éolienne. Doit-on nationaliser la ressource, favoriser des parcs communautaires d’éoliennes ou envisager une écoétiquette éolienne-équitable, comme le préconise l’ex-président du Groupe Investissement Responsable, François Rebello ? Chose certaine, les communautés veulent leur part du gâteau. De leur côté, les citoyens sont de plus en plus enclins à vouloir tourner le dos à l’hydroélectricité et à préconiser l’utilisation de solutions alternatives pour pourvoir à leurs besoins énergétiques, quel qu’en soit le coût.

Au 7e siècle, les Perses utilisaient déjà la force du vent pour faire tourner leurs moulins à grains. Malgré tout, il aura fallu patienter 13 siècles avant de voir réapparaître cette invention. La première turbine éolienne capable de produire de l’électricité aurait été conçue par le scientifique américain Charles Brush en 1888. L’appareil mesurait 17 mètres de haut et offrait un rendement de 12 kilowatts.

Au Québec, les premiers essais eurent lieu simultanément aux Iles-de-la-Madeleine, à Kuujaq et à Matane près d’un siècle plus tard, en 1975, dirigés par l’Institut de recherche en électricité du Québec (IREQ). Ces efforts s’avérèrent infructueux et engendrèrent une telle perte de confiance dans cette technologie qu’on écarta le dossier pendant près de deux décennies.

En 2006, le Canada produisait juste assez d’électricité éolienne pour alimenter 315 000 foyers (1 049 mégawatts), soit moins d’un demi pour cent de la demande énergétique du pays. Malgré l’abondance de la ressource au pays, et même si l’offre éolienne a bondi de 31 % en 2007, le Canada n’est encore qu’au 11e rang de la production mondiale d’électricité éolienne.

Pourtant, dès 1998, la Régie de l’Énergie du Québec recommandait le développement de cette ressource par le biais d’appels d’offre. Appels qui ne furent lancés, comme on le sait, qu’en septembre 2007. Qu’à cela ne tienne, le pays a finalement emboîté le pas après le rejet du projet de centrale thermique du Suroît. Dorénavant, si l’on se fie à l’objectif des gouvernements provinciaux, l’énergie éolienne devra combler 5 % des besoins énergétiques de la population d’ici 2016.

Au niveau mondial, on assiste à une croissance record de cette technologie depuis trois ans. Le marché américain a proposé à lui seul plus du quart de la production mondiale totale, devançant la Chine et l’Espagne, deux pays pourtant considérés comme des concurrents acharnés dans le domaine. Les analystes prévoient qu’à ce rythme, les Américains surpasseront les Allemands pour se placer au premier rang mondial dès 2009.

Le vent tourne

Plus près de nous, le Nouveau-Brunswick entend se lancer dans ce qu’on appelle l’énergie éolienne communautaire. La province veut ainsi reverdir son image, ternie par le fait qu’elle envisageait de construire une nouvelle centrale nucléaire. À l’instar du futur méga-parc Blue Mountain, où des entreprises privées exploiteront quelque 70 éoliennes, plusieurs communautés rêvent en effet d’établir à leur tour de petits parcs constitués de 10 à 20 de ces aéromoteurs. Une façon de tirer profit de cette filière aux airs d’Eldorado.

« Actuellement, ce sont de grosses compagnies de l’étranger qui empochent les millions de profits chaque année, déclarait le conseiller municipal de Restigouche Guy Landry au journaliste Jean-François Boisvert (www.jminforme.ca). Si on met sur pied un parc communautaire qui peut nous donner des revenus d’environ 100 millions $ sur 25 ans, ça fait quatre millions de dollars par année que l’on peut réinvestir dans nos églises, nos arénas et nos centres communautaires. C’est beaucoup plus intéressant de cette façon que de voir cet argent aller aux États-Unis ou en Europe, dans les poches de milliardaires qui se fichent des gens de la région. » Mais pour toucher ces retombées économiques, un investissement d’environ 25 millions sera requis lors de l’installation des éoliennes. Sans partenariat, ce type de projet est inévitablement voué à l’échec.

D’où la proposition de mettre sur pied une coopérative régionale qui serait soutenue par des partenaires solidement établis. Au Québec, l’idée a fait son chemin. En juillet dernier, la Fédération québécoise des municipalités (FQM) signait une entente avec Innergex, en vue de favoriser de tels partenariats. Établie sur la Rive-Sud de Montréal, cette société détient 38 % des actions du consortium Cartier Énergie, qui avait remporté 75 % des contrats du premier appel d’offres d’Hydro-Québec (740 MW). Elle vient de proposer l’ajout de quelque 800 mégawatts (MW) d’énergie éolienne additionnels.

L’énergie éolienne est un moteur économique indéniable et les communautés ont tout intérêt à s’y investir, soutient la porte-parole d’Innergex, Julie Boudreau. Qu’il s’agisse de projets d’envergure, comme le parc éolien de Carleton qui prévoit livrer dès décembre 109,5 MW de puissance, ou d’installations plus petites, il y a lieu de profiter de la manne. « Ce qui est intéressant au Québec, c’est que notre demande de pointe se situe en hiver alors que la production éolienne est à son meilleur. Cela permet de garder plus d’eau dans les réservoirs des barrages et d’éviter les pénuries. Comme il s’agit de deux énergies propres, l’hydroélectricité et l’énergie éolienne constituent un couplage plus qu’intéressant », affirme Mme Boudreau.

Le Québec accuse du retard

Le professeur Jean-Louis Chaumel, expert à l’Université du Québec à Rimouski, met un bémol aux propos de Julie Boudreau. Si les possibilités demeurent considérables, il y a encore beaucoup d’appelés et peu d’élus.

« La province a mis tous ses œufs dans le même panier avec des appels d’offre gigantesques qui sont tous allés au secteur privé. On s’annonce comme les champions des énergies renouvelables, mais, en réalité, nous sommes troisième derrière l’Ontario et l’Alberta. Même le Nouveau-Brunswick va installer davantage d’éoliennes que le Québec en 2009 », précise le chercheur.

Si Jean-Louis Chaumel admet que la technologie connaît des ratés (la moitié des éoliennes du parc de Cap-Chat doivent être remplacées après seulement onze années d’opération), celui-ci est d’avis que le Québec ne peut plus se contenter d’implanter des barrages hydroélectriques. « Le débat n’est plus là. Dans le Bas-Saint-Laurent, des communautés affectées par les fermetures d’usine qui ont causé jusqu’à 200 pertes d’emploi en une semaine, veulent attirer de nouvelles activités économiques et industrielles. La seule ressource disponible, c’est le vent. Cela dit, quand on vient vous planter une éolienne dans votre cour sans compensation financière, c’est injuste et inéquitable. »

Le chercheur donne l’exemple de St-Jacques-le-Mineur où, à l’instar de Cacouna, la population s’est révoltée faute de consultation. La solution passe par la prise en charge des projets par les communautés locales et régionales, estime Hélène Simard, présidente du Conseil québécois de coopération et de mutualité (CQCM), l’association du mouvement coopératif québécois. Depuis trois ans, l’organisme étudie à la fois le potentiel éolien des régions et les retombées économiques possibles. La coopérative de développement régional (CDR) du Bas-St-Laurent a même publié un guide technique sur le sujet. « Les gens ont trop le souvenir de ne pas avoir pleinement assisté au développement des énergies de la province, soutient Mme Simard. Le vent, c’est comme un gisement minier. Il faut combiner l’acceptabilité sociale, la protection de la qualité de vie des individus et la profitabilité des projets pour l’ensemble de la communauté. »

Les producteurs agricoles, à qui l’on proposait de signer des droits d’utilisation qui les auraient privés d’une partie de leur propriété, ont été les premiers à sonner l’alarme. « Les agriculteurs ont réalisé que ça n’avait aucun bon sens de s’être tant battu pour avoir le contrôle sur nos activités agricoles et maintenant de laisser notre avenir à d’autres », explique la présidente du CQCM. Dès lors, ceux-ci se sont regroupés et ont formé l’ébauche d’un mouvement qui déborde désormais sur l’ensemble des communautés.

En Allemagne, certains parcs éoliens sont situés si près de certains villages que cela vient briser plusieurs mythes persistants, raconte-t-elle. En installant eux-mêmes les infrastructures, les villageois ont multiplié les bénéfices. Ce faisant, les avantages ont pris le dessus sur les inconforts reliés à ce type d’installation. « Quand on sait pourquoi une éolienne tourne, indique Hélène Simard, et que les profits ne s’envolent pas au vent, c’est beaucoup plus acceptable pour tout le monde. »

Revoir les règles du jeu

Pour plusieurs observateurs, à commencer par le CQCM, l’UPA et le réseau des municipalités (FQM et UMQ réunis), le gouvernement provincial aurait tout intérêt à modifier les règles du jeu quant au développement de la ressource. Autrement, les projets d’énergie éolienne risquent de profiter davantage aux puissants lobbies internationaux qu’aux communautés qui n’ont d’autre choix que de s’adapter à un paysage environnant modifié de façon importante et à la pollution sonore qui accompagne les projets de parcs éoliens. En imitant l’Ontario ou le Danemark, par exemple, il serait possible de connaître à l’avance le prix de rachat de l’électricité pour certains projets à venir. Cela permettrait d’analyser à fond les coûts de revient et d’évaluer plus précisément la rentabilité de chacun des projets. Pour l’heure, on attend toujours qu’Hydro-Québec lance son appel d’offres de 500 MW pour les projets qui seront mis au point par des bandes autochtones et des communautés. Quand on sait qu’un projet sur quatre risque d’être rejeté et que la partie la plus coûteuse demeure la préparation du dossier proprement dit, ça refroidit les ardeurs de plusieurs petites localités, premières à vouloir se prévaloir de cette roue de développement. « Le Québec peut devenir une terre d’expérimentation intéressante, souligne Hélène Simard. Il faut stimuler le milieu et aller plus loin dans l’énergie solaire, éolienne et le biogaz, si on veut exprimer pleinement notre génie québécois. Et si on ne met pas le pied dans l’étrier, on va laisser les autres nous damer le pion. »

Ce texte est tiré du site de La Maison du XXIe siècle, le magazine de la maison saine

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