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Le samedi 23 avril 2022

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Coopératives et économie sociale, une alternative au capitalisme ?

L’auteur invité est Louis Favreau, titulaire de la Chaire de recherche en développement des collectivités (CRDC) depuis 1996 à l’UQO.

Thierry Jeantet, dirigeant français d’un consortium européen de mutuelles et président des Rencontres du Mont-Blanc [...] fait exception à la règle : c’est un dirigeant du mouvement coopératif qui écrit des livres et pas n’importe lesquels. Son dernier livre : L’économie sociale, une alternative au capitalisme paru aux Éditions Économica à Paris il y a deux ans (2008) avance l’idée que le capitalisme n’a pas gagné la bataille et que les coopératives, les mutuelles et les associations constituent une « réponse moderne aux attentes citoyennes ». Le titre surprend et l’affirmation est forte. Nous ne sommes pas habitués à ce langage de la part d’un dirigeant du mouvement coopératif, surtout au Québec. Et pourtant ! […] Question-clé : les coopératives peuvent-elles exercer, sur le terrain économique et social, un certain leadership tant sur la scène nationale qu’internationale, surtout en cette période de crise économique et sociale adossée à une crise écologique qui nous oblige à repenser le modèle capitaliste ? La logique coopérative peut-elle aller jusqu’à être au cœur du système économique ? Peut-être ! La pression capitaliste est cependant très forte, très très forte ! La question centrale devient alors : oui mais à quelles conditions jouer ce rôle de contributeur à la sortie de crise dans laquelle nous sommes plongés. S’appuyant sur une approche sociopolitique, mon livre tente de répondre à la même question que celle de Jeantet. Il retrace l’itinéraire de ces entreprises coopératives du Québec et termine sur le potentiel alternatif de ce mouvement pour sortir du capitalisme. Extraits inspirés de la conclusion d’un livre qui vient tout juste de sortir des presses : Le mouvement coopératif, une mise en perspective, PUQ, 2010.

Capitalisme et équité : est-ce conciliable ?

Peut-on concilier capitalisme et équité ? Pas sûr, loin s’en faut ! La crise actuelle n’est pas seulement financière et économique. Elle est écologique et sociale. C’est une crise globale qui nous force à réinterroger nos partenariats comme le disait si bien François Chérèque, secrétaire général de la CFDT au Congrès de la centrale syndicale en juin dernier : « La crise n’a jamais été aussi forte et les inégalités aussi grandes. Notre conception du compromis social ne peut plus être la même ». Comment alors réinventer l’économie et l’orienter vers un type de société qui entend respecter les équilibres écologiques et être porteuse de justice économique et sociale ? On ne part pas de zéro : des solutions à ces questions sont déjà en partie contenues dans les pratiques les plus innovatrices des mouvements. En fait, des alternatives sont déjà là dans des milliers d’expériences de ce type au Québec et de par le monde. Il faut cependant les coupler avec des alternatives globales pour fournir une vision d’ensemble, alimenter un projet des changements économiques et sociaux à faire et favoriser la mise en réseau des organisations concernées à toutes les échelles d’intervention (locale, nationale et internationale).

Le mouvement coopératif, avec d’autres mouvements, refuse en principe cette idée reçue d’une séparation entre justice sociale et création de richesses. Et chose certaine, le divorce est manifeste entre, d’un côté, les valeurs de l’économie dominante soit le tout au marché, l’appât du gain et le triomphe de la cupidité et de l’autre, les valeurs de la société à savoir la démocratie, la justice économique et sociale, le développement durable et solidaire des communautés et l’équité hommes-femmes. Les coopératives et l’économie sociale partagent ces valeurs de la société. Mais à quelles conditions, celles d’aujourd’hui en 2010, ces coopératives peuvent-elles vraiment se manifester à contre-courant des valeurs de cette économie dominante ?

Projet de société et mouvement coopératif québécois : une brève histoire

[…] Le mouvement coopératif québécois n’en est pas à sa première réflexion sur son projet de société. Dans sa période d’émergence au début du 20e siècle jusqu’aux années 60, il a assumé une affirmation nationale, c’est-à-dire le destin des Canadiens-français devenus par la suite des Québécois (comme d’autres mouvements d’ailleurs, notamment l’UPA et la CSN). Sa concentration dans les secteurs de l’épargne, de l’agriculture et de la prévoyance a permis de fournir au nationalisme économique d’ici les premières assises du « modèle québécois de développement ». Puis, dans les années 60, avec la « révolution tranquille », le mouvement coopératif, en participant à ce « modèle », s’est renforcé et fortement diversifié au point de constituer plus tard, dans les années 90, une quinzaine de fédérations, tant sur les plans sectoriel que régional, au sein d’une même organisation, le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM).

Ce faisant, le projet social dont il était porteur jusque là est alors devenu pluriel. Car, tout au long des décennies 70 et 80, des courants alternatifs alimenteront ces nouvelles coopératives dans des secteurs comme le travail, l’alimentation et l’habitation par exemple. Des proximités plus grandes de certaines de ses composantes avec le mouvement syndical et le mouvement communautaire se seront également faites jour. Aujourd’hui, même si le nationalisme économique fait partie de la toile de fond (symbolisé par le mouvement Desjardins pour les coopératives et par Hydro-Québec pour les entreprises publiques) d’un projet québécois de développement économique et social et même si les utopies autogestionnaires sont encore présentes à l’état diffus, cela ne suffit plus. Crise globale du capitalisme et mondialisation néolibérale obligent !

La réflexion aujourd’hui cherche à reconfigurer l’ensemble de l’économie : « imaginer l’après-crise » (Lizée, 2009) ; le « monde d’après » (revue Alternatives économiques, 2009) ; « sauver la planète en sortant du capitalisme » (Kempf, 2008) ; « écologie sociale et politique » (Lipietz, 2009 ; George, 2008) ; « social-démocratie renouvelée » ; « alternative au capitalisme par l’économie sociale » (Jeantet, 2008) ; « démocratie participative et économie solidaire » (Béland, 2009) ; « nouvelle narration du monde » (Petrella, 2007). Constante de ces travaux et réflexions, du moins pour une majorité : a) le retour de la notion de capitalisme (et de sa critique comme système économique dominant) ; b) l’urgence écologique ; c) l’ouverture à la dimension planétaire des enjeux. […]

En guise de conclusion

Ces pistes ou conditions n’ont rien de révolutionnaire. Mises ensemble, elles permettent, à notre avis, d’ouvrir la voie à une économie au service de la société et donc de sortir, dans les faits même si ce n’est que partiellement, du capitalisme, de ce « tout au marché » tout en nous préservant par les dispositifs de la démocratie participative du « tout à l’État ».

Comme nous le disions au début de ce billet, des alternatives sont déjà là dans des dizaines de milliers d’expériences locales concrètes. Ce sont des ouvertures vers un autre monde, un autre type de société. Mais il y a des conditions plus spécifiques encore pour que les coopératives ne se fassent pas bouffer par la pression capitaliste comme cela arrive très souvent : 1) il faut qu’elles soient couplées avec des alternatives globales portées par des organisations qui ont suffisamment de vision, de force de proposition et de leadership ; 2) que ces alternatives globales soient soutenues par des organisations fortes et mobilisatrices qui les portent à la hauteur requise (à toutes les échelles d’intervention : locale, nationale, internationale) ; 3) et que cette vision globale soit partagée par les plus importants mouvements autres que le mouvement coopératif soit les mouvements syndical, agricole, des femmes, communautaire et écologique de même que des mouvements politiques qui leur correspondent. On verra bien où la conférence internationale de Lévis des 22 et 23 septembre prochain nous mènera mais je terminerai en citant un économiste français, Maurice Parodi, qui connaît bien les coopératives :

« L’économie sociale (coopératives, mutuelles, associations) joue un rôle déterminant au sein d’une économie plurielle. En effet, l’« économie » ne peut être réduite à une économie de type strictement capitaliste, dont le « principe de gouvernance » reste calé sur la rémunération maximale des capitaux investis au profit exclusif des actionnaires.

De plus le projet de l’É.S. déborde très largement du champ économique. Il vise depuis ses origines l’instauration d’une société plus équitable, plus solidaire et plus démocratique. On ne peut dissocier son projet économique (entreprendre coopérativement) de son projet sociétal et donc on ne peut réduire son rôle, son poids et sa performance aux seuls indicateurs économiques de la richesse.

En définitive, si par son seul poids économique, l’ÉSS ne peut constituer aujourd’hui une alternative crédible à l’économie capitaliste, on ne peut sous-estimer son rôle social et l’impact sociétal de son modèle, de son éthique, de ses réalisations sur les composantes diversifiées de la planète économique. Sans faire tomber de son cheval, pour autant, le cavalier fou du capitalisme financier, elle peut contribuer à réveiller les consciences des acteurs sur la finalité humaine et sociale de toute l’économie et infléchir le modèle économique dominant vers plus de responsabilité vis-à-vis des enjeux d’un « développement durable », c’est-à-dire d’un développement économique viable, socialement équitable et écologiquement durable. »

On trouve le texte complet, avec ses références, sur le carnet de Louis Favreau

Discussion

2 commentaires pour “Coopératives et économie sociale, une alternative au capitalisme ?”

  1. [...] This post was mentioned on Twitter by Maricarmen Merino, Caisse solidaire. Caisse solidaire said: Coopératives et économie sociale, une alternative au capitalisme ? http://www.oikosblogue.com/?p=5245 [...]

    Écrit par Tweets that mention Oikos Blogue | Coopératives et économie sociale, une alternative au capitalisme ? -- Topsy.com | octobre 4, 2010, 14 h 29 min
  2. Favoriser le développement prioritaire des coopératives et de l’économie sociale au sein d’une économie de marché diversifiée me semble une voie d’avenir face à la crise capitaliste et à l’échec des États socialistes. Cela permettrait d’amoindrir le facteur de crise qu’est la poursuite du profit maximum sans se soucier du bien commun. Cela permettrait aussi de valoriser l’esprit d’entrepreneurship sous sa forme collective et de motiver davantage les travailleurs.

    Cela n’empêcherait pas certaines crises de survenir dues aux problèmes de coordination de l’ensemble de l’économie. Mais au moins la spéculation hasardeuse ne la rendrait pas inévitable et catastrophique.

    Et surtout, si la gouvernance collective démocratique des entreprises devenait prépondérante dans l’économie, on aurait plus de chances d’avoir des gouvernements qui font des consultations démocratiques au lieu d’être gouvernés par des «monarques élus».

    Écrit par Bertrand Ducharme | octobre 8, 2010, 20 h 01 min

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