L’auteur invité est Christian Chavagneux, rédacteur en chef de la revue L’Economie politique.
Cette fois c’est du sérieux. Les nouvelles règles annoncées le 12 septembre par le Comité de Bâle vont contribuer à changer en profondeur le métier de banquier. Et d’autres réglementations sont annoncées qui permettront d’aller plus loin dans les contraintes imposées aux banques. Pour autant, tout ceci ne peut représenter que l’une des pièces de l’échafaudage réglementaire qui doit permettre de maîtriser l’instabilité financière.
Commençons par les mesures annoncées et qui devront être définitivement être validées par le G20 des chefs d’États de novembre prochain à Séoul.
La première concerne le minimum de capital que les banques doivent détenir pour pouvoir développer leur actif (activités de prêts et de placement sur les marchés financiers). Jusqu’à présent, elles devaient respecter un ratio capital sur actif (les actifs sont pondérés en fonction du risque qu’ils représentent) de 8 %.
Une mesure mise en œuvre depuis 1988 et qui se décomposait en deux : un ratio dit de premier guichet (Tier 1) de 4 % où le capital devait être du « vrai » capital ; et un de second guichet (Tier 2) pour les autres 4 % et qui correspond à ce que chaque régulateur national avait accepté en 1988 comme du capital pour aider les banques à respecter ces nouvelles contraintes (les banques japonaises par exemple avaient fait valider dans le Tier 2 leurs plus values boursières latentes, ce qui fait qu’au moment de l’éclatement de la bulle quelques années plus tard, elles sont passées d’un seul coup en dessous des ratios réglementaires).
Petit à petit le Tier 1 a été décomposé lui aussi en deux : le core Tier 1 avec le capital reçu des investisseurs (les actions et les profits réinvestis) et l’autre partie du Tier 1 où les banques, en particulier françaises, ont glissé des titres hybrides, mi capital – mi emprunt obligataire, assurant aux investisseurs une rémunération indexée sur les profits dégagés par la banque. Le core Tier 1 était fixé à 2 % des actifs pondérés. Le Comité de Bâle vient de décider de le passer à 7 % : 4 % + un nouveau matelas de sécurité supplémentaire de 2,5 % dans lesquels les banques devront puiser en cas de souci, mais en contrepartie elles seront limitées dans la distribution de bonus et de dividendes. En même temps, Bâle restreint la liste de ce qui peut est considéré comme du capital. Au total, les banques vont devoir trouver des investisseurs pour répondre à ces nouvelles règles. Elles devraient y arriver sans problème mais cela jouera sur leur rentabilité : plus elles doivent mettre de capital de côté avec lequel elles ne peuvent pas jouer, plus cela leur coûte cher d’être banquier, et moins l’activité est rentable.
Le Comité de Bâle a également discuté de la possibilité de pouvoir ajouter de 0 à 2,5 % de capital en plus quand le crédit s’emballe pour nourrir la spéculation. Mais, faute d’accord, l’opportunité en est laissée à chaque régulateur national. Comme cela diminuerait la compétitivité des champions nationaux vis-à-vis des banques qui n’auraient pas à appliquer cette contrainte supplémentaire, on peut douter qu’elle sera mise en œuvre de manière unilatérale. Par contre, elle pourrait revenir par la fenêtre dans le cadre de la nouvelle politique macroprudentielle des banques centrales et être recommandé comme une politique à mettre en œuvre par le Comité européen du risque systémique et son équivalent américain. Arriver à maitriser les emballements de crédits spéculatifs destinés à nourrir les bulles boursières, immobilières, les paris des fonds spéculatifs, etc., est essentiel pour la stabilité financière.
Le Comité évoque également d’autres nouvelles contraintes en capital qui se rajouteront à celles décidées le weekend dernier pour les banques systémiques, celles dont les problèmes locaux peuvent engendrer une crise généralisée. A suivre donc, sur ce sujet.
Le Comité souhaite également pouvoir suivre un « ratio pur ». Tous les ratios dont on parle ici sont des ratios entre le capital que détiennent les banques et leurs actifs pondérés par leur niveau de risque (les prêts aux États, par exemple, jugés sans risque, comptent pour 0 %, les prêts aux collectivités locales pour 20 %, etc.). Les régulateurs veulent d’abord simplement suivre, puis rendre éventuellement contraignant en fixant un maximum, un ratio où tous les actifs comptent à 100 % quelque soit leur niveau de risque. Ce serait une façon de contrôler la taille des banques pour imposer des contraintes à celles qui grossissent trop.
L’idée est bonne mais le Comité suggère un ratio pur Tier one minimum de 3 %, ce qui veut dire que les actifs des banques ne devraient pas dépasser 33 fois leur capital Tier 1. Cela reste un niveau très élevé. Et si le ratio devient contraignant, ce ne sera pas avant 2018… Par comparaison, le régulateur de la finance canadienne, qui impose déjà ce genre de ratio à ses banques, a fixé la limite à 20 fois le capital (et les banques sont plutôt à 18). Ce qui donne un ratio pur de 5 % ce qui aurait été plus sérieux mais a du faire l’objet d’un fort contre lobbying de la part des banques qui semblent avoir gagné la partie sur ce sujet.
Toutes ces règles devront être progressivement respectées par les banques entre 2013 et 2018 pour être complètement opérationnelles le 1er janvier 2019. L’échéance paraît lointaine mais la pression de la concurrence entre établissements fera que les établissements qui y arriveront avant les autres seront mieux côtés par les marchés : leurs cours de Bourse sera plus fort (ce qui évite d’être mangé par les autres) et les taux d’intérêt auxquels elles empruntent seront plus faibles. Selon les experts de la banque UBS, les investisseurs considéreront qu’une banque saine devra être un peu au-dessus du minimum, plutôt à 8 % et que 10 % sera un niveau confortable.
Tout cela ne représente qu’une partie des nouvelles régulations discutées actuellement. Le Comité discute également la mise en œuvre de ratios de liquidité. Chaque banque devra disposer dans sa musette de quoi tenir toute seule au moins un mois au cas où le marché interbancaire, celui où les banques se prêtent de l’argent à court terme, coince, comme cela a été le cas au moment de la crise grecque en Europe, ou se bloque complètement comme après la chute de Lehman. Concrètement cela veut dire que les banques devront détenir plus de Bons du trésor émis par les grands États, qui rapportent peu car ils sont considérés sans risque.
Le Comité indique également que les travaux sur la meilleure façon d’organiser une faillite des banques en cas de crise continuent. C’est tout le débat, en cours, autour de deux projets importants, ceux de la constitution de « resolution plans » et de « resolution funds », les plans et les fonds de démantèlement des banques.
L’idée est de demander à chaque établissement de fournir aux régulateurs une description précise de leur organisation complexe afin qu’en cas de sérieux problème, les pouvoirs publics puissent prendre rapidement la main pour organiser une faillite rapide ou une nationalisation temporaire afin de liquider ce qui doit l’être et de sauver ce qui peut l’être. Au passage, les actionnaires et/ ou les créditeurs paieraient une partie ou la totalité de la casse. Le Royaume-Uni a déjà réclamé des plans pilotes à ses banques, la loi américaine les inclus et la Commission européenne veut avancer sur le sujet à l’automne prochain, la France ne montrant guère d’enthousiasme.
Enfin, si un établissement a besoin d’être renfloués avec de l’argent public, d’où viendrait l’argent ? C’est là qu’interviennent les « fonds de démantèlement », alimentés par les fameuses taxes sur les banques pour leur faire payer leurs erreurs et dont la France doit présenter sa version d’ici la fin du mois de septembre.
Deux après la faillite de Lehman Brothers, on commence à voir sortir les nouvelles régulations susceptibles de revenir à une plus grande stabilité financière. On en est encore loin. La partie n’est pas gagnée. Mais au moins, elle se joue.
On peut lire ce texte sur le site du magazine Alternatives Economiques
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