L’auteur invité est Bernard Bayot, directeur du Réseau Financement Alternatif (Belgique).
L’annonce paraissait pour le moins paradoxale. Au mois de juin dernier, des parlementaires européens ont appelé la société civile à s’organiser pour créer une organisation non gouvernementale capable de développer une contre-expertise sur les activités menées sur les marchés financiers et à faire connaître de manière efficace cette analyse aux médias.
Voilà donc des élus qui, en quelque sorte, demandent à être sous influence ! À bien y réfléchir, la contradiction n’est qu’apparente. C’est que ces parlementaires constatent tous les jours « la pression exercée par l’industrie financière et bancaire pour influencer les lois qui la régissent ». Ce n’est pas anormal, ajoutent-ils, mais l’asymétrie entre la puissance de ce lobby et l’absence de contre-expertise leur semble un danger pour la démocratie. « Le lobbying des uns doit en effet être contrebalancé par celui des autres. » La société civile, aphone dans le débat financier, doit donc d’urgence retrouver une voix, au risque de laisser le champ libre aux entreprises financières qui défendent leur intérêt particulier qui, pour légitime qu’il soit, ne doit pas être confondu avec l’intérêt général.
Mais, insistent les signataires, cette prise de parole doit être fondée sur une expertise. Elle nous semble essentielle : ces dernières années, l’atonie de la société civile a permis le développement d’une finance bling-bling fondée sur des croyances plutôt que sur des démonstrations.
On a vu trop de caciques de la finance nous faire prendre des vessies pour des lanternes en se drapant, sans jamais les démontrer, dans de belles évidences que leur dictait leur idéologie néolibérale quand ce n’était pas des gourous de la Bourse. Il est plus que temps de revenir à la raison et de fonder une réflexion et une analyse approfondies, basées sur l’intérêt général. C’est un défi que la société civile doit relever d’urgence à un moment où se discutent la réforme et la supervision du secteur financier à la suite de la crise.
Mais il y a plus : développer une prise de conscience citoyenne sur la finance. Certes, la matière est complexe, rébarbative et souvent même taboue. Il n’empêche, nous tous, la croisons plusieurs fois par jour au détour de notre quotidien ; elle façonne notre destinée, individuelle mais aussi collective. Il suffit de se rappeler le tremblement de terre qu’a constitué la crise financière de 2008, avec un recul du produit intérieur brut mondial de 2,2 % en 2009, pour s’en convaincre. Et si les pouvoirs publics n’avaient pas été là pour sauver de nombreuses institutions, les dégâts auraient pris un tour encore plus dramatique ! La finance est un enjeu essentiel et sa bonne appréhension est indispensable pour les parlementaires mais elle l’est également pour les citoyens.
Développer la connaissance est une étape qui doit donc être accompagnée par l’émergence d’un débat citoyen et, autant que possible, la fondation d’un consensus social à la base. Il faut, en quelque sorte, démocratiser la finance : réunir les conditions pour qu’elle soit comprise, débattue et façonnée par le plus grand nombre. C’est l’enjeu d’une éducation financière conçue non comme l’alibi d’une offre financière incompréhensible et/ou inadaptée, mais comme le garde-fou de celle-ci. Connaissance, éducation et plaidoyer citoyens nous paraissent être les conditions nécessaires pour rompre avec les mauvaises habitudes qui font déjà le lit de la prochaine crise.
On peut lire le texte original en introduction du numéro spécial du magazine Financité « Finance : la démocratie sous influence »
Je suis pleinement d’accord avec l’appel de ces parlementaires européens. Surtout quand on pense comment les commentateurs des médias se font souvent manipuler par des explications arbitraires sur le sens des fluctuations de la bourse (alors que ces fluctuations sont bien souvent reliées à de larges mouvements spéculatifs anonymes et cachés), sur les prévisions économiques (qui ont autant de valeur bien souvent que la lecture des boules de cristal) et par les modifications de cotation des agences de cotation (qui possèdent aussi des intérêts financiers et politiques bien précis).