L’auteur invité est Gérard Bérubé, journaliste au Devoir.
Plus le temps passe et plus il est démontré qu’il n’y a ni justification ni urgence d’agir avec précipitation dans le développement de la filière du gaz de schiste. D’autant que la réalité économique n’y est pas favorable. Le rendement (chétif) espéré ne valant pas le risque (élevé) potentiel, pourquoi ne pas laisser la ressource là où elle est? Il appartiendra aux générations futures d’en faire bon usage, au besoin.
Tout reste à dire, tout reste à faire dans l’évaluation de cette nouvelle filière énergétique. D’autant que les retombées économiques sont loin d’être mirobolantes si l’on se fie aux projections véhiculées par l’industrie elle-même. S’il est vrai que toute activité humaine comporte un risque, encore faut-il que ce risque puisse être estimé, ce qu’on ne parvient pas encore à faire compte tenu du peu de données disponibles. Et encore faut-il que le rendement escompté vienne justifier ce risque, ce qui n’est pas le cas. Donc, pourquoi cette précipitation, d’autant qu’avec les prix actuels appelés à demeurer déprimés, la rentabilité d’une éventuelle exploitation du gaz de schiste au Québec reste à démontrer aux dires mêmes de l’industrie.
Encore mardi, lors de la séance du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), la directrice de Talisman et représentante de l’Association pétrolière et gazière du Québec (APGQ) indiquait que le seuil de rentabilité des puits forés au Québec était plus élevé que sur le continent, et de 40 % plus haut que le prix au marché. À 3,75 $US le millier de pieds cubes, le cours actuel se situe à un niveau historiquement bas et les projections ne permettent pas d’envisager une embellie sur un horizon prévisible. L’abondance de ce type de gaz à l’échelle mondiale laisse miroiter une offre demeurant fondamentalement excédentaire, même lorsque la reprise économique daignera prendre solidement racine.
L’étude du Groupe Secor commandée par l’APGQ n’offre rien de très emballant. Selon le scénario de base, il en résulterait une création de quelque 5000 emplois, essentiellement lors de la phase d’exploration, très peu lors de l’exploitation. Les entrées pour le gouvernement, essentiellement sous forme de redevances, oscilleraient autour de 230 millions par année. Selon le potentiel que renfermerait le sous-sol québécois, on peut donc présumer que le privé se réserve le gros des bénéfices, tandis que les coûts seraient absorbés par le public.
Et l’on sait encore très peu de choses des impacts sur la santé publique et des risques environnementaux d’une filière que l’on admet peu maîtriser techniquement parlant. Certes, l’on peut faire miroiter une diminution de l’empreinte écologique en s’engageant à troquer le pétrole pour le gaz, mais doit-on forer jusqu’à 600 puits par année pour y parvenir? Et que fait-on de cette image, encore lourde dans la conscience collective, de ce gallon rempli d’eau du robinet qui s’enflamme?
Revenant aux retombées économiques, l’Union des municipalités du Québec a soumis hier une liste de questions dont les réponses doivent être ajoutées au modèle coûts-bénéfices:
- Quels sont les risques de contamination de la nappe phréatique?
- Comment le ministère de l’Environnement peut-il garantir aux municipalités qu’elles peuvent traiter les eaux usées sans risque pour la santé des citoyens?
- Qui payera les mises à niveau des usines de traitement d’eau?
- Qui assumera les pertes de revenu foncier causées par l’implantation de puits de forage à proximité de quartiers habités?
Ajoutons:
- Qui compensera la hausse des coûts d’assurance que devront absorber les familles et propriétaires logeant près d’un puits?
Nous savons peu de choses sur les retombées et les risques réels de cette filière. Mais nous en savons suffisamment pour nous convaincre de ne rien précipiter. Alors, pourquoi ne pas laisser la ressource là où elle est? Il appartiendra aux générations futures d’en faire bon usage. Et qui sait, peut-être n’en auront-elles pas besoin?
On peut lire ce texte sur le site du journal Le Devoir
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