L’auteur invité est Sébastien, économiste, travaille sur les marchés émergents. Auteur des articles économiques du blog Reversus.
« Nous sommes au cœur d’une guerre des monnaies ». Ces mots de Guido Mantega sonnent fort et ravivent de bien mauvais souvenirs. Faut-il encore rappeler qu’au début des années 1930, une succession de mesures protectionnistes avaient contribué à faire plonger l’économie mondiale dans la Grande Dépression ?
Une nouvelle norme
L’économie mondiale est entrée dans une nouvelle phase. Partout, les effets des stimuli budgétaires s’estompent tandis que le cycle de reconstitution des stocks touche à sa fin. Les taux de chômage demeurent à des niveaux record, alors que la propension des autorités publiques et monétaires à soutenir l’activité est fortement entamée. En principe, c’est au secteur privé de prendre le relais, mais celui-ci pense davantage à se désendetter qu’à investir ou consommer – en particulier les banques et les ménages. Bref, il semble qu’une croissance molle accompagnée d’un taux de chômage anormalement élevé constituera la norme des prochaines années.
Dans ce contexte, la seule solution consiste à glaner des points de croissance sur les marchés étrangers. La dévaluation compétitive est un bon moyen d’y parvenir. D’ailleurs, il semble que les autorités monétaires au sein des pays développés soient de plus en plus tentées par cette option. La Banque du Japon est récemment intervenue directement sur le marché des changes, tandis que la Fed et la Banque d’Angleterre se préparent à accroître leurs programmes respectifs de « quantitative easing ». Certes, le but avéré n’est pas une dévaluation monétaire, mais le résultat est similaire.
Cependant, pour qu’une devise se déprécie, il faut que dans le même temps une autre monnaie se renforce. Mais alors que l’ensemble des pays développés souffre d’une insuffisance de demande domestique, aucun n’a intérêt à laisser filer sa monnaie. Si chacun dévalue d’une manière où d’une autre, l’effet net sera nul pour tous. Au mieux, la création monétaire qui en résulterait pourrait comporter un effet stimulant. En revanche, les économies émergentes sont dans une toute autre situation. L’activité économique est repartie et l’inflation menace. Les capitaux quittent donc les économies dépressives pour se diriger vers les économies à fort potentiel. Ceci implique une pression à la hausse sur les monnaies émergentes. En toute logique, si le monde développé compte sur les exportations pour soutenir l’activité économique, alors ce sont les économies émergentes qui doivent supporter l’appréciation.
La tentation protectionniste
Seulement, la première puissance émergente, la Chine, ne l’entend pas de cette oreille. Le gouvernement chinois refuse malgré les pressions politiques américaines de laisser le Yuan se renforcer plus rapidement – Les autorités chinoises procèdent par des interventions de change, combinées avec d’importantes restrictions sur les entrées de capitaux. Et ce n’est pas tout. En raison des caractéristiques du commerce intra-régional, de nombreux pays d’Asie empêchent leur monnaie de s’apprécier tant que la Chine ne fera pas de même. Cette dernière semble avoir en mémoire les mésaventures du Japon dans les années 1980 : lors des Accords de Plaza en 1985, le gouvernement japonais avait en effet accepté sous pression des Etats-Unis de laisser s’apprécier le yen, et ce fut pour les observateurs asiatiques le point de départ d’un engrenage qui aboutira à la décennie perdue.
Toujours est-il que la frustration du Congrès américain est grandissante. A tel point que celui-ci a conféré cette semaine des pouvoirs supplémentaires au Département du Commerce en matière de droits de douanes sur les produits « made in China ». Une semaine auparavant, c’était l’Empire du Milieu qui dégainait en imposant des taxes antidumping sur la volaille importée des États-Unis. Tout ceci demeure de l’ordre du symbole, mais renforce le risque d’une d’escalade protectionniste. Le cas échéant, un tel évènement pourrait, à l’image de la loi Smoot-Hawley dans les années 1930, faire tache d’huile, provoquant l’effondrement du commerce international. Au final, tout le monde serait perdant.
En définitive, la situation doit être prise très au sérieux. D’un coté, les frustrations émanant de Washington deviennent de plus en plus palpables. De l’autre, on peine à imaginer la Chine cédant sous la pression internationale. Celle-ci n’a rien de l’allié complaisant qu’avait été le Japon dans les années 1980. La Chine et les États-Unis sont deux éléphants sous stéroïdes dans un magasin de porcelaine. Dans cette histoire, le reste du monde est le magasin de porcelaine…
On peut lire ce texte, avec ses références, sur le blogue Reversus
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