L’auteur invité est Laurence Roland, de l’association belge Réseau financement alternatif.
Depuis le début de l’année 2010, la Grèce a subi un véritable séisme financier. Au-delà d’une gestion publique probablement lacunaire, la Grèce est victime de la spéculation sur sa dette, mais aussi de la « rumeur » que font courir les agences de notation sur sa situation financière. À côté de la filouterie des opérateurs financiers visant à gagner de l’argent à tout crin, on peut opposer le « capital lent » basé sur l’économie réelle et l’investissement pour la création d’activités utiles.
D’un côté, prenez les gens, comme vous et moi, qui consomment et parfois empruntent pour se payer une voiture, un logement, un nouveau canapé… et qui, quand ça va mal, empruntent pour se payer un bien de consommation courante, de la nourriture, etc. Lorsque survient une perte d’emploi, un accident ou une maladie, certains se retrouvent tout à coup en difficulté de paiement et plus tard peut-être en médiation de dettes. Les créanciers essaieront tant bien que mal de récupérer leur argent par des saisies sur leurs biens ou directement sur salaire.
De l’autre côté, prenez un pays – la Grèce par exemple, qui fait beaucoup parler d’elle. Voilà un pays qui, comme tous les autres, doit financer des activités, payer des salaires, réparer les routes, soutenir le système de santé, etc. Pour ce faire, il encaisse les impôts de ses contribuables et emprunte également de l’argent, en émettant des obligations que des banques, des particuliers ou des fonds peuvent acheter sur le marché financier. Ainsi, la Grèce émet des titres contre de l’argent et promet de rembourser après une certaine période avec un intérêt. Le taux d’intérêt tourne en général autour de 2 %, mais dans le cas de la Grèce, il était en mars 2010 de 6,25 %. La Grèce se retrouve donc dans une situation où elle est obligée d’emprunter pour faire face à ses dépenses et cet emprunt terriblement onéreux l’endette encore davantage. Elle se retrouve donc dans l’obligation d’emprunter à nouveau pour rembourser ses anciennes dettes. Les prêts qu’elle reçoit n’ont alors plus aucune utilité économique pour le pays et rendent sa situation plus fragile encore. Pour attirer de nouveaux emprunteurs, le taux d’intérêt lié aux obligations doit encore être relevé, ce qui oblige la Grèce à rembourser plus cher encore sa dette. Celle-ci s’élève à l’heure actuelle à 300 milliards d’euros.
Comment en est-on arrivé là ?
La faute notamment aux hedge funds, les fameux fonds spéculatifs dont le but est de faire de l’argent sur le dos de… l’argent, en dehors de toute considération économique ou sociale. Un des inventeurs des hedge funds est Georges Soros qui, en 1992, fit sombrer la livre sterling. Il avait vendu pour des milliards de cette devise sans avancer d’argent. Du coup, la livre inondant les marchés, son prix chuta fortement et Georges Soros en racheta alors à un prix nettement inférieur. Cela lui permit d’empocher au passage un milliard de dollars et contraignit la livre sterling à sortir du système monétaire européen !
Revenons à la Grèce. Ce pays a plus que probablement manqué de rigueur budgétaire, et s’est ainsi mis dans une situation financière délicate. Les spéculateurs ont vu là une bonne opportunité de gagner de l’argent. Ils ont misé sur la baisse du prix des obligations émises par la Grèce et ont acheté des credit default swaps (CDS) avant de les revendre.
Les CDS, dans leur forme originelle, sont une invention d’une mathématicienne de la banque JP Morgan en 1997. Il s’agit d’une sorte d’assurance protégeant l’acheteur contre le défaut de paiement de l’emprunteur (ici, la Grèce). Si le risque de défaut de paiement augmente – c’est ce qu’on entend constamment dans les médias –, le prix de ces assurances augmente également. Les spéculateurs ont donc acheté des CDS, attendu que les prix montent et puis les ont revendus en empochant au passage une belle plus-value.
Dans le même temps, le prix des CDS augmentant, les financiers (les agences de notation) en concluent que la capacité à rembourser de la Grèce diminue, de sorte qu’il devient de plus en plus cher pour cet État d’emprunter puisqu’il est plus risqué pour les prêteurs de lui octroyer des crédits. C’est ainsi que la Grèce emprunte actuellement à 6,25 %, pénalisant davantage encore son économie et sa population puisque les politiques d’austérité imposées à la Grèce se font forcément au détriment des politiques sociales.
Pour rappel, les CDS étaient déjà à l’origine de la crise des subprimes. Des assureurs comme AIG avaient garanti des CDS en masse, mais, quand les gens n’ont plus pu rembourser leur emprunt hypothécaire, les banques qui avaient acheté ces CDS se sont retrouvées devant la perspective d’une faillite et, d’une perte conséquente de la valeur de leur portefeuille. Seule une intervention publique de 88 milliards de dollars de la Réserve américaine a permis d’éviter ce scénario catastrophe.
Dans le cas de la Grèce, l’augmentation du cours des CDS se base sur un risque élevé de faillite de ce pays, risque qui est en réalité… faible.
Le danger de produits tels que les CDS ne vient pas réellement de leur nature profonde. Après tout, le contrat d’assurance permettant de se protéger contre un risque est bien légitime. Il permet, en échange d’une certaine somme, de se débarrasser d’un risque et de le faire endosser par un autre. Par contre, les produits de ce type amplifient la spéculation.
Ainsi, ils permettent de parier sur la baisse ou la hausse du produit auquel ils sont « adossés » (ici, la dette). Les investisseurs vendent ou achètent ce risque, dont le prix ne dépend plus en grande partie que de la hausse ou de la baisse de la demande, elle-même liée aux bruits qui courent sur les places financières. Bruit que font courir… les agences de notation financées par les émetteurs de produits financiers comme les CDS. Fondées ou pas, les « rumeurs » gouvernent l’économie. Tous les sites de conseil en investissement boursier ont d’ailleurs une rubrique « rumeurs ». La santé financière de la Grèce, puis celle de l’Espagne furent tributaires de ces bruits. Des rumeurs concernant l’incapacité pour Madrid à rembourser sa dette ainsi que la dégradation de sa note par les principales agences de notation furent à l’origine d’une vente massive des titres de sa dette. Le serpent se mord la queue. L’argument visant à démontrer la virtuosité des marchés et leur capacité à s’autoréguler semble bien faible au regard de la stratégie des « rumeurs » que font courir les émetteurs de produits financiers.
Quel rapport avec la finance éthique ?
Aucun bien sûr ! Tout d’abord, la plupart de ceux qui liront cet article ne s’appellent pas Georges Soros et n’ont pas spéculé sur la dette grecque en achetant des CDS. Quoique ! Des milliers d’épargnants ont fait les frais de la dernière crise, non pour avoir spéculé, mais pour avoir été victimes de leur banque, qui leur a vendu un chat dans un sac. De petits épargnants ont ainsi perdu toutes leurs économies pour avoir acheté des créances malsaines à leur insu.
Ensuite, la majorité des gens qui liront cette analyse seront conscients que l’argent ne peut pas servir qu’à faire de l’argent. Les publications du Réseau Financement Alternatif mettent autant que possible l’accent sur l’investissement dans des activités réelles et positives. La finance éthique – à travers les fonds d’investissement éthiques – permet d’investir dans des entreprises respectueuses de l’être humain et de l’environnement. La finance sociale va un pas plus loin. Elle permet de soutenir financièrement des projets qui améliorent la cohésion sociale. Il peut s’agir d’associations œuvrant dans les domaines de la culture, de la formation, de la lutte contre l’exclusion… ou d’entreprises – commerciales ou non – qui, dans leur secteur, tentent de limiter les disparités entre les individus.
On peut lire ce texte sur le site de Financité
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