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Le samedi 23 avril 2022

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Accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne

L’auteure invitée est Catherine Caron, de l’Association pour la Taxation des Transactions financières et pour l’Action citoyenne (ATTAC-Québec).

Commentaire envoyé à la Commission des Institutions de l’Assemblée nationale du Québec au sujet du projet d’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, actuellement en négociations.

Mesdames et messieurs membres de la Commission,

Du 18 au 22 octobre aura lieu le 5e cycle de négociations de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AÉCG) à Ottawa. Malgré les demandes répétées du Réseau pour le commerce juste dont notre association fait partie, le gouvernement fédéral refuse toujours de mener des consultations avec l’ensemble de la société civile. Seul le milieu des affaires est consulté. Nous dénonçons ce manque de transparence qui ne cesse de se répéter à chaque fois que de telles ententes sont négociées et nous n’observons rien de différent au Québec.

Nous tenons donc à exprimer à la Commission des Institutions notre extrême préoccupation à cet égard. Si le libre-échange est aussi bénéfique aux populations qu’on le prétend, il devrait pouvoir se négocier dans le respect de la démocratie. Or, ce n’est pas le cas.

Ce que nous savons de l’AÉCG, nous le savons en raison de ses fondements (les accords existants), d’une fuite de son ébauche rendue publique par le Réseau pour le commerce juste, de quelques rencontres d’information (aucunement des consultations réelles) avec le négociateur canadien et de documents officiels disponibles précédant les négociations. Nous savons donc que les provinces sont à la table de négociations parce que l’Union européenne veut un large accès aux marchés publics. Qu’offre le Québec dans ces négociations? Qu’en est-il des municipalités?

Ce sont les fonds de contribuables qui financent les marchés publics, ils devraient donc avoir leur mot à dire lorsqu’on envisage de les ouvrir davantage à la concurrence européenne et de se priver, par le fait même, de l’important outil de développement social et économique qu’ils constituent.

Presque toutes les entités publiques sont visées à tous les niveaux de gouvernement. C’est là un approfondissement très inquiétant du libre-échange qui conduirait à toutes fins pratiques à la destruction des marchés publics en tant qu’outil de développement local, un outil d’autant plus précieux dans le contexte de crise mondiale actuelle. C’est la capacité même des pouvoirs publics de mener des politiques publiques en toute souveraineté, que ce soit pour favoriser l’emploi local, l’achat local ou une réglementation environnementale, par exemple, qui est mise à risque. Ainsi, il sera difficile pour les divers paliers de gouvernement de développer des politiques favorables à l’économie solidaire.

Par ailleurs, voir dans cette ouverture des marchés publics un instrument efficace de lutte à la corruption est utopique et peu crédible car « améliorer la transparence et la responsabilité ne nécessite pas de sacrifier la puissante contribution que les marchés publics peuvent apporter à la réalisation d’objectifs sociaux, économiques et environnementaux » (Scott Sinclair, Negociating from weakness, Centre canadien des politiques alternatives, avril 2010, p.10).

Les négociations sur les services nous préoccupent aussi grandement. Quelles offres le Québec a-t-il déposées? Protège-t-il efficacement le secteur de l’énergie? Qu’en est-il de l’eau? On sait que les multinationales européennes osent demander au Canada ce qu’elles n’osent plus demander à des pays du Sud, soit l’accès aux services de l’eau potable. Qu’en est-il? Et prend-on toutes les mesures pour préserver le droit des gouvernements de légiférer dans l’intérêt public? Ce droit et cette capacité sont mises à mal par de telles ententes où il s’agit essentiellement de lever les obstacles au commerce que sont les réglementations, dans un contexte où ce ne sont plus les droits de douane (déjà bas pour la majorité des biens) qui en tiennent lieu.

En outre, il est question que l’équivalent du chapitre 11 de l’ALÉNA soit inclus dans l’AÉCG (une demande du Canada), permettant les recours des entreprises contre les États lorsque des réglementations entravent leur profit. Qu’en est-il? Le Québec s’y objecte-t-il dans l’intérêt de sa population? De quel droit accorderait-on ainsi, et sans débat public, le droit aux multinationales européennes de défaire ce que nos processus démocratiques ont créé comme réglementations dans l’intérêt public (en environnement notamment)? Pensons à notre réglementation sur les pesticides attaquée par la multinationale américaine Dow Agrosciences qui réclame 2 millions de dollars au Canada (les provinces pourraient subir directement de telles poursuites éventuellement).

Toujours concernant les services, le Canada défend l’approche par liste négative (tout est inclus sauf les exclusions devant être citées dans une annexe; les oublis ou les secteurs non encore développés au moment de la signature peuvent devenir visés par l’accord). L’UE préférerait l’approche par liste positive (seuls les secteurs nommés dans l’accord sont visés). Où se situe le Québec dans ce débat?

La culture est un autre sujet d’inquiétude. ATTAC-Québec a appris avec stupéfaction, de la bouche du négociateur du Québec lors d’une rare conférence publique à l’UQAM, que même la culture était sur la table de négociation, ce qui est en contradiction avec les engagements pris par le Canada et la Communauté européenne dans le cadre de la Convention pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.

Voilà que s’ajoute l’information fournie par le sénateur Francis Fox qui, dans une lettre rendue publique récemment, « soutient que le gouvernement du Québec a proposé d’adjoindre au futur accord avec l’UE un protocole visant à favoriser les échanges culturels, la coproduction et la coopération entre les parties. » Or, de tels projets culturels se sont très bien concrétisés avant, hors des traités de libre-échange. Pourquoi le Québec fait-il une telle proposition et pourquoi n’affirme-t-il pas plutôt clairement son engagement en faveur de la convention sur la diversité culturelle? La bataille de l’exclusion culturelle sera-t-elle à refaire à chaque nouveau traité commercial? Par ailleurs, c’est un fait notoire que le gouvernement conservateur est favorable à la levée des limites sur la propriété étrangère dans le domaine des télécommunications, avec des conséquences majeures sur notre paysage médiatique, notre identité, notre culture.

Bien d’autres aspects de ces négociations sont préoccupants concernant l’agriculture et la propriété intellectuelle notamment. Par exemple, l’Union européenne demanderait la prolongation des brevets sur les médicaments, ce qui aurait des lourdes conséquences sur leurs coûts pour le Québec comme pour les particuliers. Lorsqu’on sait que les coûts de médicaments sont l’une des grandes causes de l’augmentation du budget de la santé au Québec, au profit des pharmaceutiques, ne doit-on pas s’objecter à une telle demande?

En terminant, une association comme la nôtre ne peut passer sous silence la poursuite de la déréglementation de la finance qui se fait à travers le libre- échange. Scott Sinclair, du Centre canadien des politiques alternatives (CCPA), affirme : « En dépit de la récente crise financière qui a conduit l’économie mondiale au bord du gouffre, les négociateurs européens veulent l’imposition d’un test de nécessité restrictif concernant toutes les mesures visant à assurer l’intégrité et la stabilité du système financier. Cette proposition, plus intrusive que toutes celles des autres grands traités internationaux de commerce, serait une barrière à la réglementation financière des gouvernements d’une manière plus poussée que ce qui existe actuellement dans l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) et l’ALÉNA. Si acceptée, cette proposition alarmante affaiblirait considérablement la capacité des gouvernements de réglementer les pratiques nuisibles tant dans le système financier formel qu’informel, et de prévenir la récurrence d’une autre crise financière. » (Negociating from weakness, CCPA, avril 2010, p.18).

Il nous semble que bien des questions se posent et que l’accroissement des échanges commerciaux souhaité ne doit pas se faire à n’importe quel prix. Vue le manque de transparence et de débat public qui entoure ces négociations, nous n’en avons pas l’assurance.

Nous remercions la Commission des Institutions de l’attention qu’elle porte à ce commentaire.

En espérant qu’il contribue à une nécessaire prise de conscience concernant les enjeux de l’AÉCG et l’obligation de transparence qui devrait accompagner ces négociations.

Ce texte est tiré du site d’ATTAC-Québec

Discussion

Commentaire pour “Accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne”

  1. George Orwell a dit, une fois, que l’omission est le comble du mensonge.

    Voici de Blaise Pascal :

    « La justice est sujette à dispute.
    La force est très reconnaissable et sans dispute.
    On a pu donner la force à la justice puisque la force a contredit la justice et a dit que c’était elle qui était juste.
    Et ainsi, n’ayant pu faire que ce qui fut juste fut fort, on a fait que ce qui fut fort fut juste. »

    Il y a bien sur la force physique humaine, militaire ou les Forces — The Forces, mais il y a aussi les forces de persuasions. Normand Baillargeon ici au Québec, Serge Halimi en Europe, Noam Chomsky, Robert W. McChesney, Greg Palast aux États Unis sont quelques auteurs qui traitent de cela.

    Par rapport aux traités de libre échange en général, certains des auteurs ci-haut et bien d’autres nous présentent avec éloquence les méfaits de ces accords sur le plan humain, environnemental, etc.

    L’adversaire est l’illusion qu’une justice humaine existe où que ça soit dans notre Monde :

    Écrit par Patrick Collette | novembre 9, 2010, 16 h 44 min

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