L’auteure invitée est Nancy Neamtan, présidente-directrice générale du Chantier de l’économie sociale.
En 2010, à la demande d’un ensemble d’intervenants dont ceux du monde municipal, le gouvernement du Québec a entrepris une démarche en faveur d’une politique sur l’occupation des territoires.
Le MAMROT a ainsi invité un ensemble d’acteurs à donner leur avis afin de « Viser l’occupation dynamique des territoires et favoriser le développement économique dans toutes les régions du Québec. » Bien que l’enjeu du développement des territoires ait toujours été important pour le Québec, le contexte actuel lui donne maintenant un caractère plus stratégique et plus complexe que jamais.
Les débats soulevés par l’exploitation du gaz de schiste et d’autres ressources naturelles mettent en lumière la profondeur des divergences en ce qui concerne la nature même du développement souhaité pour et par nos territoires. Crise environnementale oblige, il est devenu nécessaire de questionner les objectifs réels du développement.
D’ailleurs, il n’est pas anodin que le Chantier de l’économie sociale ait choisi de parler du « développement » et non pas de « l’occupation » des territoires. Ce choix a été fait en partie par respect pour nos partenaires des Premières Nations, pour qui la notion d’occupation heurte des sensibilités historiques, mais également pour souligner l’importance d’une vision inclusive, durable et participative de l’avenir de nos territoires. Car le développement des territoires est, en premier lieu, l’affaire des gens qui les habitent.
Les citoyens, les organisations, les entreprises et les élus doivent être au centre des stratégies qui président à leur développement. Ces acteurs doivent avoir la capacité d’agir et les institutions locales et régionales doivent pouvoir disposer des moyens nécessaires pour ce faire en permettant à un ensemble d’acteurs de la société civile d’y participer. Certes, au-delà de cette participation citoyenne, une réflexion sur le développement des territoires doit nécessairement porter sur les indicateurs classiques de développement, qui renvoient à la simple croissance du produit intérieur brut (PIB), mais elle doit également questionner cette fausse idée que l’économie privée, la concurrence et les forces du marché favoriseront la meilleure redistribution des richesses produites ou des bénéfices de cette croissance économique. Elle doit nécessairement interpeller les politiques publiques qui cherchent à « remettre sur les rails » l’économie par de vieilles recettes axées trop souvent sur la relance de la consommation et un accroissement des exportations.
La participation du Chantier à la mise en place du Réseau pour un changement de logique économique (CLÉ) et la collaboration avec d’autres regroupements d’économistes « hétérodoxes » s’inscrit dans une mouvance internationale de questionnement de ces logiques économiques dominantes. Et cette mouvance prend de la force face à l’échec des stratégies économiques classiques, qui ont « frappé le mur » lors des crises financières, économiques, alimentaires et écologiques des dernières années. De plus en plus de discours alternatifs émergent et viennent remettre en question le discours de certains économistes qui ont la cote.
C’est le cas notamment de l’IRIS qui, sur la base d’analyses économiques approfondies, offre une lecture différente de l’économie du Québec. À cet égard, soulignons seulement leur suivi annuel de l’état du marché locatif au Québec qui permet de remettre en question les thèses de Claude Montmarquette à l’effet que le marché privé répond adéquatement aux besoins des locataires et, de ce fait, que les politiques publiques en matière d’habitation sont suffisantes pour répondre aux moins nantis d’entre eux. Au contraire, comme le démontre la contribution de l’IRIS dans les pages qui suivent, seule l’intervention de l’État, notamment par le biais de support aux projets issus de l’économie sociale, « semble apte à répondre positivement aux défis multiples que posent l’accès à un logement de qualité et abordable pour tous et toutes ». De là, une seule conclusion s’impose, soit la nécessité de reconduire le programme AccèsLogis sur une base pluriannuelle.
Il est devenu de plus en plus évident que la croissance économique pensée isolément des autres dimensions de la vie en société n’équivaut pas à un développement synonyme de progrès mais conduit plus souvent qu’autrement à des catastrophes sociales, écologiques et culturelles. Il est impératif de recourir à des indicateurs qui puissent mesurer la viabilité écologique, la vitalité culturelle, le respect de la diversité et la ré partition territoriale des activités économiques et sociales et, plus globalement, la répartition de la richesse.
En plus de contribuer avec d’autres à ce questionnement quant aux fondements mêmes de notre vision de développement, le Chantier de l’économie sociale poursuivra au cours de la prochaine année son travail de mise en valeur et de renforcement de l’économie sociale. Nous poursuivrons notre plaidoirie en faveur des entreprises collectives, car elles représentent la meilleure façon de préserver l’activité économique sur les territoires et d’assurer que les entreprises qui naissent et se développent soient enracinées de manière durable dans leur collectivité.
Nous insisterons sur l’importance que les outils dont disposent les collectivités ne posent aucune barrière aux entreprises d’économie sociale et que le choix de la forme d’entreprise (publique, privée, collective) puisse se faire sur la base des avantages respectifs.
Par ailleurs, nous réitérons l’importance que les pouvoirs publics contribuent à un développement durable par le biais de leurs propres achats de produits et de services. Les dépenses publiques des divers paliers de gouvernement constituent environ 50% du PIB du Québec, dont 25% en achat de biens et de services. L’adoption de mesures de développement durable et de pratiques d’acquisition éco-responsables par les ministères, les organismes publics et les municipalités, jumelées à des pratiques d’achat local, pourront être un moteur puissant de développement des territoires.
Nous poursuivrons nos démarches afin d’assurer l’accès à du capital patient pour toutes les entreprises d’économie sociale afin qu’elles puissent contribuer pleinement à un développement dynamique des territoires. De même, nous insisterons sur l’importance de créer un environnement favorable à l’innovation sociale, notamment en assurant l’accès à des ressources pour la formation continue, la recherche et le développement et à un capital adapté à ces formes d’innovation.
En somme, le Chantier entreprend l’année qui vient avec un programme chargé et, surtout, une volonté de contribuer pleinement à un développement dynamique et solidaire de tous les territoires du Québec.
Ce texte est tiré de Momentum, le bulletin économique du Chantier de l’économie sociale
Discussion
Pas de commentaire pour “Pour un développement dynamique et solidaire des territoires”