L’auteur invité est Jacques Charest, directeur général de la Fiducie du Chantier de l’économie sociale.

Comme toute entreprise, les entreprises d’économie sociale (EES) ont besoin de fonds pour démarrer, prendre de l’expansion, diversifier leurs activités ou moderniser leurs installations. Il existe différentes stratégies de financement pour répondre à ces besoins et diverses sources de financement : prêts, investissements en capital de risque, subventions, capital social et sources internes (tel que surplus cumulés). Tôt ou tard, une entreprise en démarrage ou en expansion sera nécessairement confrontée à des besoins de financement qui ne pourront être comblés uniquement par les surplus générés lors de ses opérations. L’entreprise devra forcément recourir à du financement externe. Plus les besoins financiers seront importants, plus les besoins de fonds négociés seront grands. Compte tenu de leur mode de tenure, il est extrêmement difficile pour une entreprise d’économie sociale d’avoir une capitalisation autonome hormis par ses revenus générés ou par le biais de subventions ou donations.

Contrairement aux entreprises à capital action, les coopératives et les organismes à but non lucratif ne peuvent et ne veulent céder une partie de leur contrôle et de leur propriété pour obtenir les investissements nécessaires à la réalisation de leur mission. N’ayant pas d’action à vendre, elles doivent donc se tourner vers d’autres sources pour assurer leur capitalisation.

Pour les entreprises d’économie sociale, cette réalité conditionne l’ensemble de leur développement. Le financement par endettement ne suffit pas; elles doivent avoir accès à des outils financiers spécifiques pour améliorer leur capitalisation, leur permettant ainsi de se développer tout en limitant le risque sur leur viabilité à long terme. Elles ont besoin de fonds de capitalisation abordables et suffisants pour continuer leur développement.

Voilà pourquoi, dès 1996, le Chantier de l’économie sociale a interpellé des partenaires financiers ainsi que les gouvernements canadiens et québécois pour mettre en place de nouveaux produits financiers venant suppléer à ce manque et permettant ainsi de « capitaliser » les entreprises d’économie sociale. Le premier outil fut le Réseau d’investissement social du Québec (RISQ) qui innovait avec un prêt de capitalisation pouvant atteindre 50k$.

Par la suite, la création de la Fiducie du Chantier de l’économie sociale en 2006, proposant un investissement, de 50k$ à 1,5 M$, sur une période de 15 ans sans aucun remboursement de capital, permettait dès lors d’offrir aux EES un produit unique et innovateur pouvant suppléer l’absence de capitalisation réelle.

Depuis maintenant trois ans que le déploiement des activités de la Fiducie du Chantier de l’économie sociale est en cours, nous pouvons constater l’impact de ce type d’investissement sur le développement des entreprises d’économie sociale dans l’ensemble des régions du Québec. D’ailleurs, dès sa mise en place, un des enjeux primordial pour la Fiducie fut de s’assurer de rejoindre les entreprises sur l’ensemble du territoire afin de participer, selon ses moyens, au développement dynamique des régions du Québec. Pour ce faire, nous avons déterminé des indicateurs clés nous permettant d’évaluer nos actions. Ces indicateurs sont tout autant quantitatifs (nombre d’emplois créés ou maintenus, investissements totaux générés) que qualitatifs (amélioration de la qualité de vie, participation au maintien ou au développement de l’attractivité d’une région ou d’un village, participation et appréciation des parties prenantes).

En effet, les résultats d’un investissement ne doivent pas se calculer sur la seule base des retombées financières et économiques mais tout autant au regard de son impact sur la vitalité et le dynamisme de la communauté. Certes, nous pouvons mettre de l’avant que, depuis trois ans, nous avons investi plus de 17 M$ dans les entreprises d’économie sociale dans la quasi-totalité des régions du Québec et que plus de 57% des projets et 43% des sommes investies l’ont été à l’extérieur des grands centres urbains, générant des investissements totaux de 144,2 M$. Cependant, on ne peut passer à coté de l’impact essentiel de ces investissements et des retombées attendues par les membres, travailleurs et usagers de ces entreprises, soit la création et le maintien de 1 500 emplois.

Ainsi, c’est aussi à un niveau plus qualitatif que doivent être calculés les impacts d’un investissement auprès des entreprises d’économie sociale. En effet, en plus de la consolidation d’emplois locaux, un investissement dans des coopératives ou des OBNL offrant des services de proximité (dépanneur, épicerie, commerce multiservice) participe très activement à dynamiser le tissu social d’un village ou d’une communauté, notamment par la création ou la conservation de lieux de socialisation informels et le maintien de services qui font bien souvent la différence entre une collectivité en déclin et une autre qui conserve son dynamisme et son attrait. Ce même constat s’applique aussi lorsque l’on investit dans des entreprises du secteur culturel ou récréotouristique.

Nous croyons fortement que c’est en participant à la capitalisation des entreprises d’économie sociale que nous sommes à même de les soutenir avec efficience. En consolidant leur structure financière, dans une optique de développement à long terme, nous leur permettons de se concentrer sur leur mission non économique. C’est ainsi, selon nous, qu’il faut voir l’économie autrement et ramener la finance à ce qu’elle doit être, c’est-à-dire un outil au service du développement des communautés.

Ce texte est tiré de Momentum, le bulletin économique du Chantier de l’économie sociale