L’auteur invité est Richard Lefrançois, professeur associé à l’Université de Sherbrooke.
Deux indicateurs sociaux confirment la progression du vieillissement actif au Québec, soit le retour à l’emploi de nombreux retraités et le recul de l’âge de la retraite. Cette tendance lourde est stimulée par des mesures gouvernementales proactives et des initiatives novatrices qui rehaussent l’employabilité des travailleurs âgés.
Devenue pratiquement inaccessible à une vaste majorité, la retraite à 55 ans semble donc tomber en désuétude. La vogue Liberté 55 n’aura finalement profité qu’à une minorité de privilégiés.
En revanche, on ne dénombre plus les retraités précoces qui, regrettant leur décision d’avoir déserté le marché de l’emploi, tentent désespérément un retour. En aval, les travailleurs âgés se heurtent à la redoutable réalité économique. Ils n’ont guère d’autres choix que de prolonger leur vie active.
La retraite, telle qu’on la connaît, serait-elle en voie de disparition ? Pourquoi l’engouement pour les retraites précoces s’est-il à ce point effacé ? Enfin, comment justifier la réticence de certaines entreprises à s’ajuster à cette implacable réalité ?
Conciliation retraite-emploi
Que ce soit pour des raisons budgétaires, pour conserver son réseau social, pour demeurer alerte mentalement, par plaisir ou pour combattre l’ennui, environ le tiers des 60 ans et plus choisissent aujourd’hui de jumeler leur revenu de retraite à celui du travail. En incluant les activités rémunérées non déclarées à l’impôt, près de la moitié des 60 à 75 ans retireraient des revenus d’un emploi.
S’agissant des retraités, un récent sondage Ipsos Reid révèle que 40 % ont réintégré le monde du travail au cours des dix années qui ont suivi la cessation d’emploi. Dans la majorité des cas, le travail autonome ou à temps partiel était privilégié.
On ne s’étonnera point de ce retournement sachant que la demande pour les travailleurs expérimentés s’accentue dans le secteur de la haute technologie, mais aussi ceux du commerce au détail, du tourisme et de l’horticulture. Pendant qu’IBM, par exemple, réembauche ses ex-employés, des entreprises comme Home Depot, McDonald’s et Wal-Mart accueillent des retraités à bras ouverts.
Pendant ce temps, les programmes de stages et de parrainage fleurissent, tandis que les emplois flexibles comme ceux à temps partiel ou le télétravail se généralisent. Les organismes d’aide aux travailleurs âgés se multiplient, tels Service Accès-emploi, Pacte pour l’emploi+, puis Initiative ciblée (fédéral) et Programme de soutien (Québec). Sur la toile, un grand nombre d’organismes voués aux aînés, comme la FADOQ et l’AREQ, ont ajouté une rubrique sur leur site pour promouvoir l’embauche des aînés et le travail à domicile (p. ex., Défi travail 50 plus).
Une volte-face des personnes expérimentées ?
La dernière décennie a été le théâtre d’un cumul d’événements économiques dévastateurs qui ont détérioré les conditions de vie de nombreux retraités, actuels et futurs, et refroidi leurs aspirations. Chômage, sous-emploi et bas salaire ont été le lot des plus vulnérables. L’insuffisance du revenu et la faiblesse de l’épargne expliquent la volonté des uns de retourner sur le marché du travail, des autres de prolonger leur vie active.
Des facteurs structurels hautement destructeurs d’emploi ont induit cette fragilité : mondialisation des marchés, délocalisation des entreprises, modernisation organisationnelle et explosion des technologies. D’autres facteurs, conjoncturels cette fois, ont aggravé la situation, soit la débâcle des marchés financiers, la dégringolade boursière, la vigueur du dollar, la contre-performance des caisses de retraite et les fraudes économiques.
La récession qui a suivi a amputé le pouvoir d’achat des consommateurs et intensifié leur endettement. C’est pourquoi le tiers seulement a cotisé à un REER au cours de la dernière année, sans compter que 60 % ne possèdent toujours pas de véhicule complémentaire de retraite.
Les Québécois récoltent en ce moment un faible rendement de leurs placements, la fraction de cette source de revenus ayant fortement chuté. Ils s’aperçoivent que leurs minces économies ne suffiront pas pour subvenir à leurs besoins pendant la longue période de la retraite qui s’étire au rythme de l’élévation de l’espérance de vie. La perspective de percevoir uniquement la rente de retraite des deux paliers gouvernementaux n’est guère réjouissante, même en étant admissible au Supplément de revenu garanti et à l’Allocation au conjoint.
Des actions discordantes
On rappellera qu’afin d’inciter les 55 ans et plus à la retraite progressive, le gouvernement québécois a adopté des dispositions législatives assouplissant certaines conditions et règles d’admissibilité. La RRQ majore de 0,5 %, pour la vie, la rente de retraite des personnes demeurant à l’emploi après 65 ans. Les travailleurs de 60 à 65 ans peuvent percevoir leur rente de retraite anticipée à condition que leurs revenus d’emploi ne dépassent pas 11 800 $ ou qu’ils acceptent une réduction salariale d’au moins 20 %. Également, ceux bénéficiant d’un régime complémentaire de retraite peuvent continuer à travailler tout en retirant jusqu’à 60 % de leurs prestations.
Par opposition, une multitude d’entreprises hésite à emboiter le pas, à négocier le virage vers la main-d’oeuvre âgée. Obnubilées par la concurrence et le besoin impérieux d’innover, elles misent sur la jeunesse et sont réfractaires à intégrer dans leurs rangs les demandeurs d’emploi expérimentés, exception faite des surqualifiés. Craignant que leurs employés âgés actuels deviennent moins productifs et constituent un fardeau, elles trouvent le moyen de les pousser vers la sortie.
Comme en témoignent ces orientations divergentes de l’État et du secteur privé, une vision concertée et porteuse tarde à se manifester en matière d’emploi « senior ».
Mises en garde
La concrétisation du vieillissement actif rassurera sans doute ceux qui claironnent ad nauseam qu’une grave pénurie de main-d’oeuvre est imminente. Elle plaira à ceux qui brandissent le spectre de la mise à sac des régimes de retraite imputable au surnombre des prestataires et à la pauvreté des cotisants. Ce n’est pourtant pas le déséquilibre démographique qui a conduit au vieillissement actif, mais bien l’actuel contexte économique particulièrement difficile.
Cela dit, ce serait rompre le pacte de la solidarité intergénérationnelle que de profiter de cette effervescence entourant l’embauche des travailleurs âgés pour traiter ces derniers de façon inéquitable, revoir à la baisse leurs prestations de retraite, écourter la période d’admissibilité et limiter l’accès des jeunes à l’emploi.
Mais une question plus fondamentale se pose. Pour paraphraser l’éthicien Hubert Doucet, souhaitons-nous que nos aînés travaillent plus longtemps ou préférons-nous bénéficier de leur sagesse et aptitude à transmettre, aider et réconforter ?
Ce texte est tiré du blogue gérontologique de Richard Lefrançois
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