L’auteur invité est Guillaume Duval, rédacteur en chef du magazine Alternatives Economiques.
La crise de l’Irlande, qui a dû faire appel au fonds de stabilisation européen, est moins lié à une dégradation de sa situation qu’à l’annonce, faite au dernier sommet européen, que la dette des pays aidés serait restructurée.
Après la Grèce, c’est donc au tour de l’Irlande de devoir avoir recours au soutien de l’Union européenne et du Fonds monétaire international, via le fonds de stabilisation de 700 milliards d’euros mis en place en urgence au printemps. On savait depuis longtemps déjà que l’Irlande était un maillon particulièrement faible de la zone euro du fait de l’ampleur exceptionnelle de la bulle immobilière qu’elle avait connue avant la crise et de la taille colossale de la dette qui en avait résulté, fragilisant gravement son système bancaire. Si cette crise se produit maintenant, ce n’est cependant pas lié à une aggravation inattendue de la situation irlandaise. Ce qui explique d’ailleurs que, contrairement à la Grèce, le gouvernement irlandais ait résisté plusieurs jours avant d’accepter l’aide du Fonds, en raison de la perte de souveraineté qu’elle implique nécessairement en contrepartie. Cette crise est due pour l’essentiel aux décisions du dernier sommet européen fin octobre annonçant une profonde modification des règles du jeu au sein de la zone euro. Explications.
Sur l’insistance notamment des autorités allemandes, l’Union monétaire avait été basée sur une absence totale de solidarité entre ses membres. Les pays de la zone euro se dotaient certes d’une monnaie commune mais chacun restait seul responsable de ses dettes publiques. Et en cas de problème, pas question d’obtenir de l’aide de l’Union européenne, de la Banque centrale européenne ou des autres Etats membres. C’était même explicitement interdit par l’article 125 du Traité de Lisbonne. L’objectif : responsabiliser les Etats afin d’éviter que la disparition de la pression qui s’exerçait auparavant sur le taux de change des Etats laxistes ne les conduisent à accumuler déficits et dettes de façon inconsidérée. Il existait certes aussi un article « catastrophe », qui permettait de lever cette interdiction mais les conditions pour y recourir étaient très restrictives. Dès le départ, la viabilité de cette dichotomie entre monnaie commune et absence totale de solidarité paraissait douteuse, mais c’était la condition pour que l’Euro voie le jour…
Avec la crise grecque cet irréalisme est apparu de façon indubitable : la crise de la dette d’un Etat risque en effet de se propager à d’autres et, de fil en aiguille, de mettre en danger l’existence même de l’euro. Il a donc fallu prendre acte de la nécessaire solidarité des Etats membres de la zone euro avec la création du fonds de stabilisation. Mais celui-ci n’a été établi que pour trois ans et la conformité juridique du mécanisme aux traités européens ne paraissait pas assurée à 100 %. C’est la raison pour laquelle il y avait urgence à mettre en œuvre une solution pérenne et bordée juridiquement. Travail engagé lors du dernier Conseil européen.
Celui-ci a en effet acté la prorogation du mécanisme provisoire, tout en l’associant à une modification limitée du Traité. Mais le Conseil européen a aussi acté une nouveauté à la demande encore une fois des autorités allemandes : l’aide apportée par ce fonds de stabilisation devra désormais aller de pair avec une restructuration de la dette des Etats concernés. Ce qui signifie que les créanciers qui détiennent des titres de dette émis par l’Etat concerné, devront accepter de perdre une partie de leur capital. Alors que, jusque-là, tous les Etats, y compris l’Etat grec, avaient affirmé haut et fort qu’en tout état de cause, ils rembourseraient leur dette jusqu’au dernier centime. C’est ce qui a mis le feu aux poudres : les investisseurs en ont en effet – logiquement – déduit que détenir des titres de dettes irlandais, portugais ou encore espagnols était devenu encore beaucoup plus risqué qu’avant ce sommet. D’où la forte hausse des taux d’intérêt exigés de la part de ces Etats. Cette conséquence prévisible n’avait cependant pas été anticipée lors du Conseil européen. D’où la réunion en catastrophe des dirigeants européens présents lors du G20 de Séoul. Pour tenter de calmer le jeu, ils ont alors indiqué que cette restructuration des dettes publiques ne s’appliquerait qu’aux titres émis après 2013. Mais une fois la spéculation enclenchée cette annonce n’a pas suffi à éteindre l’incendie. D’autant que les modalités du mécanisme futur de restructuration des dettes restent encore entièrement à définir.
Qu’en penser au fond ? Comme c’est le cas pour des ménages ou des entreprises privées, il est logique d’exiger des investisseurs qui ont pris des risques inconsidérés qu’ils participent à l’effort de sauvetage quand un Etat n’est plus en état de rembourser ses dettes. D’autant plus que l’existence d’un tel mécanisme a la vertu de les inciter à être plus prudents à l’avenir. Simplement, cette annonce présente dans l’immédiat l’inconvénient d’obliger à soutenir tout de suite les Etats menacés alors que, sans cela, on aurait peut-être pu jouer la partie prévue : l’existence du fonds de stabilisation devait en effet suffire à calmer la spéculation sans qu’il soit réellement besoin de s’en servir. La perspective de voir l’Europe enfin dotée d’un dispositif de solidarité budgétaire pérenne acceptable par tous les Etats européens vaut bien cependant les quelques dizaines de milliards d’euros qu’il va falloir verser, à fond sans doute en bonne partie perdus, à l’Etat irlandais.
Ce texte est tiré du site d’Alternatives Economiques
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