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Le samedi 23 avril 2022

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La fin des paradis fiscaux ?

L’auteure invitée est Laurence Roland, de l’association belge Réseau finance alternatif.

L’évasion fiscale (ou l’optimisation, c’est selon) s’élève au niveau mondial à plusieurs centaines de milliards de dollars. Des sommes astronomiques que les États, affaiblis au lendemain de la crise, aimeraient bien récupérer, d’autant que les paradis fiscaux ont contribué à cette crise.

En mai dernier, un sondage commandité par De Standaard indiquait que 20 % des Belges estiment que la fraude n’est pas un problème. Un Belge sur cinq est donc prêt à ne pas déclarer une partie de ses revenus à l’administration fiscale, ce qui bien sûr est illégal ! Cela peut aller des travaux d’entretien de sa maison, payés de main à la main, jusqu’à toucher des intérêts d’argent placé au nez et à la barbe du fisc belge, comme les dizaines de Belges qui, avant l’amnistie fiscale, se rendaient chaque année au Luxembourg à cette fin.

Légal, mais pas éthique

À côté de la fraude, il y a l’évasion fiscale à travers laquelle des personnes extrêmement riches ou des entreprises déclarent leurs revenus dans un pays (un paradis fiscal) où l’activité n’a pas eu lieu et, qui plus est, où le taux d’imposition est faible ou nul. Pour les artisans de ces constructions financières hautement techniques, il s’agit, non pas de fraude, mais de faire jouer la concurrence fiscale au niveau mondial. Au sens strict, cette pratique est légale, la législation de ces pays la permettant.

Mais elle crée un manque à gagner gigantesque pour les pays où l’activité est effectuée. Les paradis fiscaux profitent à une minorité de personnes riches au détriment de la majorité qui paie ses impôts et supporte les coûts collectifs de son pays. Les paradis fiscaux participent également à l’instabilité financière lorsque, par exemple, une banque ou un hedge fund décide d’y loger des produits financiers hautement risqués qui échappent au contrôle des pays où ils sont actifs. À la suite de la crise des subprimes de 2008, les banques ont été priées d’épurer leurs actifs et de se débarrasser de toutes les créances nocives. Northern Rock a été nationalisée pour éviter la faillite, mais, bien vite, le gouvernement britannique s’est rendu compte que l’essentiel des créances de la banque était détenu par une société-écran de Jersey, sans aucun lien juridique avec Northern
Rock ! L’objectif de ces délocalisations est donc d’échapper au fisc de son pays pour payer le moins d’impôts possible (voire pas du tout !), mais également de se soustraire à la justice et au contrôle de ses activités dans son pays d’origine.

Quelques chiffres

On estime que 10.000 milliards de dollars d’actifs financiers seraient détenus et gérés via des paradis fiscaux (alors que le PIB mondial, à titre de comparaison, s’élève à 71.000 milliards de dollars) et que 50 % des flux financiers mondiaux transiteraient par des paradis fiscaux. D’autres sources affirment que, chaque année, ce sont entre 600 et 800 milliards d’euros qui échappent aux pays en développement, dont une partie à cause de la fraude et de l’évasion fiscale des entreprises multinationales.

Si l’on peut comprendre aisément l’intérêt d’une entreprise à créer de tels montages financiers, on peut aussi comprendre celui des États à créer de tels paradis pour l’argent ou les emplois que cela génère. La Grèce, qui emploie des milliers de personnes dans le secteur de la marine, ne taxe aucunement les armateurs.

Le Luxembourg pense probablement quant à lui à préserver les emplois de son secteur bancaire. Car le Luxembourg – tout comme la Belgique jusque récemment – est considéré par l’OCD comme un paradis fiscal, au même titre que les Iles Caïman ou le Panama ! Cette organisation internationale juge un pays au regard de trois critères : des impôts sur les revenus, les bénéfices ou le patrimoine insignifiants ou inexistants ; l’application stricte du secret bancaire ; une coopération judiciaire et fiscale avec les autres États faible. Au-delà de la fiscalité avantageuse de ces pays, c’est leur non-coopération avec les administrations fiscales d’autres pays qui est jugée problématique.

Plus jamais ça !

Secoués par la crise de 2008, plusieurs États, dont la France et l’Allemagne, avaient montré leur volonté forte d’en finir avec les paradis fiscaux. L’OCDE a donc été chargée de fournir une liste de ces paradis. La liste comprend trois parties. Une première (noire) pour les pays ne voulant pas coopérer avec le fisc étranger, une seconde (grise) pour les pays s’étant engagés oralement au moins à coopérer et, enfin, une blanche pour les pays coopératifs. Quatre pays seulement (le Costa Rica, le territoire malaisien de Labuan, les Philippines et l’Uruguay) se sont retrouvés sur la liste noire. Au bout de quatre jours, plus aucun pays n’y figurait – tous ayant promis de coopérer. L’ère du secret bancaire est révolue !

D’un côté, ceci montre que le fait de pointer du doigt un certain nombre de pays pour leur non-coopération et de les menacer de sanctions a fait évoluer les mentalités et a incité ces pays au changement. D’un autre côté, on peut s’étonner de la facilité avec laquelle il a été possible de passer d’une liste à l’autre.

L’ère du secret bancaire est-elle révolue ?

Identifier les paradis fiscaux et demander à leurs autorités de collaborer avec les instances fiscales des autres pays est un des moyens d’éradiquer l’évasion fiscale. Mais, on le voit, la construction d’une telle liste est compliquée et demande de la part des organismes qui la créent une impartialité totale, dénuée de tout conflit d’intérêts. Il conviendrait aussi de sanctionner les comptables et les juristes qui permettent l’élaboration de tels montages financiers. Enfin, il s’agirait aussi de sanctionner les fraudeurs, mais, là encore, même si un certain nombre de pays ont accepté de collaborer en fournissant les informations demandées par les administrations fiscales d’autres pays, il subsiste d’importantes difficultés pratiques. D’une part, les pays coopérants ne sont pas toujours à même de fournir l’information demandée et, d’autre part, l’administration fiscale du pays concerné est souvent dans l’incapacité de demander une information précise sur une situation qu’a priori elle ignore, puisqu’elle est précisément censée être secrète ! D’autant que le pays demandeur ne peut réclamer d’informations qu’en cas de preuve d’évasion fiscale et non en cas de simple doute. L’ère du secret bancaire a donc encore vraisemblablement de beaux jours devant elle !

On peut consulter ce texte, avec ses notes de bas de page, dans le magazine Financité, à la dernière ducument pdf.

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