L’auteur invité est Michel Rioux, syndicaliste.
Après la forte présence médiatique, au cours des dernières semaines, d’une droite omniprésente avec son Réseau Liberté-Québec et le parti virtuel d’un François Legault et consorts, il était rassurant de constater, dans Le Devoir du 13 novembre, que 31 % des Québécois se considèrent à gauche de l’échiquier politique contre 27 % à droite; que 40 % d’entre eux, contre 17 %, veulent que soit réduite la latitude donnée au privé dans l’exploitation des richesses naturelles; que 33 % contre 14 % tiennent à limiter la place du privé en santé; que 24 % contre 17 % veulent hausser le budget des transports collectifs; que 16 % seulement contre 32 % s’identifiant à la droite veulent réduire les impôts, avec comme conséquence la réduction des programmes sociaux.
Pour une gauche dont on annonce en manchette qu’elle est en échec, voilà à tout le moins une source de réconfort…
Même l’élément le plus spectaculaire de ce sondage — 44 % des Québécois qui disent souhaiter une réduction de la taille de l’État — peut être de nature à réjouir la gauche si on prend en considération le fait que de ce côté aussi, les monstres bureaucratiques que sont devenus les deux plus importants ministères, Santé et Éducation, n’en finissent plus, par leur incurie et leur impéritie récurrentes, de soulever la colère et la frustration des citoyens. Comment, en effet, devant la situation proprement indécente touchant l’accès aux soins et les problèmes maintes fois dénoncés dans les écoles et les universités, ne pas s’indigner quand on apprend, comme ce fut le cas récemment, qu’une hausse phénoménale de cadres et de personnel administratif est néanmoins constatée?
Débureaucratisation
Les organisations syndicales réclament depuis longtemps qu’on réduise les pouvoirs de ces bureaucraties isolées dans leurs tours d’ivoire, qui imposent de haut leurs réformes contre-productives sans que soient pris en compte les points de vue de ceux qui, dans les écoles, dans les hôpitaux, dans les services sociaux, sont directement en contact avec le vrai monde sur le terrain. Du temps de sa présidence à la CSN, Gérald Larose, pour ne citer que celui-là, n’avait de cesse de réclamer une débureaucratisation véritable des services de l’État. Des années plus tard, les organisations syndicales y sont toujours ouvertes et la création il y a quelques jours d’une Alliance sociale pourrait être à l’origine d’un mouvement visant à redéfinir les contours d’une autre politique.
Avec l’accumulation des scandales à répétition dans le monde de la construction et des municipalités, la révélation des liens occultes avec la caisse électorale du parti qui forme le gouvernement et qui, de ce fait, représente l’État, comment s’étonner que la population se fasse une idée plutôt négative de ce qu’est l’État québécois? Sans oublier l’État canadian, qui nous impose sans consultation aucune l’achat d’avions chasseurs d’une valeur de 17 milliards et qui augmente de façon fulgurante les budgets militaires. Nous a-t-il demandé, l’État canadian, si ces sommes colossales auraient été mieux investies dans l’amélioration du réseau de garderies, dans l’organisation de meilleurs soins à domicile pour les personnes âgées ou encore pour éviter que soient haussés les droits de scolarité? Quand l’État traite les citoyens de la sorte, comment s’étonner que ceux-ci s’en méfient et souhaitent qu’il soit le moins visible possible?
C’est la démocratie elle-même qui est en cause ici, et non pas la social-démocratie, comme le clament les ténors de la droite, qui devraient avoir l’honnêteté de reconnaître qu’une large part des problèmes auxquels nous sommes confrontés vient d’une trop grande confiance accordée par les États à un marché soi-disant autorégulé, autrement dit laissé à lui-même.
Rompre avec la social-démocratie?
On a entendu une porte-parole de ce Réseau Liberté-Québec affirmer récemment sans sourciller que le Québec devait rompre avec la social-démocratie. Rien de moins. S’il est vrai qu’au Québec, davantage qu’ailleurs en Amérique du Nord, des politiques inspirées de la social-démocratie — réseau de garderies, assurance automobile, assurance maladie, loi antibriseurs de grève, aide juridique — ont été mises en place tant par des gouvernements libéraux que péquistes, un cours de science politique 101 aurait indiqué à cette personne qu’aucun gouvernement québécois ne peut se réclamer de cette étiquette.
Ce qui existe cependant, et qui est pour le moins étonnant, c’est ce front de boeuf qu’affichent les ténors de cette droite qui, comme le souligne à juste titre Jean-François Lisée dans Le Devoir, «n’ont jamais avoué s’être plantés. Ils font comme si ce n’était pas de leur faute. C’est impressionnant!» Or, c’est justement cette droite et ses idées, propagées dans le temps par l’École de Chicago et ici aujourd’hui par l’Institut économique de Montréal, relayées par l’ensemble des médias, qui ont conduit les sociétés occidentales dans le marasme économique et social qu’on connaît. Et si le Québec, comme le démontrent mois après mois les statistiques, s’en tire relativement mieux qu’ailleurs, il le doit sans l’ombre d’un doute au filet social et aux mesures progressistes adoptées au fil des ans et qui s’inspirent directement de la social-démocratie, c’est-à-dire de la justice sociale et de la solidarité, entre autres.
La renouveler plutôt!
Mais il ne s’agit pas d’agiter la social-démocratie comme un mantra. S’il est vrai que, dans les pays où des gouvernements sociaux-démocrates ont été au pouvoir, la qualité de vie non seulement des travailleuses et des travailleurs, mais aussi celle l’ensemble de la population, a connu des progrès réels, on a aussi vu des dérives déplorables. Les gouvernements de Tony Blair en Angleterre et de Gerhard Schroeder en Allemagne en témoignent.
Il s’agit donc aujourd’hui de redéfinir ce que pourrait être une social-démocratie généreuse, adaptée aux temps présents et offrant une vision de l’avenir prenant en compte non seulement les impératifs du réel, mais aussi les aspirations des citoyennes et des citoyens à vivre mieux. La social-démocratie pourrait contribuer à transformer l’État pour répondre mieux aux besoins contemporains, à le démocratiser véritablement afin de le rapprocher de citoyens, qui seraient ainsi davantage responsabilisés. Le travail pourrait être réorganisé pour que les qualités des travailleuses et des travailleurs soient mieux utilisées.
Nous sommes justement nombreux à croire qu’il est possible de «recommencer à penser le monde autrement», comme l’indique le thème du Colloque international sur le renouvellement de la social-démocratie qui se tiendra à Montréal les 26 et 27 novembre. Il y sera question, dans une perspective québécoise, de mondialisation, de travail, de développement économique durable, de l’État et de ses relations avec les citoyens, de démocratie, de politiques sociales et de solidarité, sujets qui, nous en sommes convaincus, pourraient aboutir sur ce que nous appelons des «utopies concrètes».
Y participeront des acteurs sociaux agissant sur les scènes politiques, universitaires, communautaires et syndicales et qui sont convaincus que l’avenir du Québec ne passe pas par une rupture avec la social-démocratie, mais bien par l’implantation d’une social-démocratie renouvelée dans son discours, régénérée dans sa composition et ajustée aux besoins de notre temps.
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Appuient ce texte les membres du collectif organisateur du colloque: Gilles L. Bourque, Louis Côté, Michel Doré, Marilyse Lapierre, Robert Laplante, Gérald Larose, Benoît Lévesque, Joseph-Yvon Thériault et Yves Vaillancourt.
Ce texte est tiré du site web du journal Le Devoir
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