L’auteur invité est Jean-Louis Laville, sociologue et économiste, professeur au Conservatoire National des Arts. Propos recueillis par Thibaut Monnier
FINANcité : Jean-Louis Laville, quel est le mobile de votre livre ?
Nous sommes trop nombreux à croire que notre liberté s’arrête là où celle de l’État et celle du marché commencent. Or, la crise que nous traversons démontre qu’aborder les problèmes exclusivement à travers ces deux acteurs mène à l’impasse. Il existe un troisième pilier : celui de l’associationnisme.
Qu’est ce que l’associationnisme apporte de plus que l’État et le marché ?
Tout d’abord, le fait de s’associer implique l’envie d’agir ensemble et librement. Ensuite, l’action se base sur une égalité de principes entre les individus. On sort donc des relations de domination inévitables au sein des institutions étatiques. Enfin, l’association suppose qu’on rompe avec l’utilitarisme généralisé, dans lequel nous enferme le marché, pour enfin se soucier du bien commun, fruit de la collectivité.
Que reprochez-vous à l’économie dominante ?
De nous imposer un discours unique. Le gros problème aujourd’hui est que la politique ne fait plus qu’avaliser les choix économiques. L’économie repose jusqu’ici sur un calcul purement égoïste : plus d’argent en moins de temps et pour le moins de monde possible. Problème d’autant plus grave pour les jeunes générations qui se retrouvent dans une situation intenable. Comment avoir confiance dans un système où les seules perspectives sont le chômage et la détérioration des conditions de vie ?
Est-ce là qu’intervient l’économie solidaire ?
Absolument. L’économie solidaire considère la finance et l’économie selon les besoins de l’individu et de la société en même temps. C’est cette tournure que doit prendre l’économie si elle ne veut pas foncer droit dans le mur.
Comment aboutir à un tel résultat ?
Les initiatives ne peuvent pas aboutir efficacement si elles ne sont pas articulées avec des politiques publiques. Il ne s’agit donc pas d’agir en solitaire, mais de trouver de nouvelles alliances avec les pouvoirs publics. C’est la clé pour une évolution positive.
Avez-vous des exemples ?
C’est ce qui est en train de se jouer en Amérique du Sud où des pays comme le Brésil ou la Bolivie développent des politiques d’économie solidaire. C’est encore le cas en Équateur qui a récemment inscrit l’économie solidaire au sein de sa Constitution. Ces politiques sont issues d’une économie de survie de la part des populations défavorisées. Cette économie populaire a fini par s’organiser, et à retenir l’attention des pouvoirs publics. Chez nous, on commence progressivement à retrouver, derrière l’anonymat du choix économique, la réalité des personnes qui y contribuent avec le développement des circuits courts, des monnaies sociales, du commerce équitable.
Vous écrivez que la consolidation de la démocratie ne saurait être trouvée dans des aménagements mineurs. Une révolution est-elle nécessaire pour rendre à la démocratie sa priorité sur l’économie ?
Ce que je veux dire c’est qu’on n’arrivera pas à trouver une solution à travers ce que l’on met en avant aujourd’hui, c’est-à-dire la moralisation du capitalisme. Ce mode de fonctionnement économique est fondamentalement antisocial depuis les années 80. Vouloir le moraliser est un aménagement mineur. De la même façon, on ne peut pas s’en sortir en reprenant les politiques keynésiennes reposant sur l’alliance entre le marché et l’État. Le but est que le capitalisme soit soumis à des règles qui émanent de décisions collectives. Ce qui amène à de nouvelles complémentarités entre les pouvoirs publics et la société civile. Il s’agit d’introduire des pratiques différentes qui intègrent les débats politiques pour que progressivement soient imposées des réformes de fond.
Actuellement, l’économie est contradictoire avec la démocratie. Il faut sortir de là. Le débat n’est plus celui de réforme ou révolution. Le rapport au changement social est plus pragmatique. Il ne doit plus être amené par une avant-garde éclairée, mais doit être pris en main par la société et discuté par les pouvoirs publics. C’est ça la clé pour un changement qui aille dans le sens de l’approfondissement de la démocratie et non pas de sa remise en cause.
Selon vous, le discours éthique du capitalisme marchand n’est pas, comme beaucoup le pensent, une réaction aux protestations de la société civile. D’où vient-il dans ce cas ?
Le capitalisme marchand ne peut se passer de légitimité. D’où le recours à un discours éthique. Si on observe la genèse de la responsabilité sociale des entreprises, on se rend compte que les grandes entreprises ont progressivement imposé leur définition de l’éthique pour délégitimer tout ce qui est de l’ordre de l’action publique. C’est ce qui s’est passé dans les années 70 avec les gouvernements Thatcher et Reagan qui ont voulu remplacer l’intervention publique par l’autorégulation des entreprises, leur laissant la liberté de dire ce qu’est l’éthique et ce qu’elle n’est pas. L’entreprise apparaît ainsi comme la solution aux problèmes de société. C’est ce même argumentaire qui a donné naissance au monétarisme et au néolibéralisme.
Comment pensez-vous réintégrer l’éthique dans le processus de démocratisation de l’économie ?
L’éthique doit être subordonnée à la loi et ne doit pas la remplacer. Le monde de la grande entreprise telle qu’il est aujourd’hui vide l’action éthique de ses garanties législatives. Or, pour protéger les faibles des forts, la loi a toujours mieux valu que la philanthropie qui les enferme dans la dépendance. Cette philanthropie est dangereuse, car elle repose sur une inégalité entre celui qui donne et celui qui reçoit, offrant une position de supériorité à celui qui donne, c’est-à-dire à l’entreprise. L’éthique ne doit pas être la préoccupation d’un individu qui domine les autres, elle doit émaner d’une définition mutuelle de la collectivité.
Le mot de la fin ?
On est à la croisée des chemins. Maintenir volontairement le système tel qu’il est aujourd’hui ne fera qu’accroître les tensions entre citoyens. On le voit aujourd’hui avec ce qui se passe en Grèce ou en Espagne où les populations sont soumises à des contraintes de plus en plus lourdes. On a cru après la Seconde Guerre mondiale qu’il suffisait de corriger le marché par l’action de l’État. C’était une erreur. Il faut maintenant aller de l’avant. La richesse se trouve aujourd’hui dans la multitude des propositions de la société civile. Il faut les écouter.
Ce texte est tiré du magazine Financité, page 16.
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