Récemment, Henry Mintzberg, le « gourou montréalais » du management, s’est entretenu avec Éric Desrosiers du journal Le Devoir. Ce spécialiste, reconnu à l’international – il est classé par le Wall Street Journal parmi les dix penseurs les plus influents dans le monde des affaires – nous surprend continuellement par ses propos non-orthodoxe sur les pratiques de gestion des entreprises.
Parlant de la façon dont les Américains ont géré leurs entreprises pendant des années, il affirme que la dernière chose dont on a besoin maintenant serait de les prendre pour modèle. C’est pourtant ce que font presque tous les membres de notre élite et politique au Québec, et encore plus au Canada.
« Les Américains n’ont rien compris […] Leur pays n’est pas encore sorti de la crise et ils se remettent déjà, comme dit l’expression, à faire ce qu’ils ont toujours fait, ce qui ne peut que les mener à obtenir ce qu’ils ont toujours obtenu. »
Henry Mintzberg dénonce la manière dont les entreprises étatsuniennes ont obtenu des gains de productivité depuis une bonne quinzaine d’années, au plus grand contentement des économistes et autres analystes financiers, mais qu’il estime complètement décrochée de la réalité des entreprises. Cette vision de l’efficacité repose souvent sur des dirigeants « de passage » traités comme des vedettes et qui gèrent les entreprises « par proclamation », déplore-t-il.
Les entreprises américaines se sont retrouvées ainsi « à virer des employés en masse en pensant que ceux qui restaient pourraient continuer à faire le même travail ». Tout ce que cela a donné, c’est une multiplication des cas d’épuisement professionnel chez les employés et de juteux bonus pour les dirigeants.
Pour Mintzberg, « les entreprises sont des institutions. Elles sont à leur meilleur quand des êtres humains engagés travaillent ensemble dans des relations de collaboration, de respect et la confiance. Détruisez ces conditions et c’est toute l’institution des affaires qui s’écroule. »
Il rejette aussi l’idée que les entreprises se soumettent au diktat de la Bourse et de ses humeurs, variant au gré des résultats trimestriels. Comme le signale Éric Desrosiers, il voit aujourd’hui avec effroi les économistes et autres analystes faire pression sur les entreprises québécoises et canadiennes pour qu’elles rattrapent leur retard sur leurs concurrentes américaines en matière de productivité.
Même s’il n’ose pas trop donner de conseils aux Québécois, il affirme néanmoins que « le Québec possède l’une des économies les plus saines en Amérique du Nord, notamment parce qu’il a su préserver l’équilibre entre les secteurs public, privé et communautaire. C’est aussi l’un des endroits où il fait bon vivre en Amérique du Nord ». Un conseil qu’il se permet néanmoins d’énoncer, et qu’il serait peut-être temps de mettre en œuvre au Québec, est « … [d’]arrêter d’imiter ce qui est à la mode, comme de jeter autant d’argent aux compagnies pharmaceutiques et technologiques ». Il serait peut-être temps de réévaluer si les coûts astronomiques de notre politique favorisant les entreprises de médicaments d’origine, dans le contexte où ces dernières quittent les unes après les autres le Québec, sont toujours compensés par des impacts positifs nets pour le Québec en termes d’investissements et de revenus.
Note: quelques-unes des citations de mon billet sont effectivement tirées – comme le souligne Jacinthe Tremblay en commentaire – de son livre « Entretiens avec Henry Mintzberg ». Désolé de l’oubli.
Plusieurs des citations de l’article d’Éric Desrosiers sont tirées du livre Entretiens avec Henry Mintzberg, dont je suis l’auteure. On y trouve la plus importante série d’entrevue accordées depuis les débuts de sa carrière et le texte inédit en français Comment la productivité a tué l’entreprise américaine, dans lequel Henry Mintzberg analyse les causes de la crise de 2008. À lire pour découvrir ou redécouvrir plusieurs autres propos stimulants de ce grand penseur.