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Le samedi 23 avril 2022

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Accord de libre-échange entre le Canada et le Panama – S’acoquiner avec le paradis du narcotrafic

Les auteurs invités sont Alain Deneault, auteur d’Offshore, paradis fiscaux et souveraineté criminelle et Claude Vaillancourt, écrivain et coprésident d’Attac-Québec

Dans la discrétion la plus totale, le Canada a signé un accord de libre-échange avec le Panama. Cet accord conclu avec un pays pauvre dont la population est d’à peine plus de trois millions de personnes pourrait sembler sans conséquences. Il y a toutefois un hic: le Panama est un paradis fiscal. Et pas n’importe lequel. L’un des plus actifs, des moins coopératifs et des plus intégrés au crime organisé.

Le gouvernement canadien justifie cet accord par le fait que « le Panama est un marché établi pour le Canada, et les relations bilatérales de commerce et d’investissement ont un fort potentiel de croissance à long terme ». Certaines grandes entreprises canadiennes ont flairé de bonnes affaires et croient que l’accord facilitera les relations commerciales avec ce pays à la réputation douteuse. Mais quel en sera le prix pour les Canadiens et les Panaméens?

La mauvaise réputation du Panama n’est certes pas usurpée. La principale activité économique de ce pays consiste à offrir des services financiers aux trafiquants de drogue et aux multinationales. Il s’est spécialisé, entre autres, dans les pavillons de complaisance disponibles à rabais, sans tracasserie bureaucratique aucune. Ceux-ci permettent aux bateaux de naviguer sans se préoccuper des lois nationales et des conditions de travail des marins.

Les capitaux entrent au Panama et en sortent sans aucune restriction. Les transactions sont protégées par le secret bancaire, si bien qu’il n’existe aucun contrôle de l’activité financière. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), pourtant assez accommodante lorsqu’il s’agit d’évaluer à quel point les paradis fiscaux sont coopératifs, a placé le Panama sur sa «liste grise».

Expansion du crime organisé

Pis, la position géographique du Panama fait de ce pays un lieu névralgique du crime organisé. Des criminologues ayant travaillé à l’ONU ou à la Commission européenne, comme Marie-Christine Dupuis-Danon ou Thierry Cretin, y voient là une évidence. « État narcotrafiquant et blanchisseur d’une grande partie de l’argent sale de la planète avec les îles Caïmans, Panama joue un rôle charnière entre le Sud et le Nord, la Colombie et les États-Unis », affirme à son tour Patrice Meysonnier, de la police judiciaire en France, dans Trafics et crimes en Amérique centrale et dans les Caraïbes (Presses universitaires de France).

Le trafic de la cocaïne et de l’héroïne est constitutif des économies de cette région avec laquelle le Canada cherche à resserrer ses liens commerciaux. Dans ce contexte, la zone franche de Colón pose singulièrement problème. Il s’agit d’un pôle d’investissement et d’exploitation industrielle hors de tout contrôle, donnant directement sur la Colombie.

Puisque le blanchiment d’argent consiste à dissimuler, sous forme d’investissements licites, l’utilisation de fonds criminels, l’accord de libre-échange canado-panaméen favorisera au Canada ces opérations de mobilisation de fonds noirs. Inversement, les mafias colombiennes et mexicaines, très actives au Canada, découvriront dans l’accord une série de formalités facilitant dans l’autre sens le transfert de fonds acquis illégalement ici.

L’accord entre le Canada et le Panama facilitera les activités illicites ayant cours dans ce pays, tout en cautionnant son laisser-faire. Alors que le G20 réuni à Londres en 2009 avait souligné l’importance de s’attaquer aux problèmes causés par les paradis fiscaux, le Canada agit en sens contraire et ouvre un front nouveau pour faciliter les fuites fiscales. Une pareille stratégie manque tout simplement de sérieux.

La liberté sans entraves des «investisseurs»

L’un des aspects les plus inquiétants de l’accord réside dans le chapitre 9, qui porte sur l’investissement. Il n’est pas difficile de deviner ce que le mot «investissement» implique dans le cas d’un paradis fiscal. Ainsi, la troisième destination des «investissements» canadiens est la Barbade, un autre paradis fiscal, un pays d’un peu plus de 300 000 habitants qui ne roule pourtant pas sur l’or malgré cet extraordinaire déferlement d’argent canadien.

Un accord avec le Panama facilitera donc davantage l’évasion fiscale, qui permet de soustraire des sommes plus qu’importantes à l’impôt, alors que, en ces temps d’austérité budgétaire, nous en avons tant besoin pour nos services publics. Il s’ensuivra un métissage d’autant plus grand des avoirs de l’économie réelle avec les fonds du narcotrafic.

Ce chapitre 9 sur l’investissement reprend le principe du chapitre 11 de l’ALENA, qui permet à une entreprise de poursuivre un gouvernement si celui-ci crée des obstacles au commerce par une réglementation. Ce qui ouvre un véritable boîte de Pandore: selon Todd Tucker, de l’organisation Public Citizen, qui a témoigné au Comité permanent du commerce international le 17 novembre, «des centaines de milliers d’entreprises américaines, chinoises, caïmanaises et même canadiennes peuvent contester la réglementation canadienne en faisant appliquer par leur filiale panaméenne une planification agressive de la nationalité».

Les Québécois et les Canadiens ne profiteront donc pas d’un pareil accord. Pas plus que les Panaméens. On retrouve d’ailleurs dans l’entente plusieurs mesures inspirées des accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et qui ont été longuement combattues par les pays du Sud.

On vise par exemple à faire baisser de façon significative les droits de douane. Or ces baisses, dans un pays pauvre comme le Panama, pourront avoir de graves conséquences: elles priveront de précieux revenus un gouvernement déjà passablement désargenté et peu soucieux de sa population, et les produits panaméens se retrouveront en concurrence avec des produits canadiens, alors que les Panaméens auront peu de chances d’exporter leurs propres marchandises (à moins qu’elles ne soient produites dans des conditions de misère).

Que le Canada renonce

De plus, l’ouverture des marchés publics panaméens aux entreprises canadiennes privera le Panama d’un important outil de développement local. À l’OMC, les pays du Sud ont refusé d’adhérer à l’Accord sur les marchés publics (AMP) justement pour cette raison.

Sans surprise, l’accord entre le Canada et le Panama ne contraindra pas non plus l’activité de sociétés minières canadiennes, dont certaines soulèvent de vives controverses, comme les projets à ciel ouvert de la mine d’or de Molejon exploitée par Petaquillas Minerals, qu’on a accusée de déforestation et de contamination de rivières locales, ou la mine de cuivre exploitée illégalement sur un territoire autochtone par Corriente Ressources. Aucune mesure écologique restrictive n’est prévue.

Toutes ces raisons justifient que, à titre de précaution, le Canada renonce à un tel accord de libre-échange. Plus que cela, il devrait s’engager à ne plus jamais négocier ce type d’accord avec un paradis fiscal. Souhaitons que le Parlement canadien ait le courage de voter contre la loi C-46 qui vise la mise en oeuvre de ce funeste accord.

Ce texte est tiré du quotidien Le Devoir

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