L’auteur invité est Paul-André Lapointe, professeur au Département des relations industrielles de l’Université Laval et codirecteur de l’ARUC – Innovations, travail et emploi
Au moment où le gouvernement du Québec s’apprête à prendre une décision sur l’octroi d’un prêt de 58 millions de dollars aux promoteurs de la réouverture de la mine Jeffrey, de nombreuses voix sur le plan international s’élèvent contre ce projet. Une délégation asiatique de syndicalistes, d’activistes et de victimes de maladies associées à l’amiante est venue récemment au Québec pour témoigner des dommages que l’usage de l’amiante québécois cause dans leur pays. La prestigieuse revue médicale britannique The Lancet, dans un article en ligne paru récemment, accuse pour sa part le Canada d’hypocrisie concernant ses exportations d’amiante.
Changement de statut
Jadis considéré comme un métal magique, tellement ses propriétés physiques étaient précieuses et son usage économique était valorisé, l’amiante se présente aujourd’hui comme un contaminant mortel, tellement son impact sur la santé est nocif. L’usage de l’amiante dans le monde entraîne chaque année plus de 100 000 décès. Autrefois un produit largement utilisé dans la construction, son usage est aujourd’hui largement banni par la communauté internationale.
Les pays riches, y compris le Canada et le Québec, qui l’avaient grandement utilisé au cours du siècle dernier investissent aujourd’hui des sommes considérables dans la décontamination de leurs bâtiments. Ce retournement de situation s’explique par la prolifération des maladies parmi les travailleurs et les populations exposés à ce métal, au premier rang desquels on peut très certainement compter les travailleurs et les citoyens d’Asbestos et de Thefford Mines. Il s’explique aussi par les résultats de la recherche scientifique qui ont établi un lien sans équivoque entre l’amiante, sous toutes ses formes, et le développement de maladies associées à sa présence, comme le cancer du poumon, l’amiantose et la mésothéliome.
Consommation et opposition
Néanmoins, on produit encore de l’amiante au Québec, grâce notamment au soutien généreux de l’État. Longtemps considéré comme le premier producteur et exportateur d’amiante dans le monde, le Québec a certes considérablement réduit sa production. Il se classe aujourd’hui au 5e rang d’une courte liste de pays représentant la quasi-totalité de la production mondiale et incluant dans l’ordre la Russie, la Chine, le Brésil, le Kazakhstan et le Zimbabwe.
Réduite à néant dans les pays riches, la consommation d’amiante s’est aujourd’hui déplacée dans les pays pauvres, si bien que 85 % de la consommation mondiale se réalise aujourd’hui en Asie et en Europe de l’Est. Les pays pauvres utilisent ce produit nocif dans la construction des infrastructures et des bâtiments parce qu’il est beaucoup moins cher que les nouveaux produits de remplacement qui, eux, sont sans réel danger pour la santé. De fait, le Québec exporte la totalité de sa production et plus de 80 % de ces exportations sont destinées à l’Asie, l’Inde arrivant en tête avec des achats qui absorbent plus de la moitié des exportations québécoises.
L’usage de l’amiante est banni dans 52 pays, dont tous les membres de l’UE. Participent également à ce bannissement de grandes organisations internationales comme l’OMS, l’OIT et la Conférence européenne syndicale. Au Canada et au Québec, des associations médicales et des instituts de recherche dans le domaine de la santé publique appuient ce mouvement. Ils s’opposent aux prétentions du lobby de l’amiante au Québec, l’Institut du chrysotile, qui aurait reçu depuis sa création en 1984 une aide financière de près de 19 millions de dollars de la part des gouvernements, canadien et québécois.
Développement durable
Selon cet institut, l’amiante que produirait le Québec fait partie d’un type, l’amiante blanche (le chrysotile), dont on pourrait considérablement atténuer l’impact sur la santé grâce à un usage sécuritaire. Cette argumentation, considérée comme fallacieuse, est fortement contestée sur la base des faits suivants:
-la totalité de l’amiante mondiale depuis une trentaine d’années est du chrysotile et 95 % de toute l’amiante en usage aujourd’hui est également de ce type;
-les résultats de la recherche scientifique dans leur immense majorité démontrent l’existence d’un lien très clair entre le chrysotile et le développement de maladies associées à l’amiante;
-il est impossible de faire un usage sécuritaire de l’amiante.
Tout cela interpelle profondément les forces vives du Québec en regard du développement durable et de la solidarité humaine et sociale à l’échelle mondiale. Cela soulève également certaines contradictions gênantes au sein du nationalisme et de la gauche au Québec.
Amiante et gaz de schiste
Peut-on accepter que le développement économique et la création d’emplois se fassent au détriment du développement durable et de la qualité de l’environnement? À en juger par les manifestations populaires opposées aux projets d’exploitation du gaz de schiste, il semble que ce ne soit plus possible. L’argumentaire des André Caillé et consorts sur les perspectives de développement économique n’a pas réussi à convaincre une large partie de la population.
Pourquoi en serait-il autrement, lorsqu’il s’agit d’évaluer et de s’opposer à d’autres projets, tout aussi néfastes pour la santé des populations? Afin de créer quelques centaines d’emplois, est-ce acceptable de reprendre l’exploitation d’une mine d’amiante à Asbestos en vue d’exporter sa production en Inde et dans d’autres pays asiatiques, alors que les effets néfastes de ce produit sur la santé sont très largement reconnus?
La plupart des pays riches n’utilisent plus l’amiante, malgré les prétentions de certains promoteurs québécois au sujet de l’usage sécuritaire de ce produit. Les pays riches, censés avoir la meilleure expertise dans la construction et le contrôle éventuel des effets des produits nocifs, refusent l’usage de l’amiante. Le seul marché disponible se retrouve dès lors dans les pays pauvres. Tous conviennent que ces pays ne possèdent pas les moyens et l’expertise nécessaires pour évaluer la dangerosité d’un produit et d’en faire, éventuellement, un usage sécuritaire.
Double discours
Dans ces conditions, peut-on, sans sourciller et tout en manoeuvrant pour éviter l’inclusion de ce produit dans la liste des produits dangereux de la convention de Rotterdam, se déculpabiliser en soutenant que les exportateurs québécois informent leurs clients sur les effets nocifs de l’amiante et qu’ils leur recommandent un usage sécuritaire? C’est pourtant ce que prétend le lobby de l’amiante au Québec.
Dans le domaine du développement durable et de la qualité de vie, y aurait-il deux poids, deux mesures? Lorsqu’il s’agit d’évaluer les retombées de projets qui auront un impact à proximité de soi, on est prompt à s’opposer, malgré les beaux discours des promoteurs orientés vers le développement économique et la création d’emplois. On ne veut pas de ce type de développement et d’emplois, car on estime qu’à long terme les désagréments seront plus grands que les bénéfices escomptés. On veut protéger sa qualité de vie. Par contre, quand il s’agit d’activités économiques qui génèrent cette fois des retombées négatives sur la santé et la qualité de vie de populations pauvres et éloignées, on semble fermer les yeux. Pourtant, la vie et la santé de ces populations ne sont-elles pas aussi précieuses que celles de la population du Québec?
Quel modèle de développement ?
Faut-il adhérer, sans discuter, à un modèle de développement qui repose sur l’extraction et l’exportation de l’amiante, qui en dissimule les effets nocifs et qui subordonne la santé des populations des pays les plus pauvres de la planète à la création d’emplois et au développement local dans des collectivités mono-industrielles menacées de dévitalisation et vivant sur le territoire québécois?
La création d’emplois et le développement local dans les collectivités mono-industrielles représentent très certainement un objectif fort louable et j’y souscris sans réserve. Le véritable débat réside dans la légitimité des moyens à employer pour y parvenir. Au lieu de soutenir à coups de subventions une industrie moribonde et nocive pour la santé et de financer à coups de millions un lobby qui en fait la promotion, pourquoi ne pas appuyer l’émergence d’un nouveau modèle de développement? Pourquoi ne pas soutenir des projets de développement novateurs et susceptibles de conjuguer développement local et développement durable dans le respect de la qualité du travail et de l’emploi des populations d’ici et d’ailleurs? À quand la mobilisation pour un véritable développement durable dans les collectivités locales dépendantes de l’amiante? À quand un véritable débat sur l’amiante au Québec?
Ce texte est tiré du quotidien Le Devoir
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