L’auteur invité est Christian Chavagneux, rédacteur en chef adjoint, Alternatives Economiques
Le plan d’ultra austérité annoncé le 24 novembre par le gouvernement irlandais est mauvais pour trois raisons : il ne règle pas les problèmes du pays, il n’empêche pas la contagion de la crise au reste de l’Europe, il ne remet pas en cause la stratégie perdante qui a mené le pays à la crise.
Brian Cowen, le premier ministre irlandais a annoncé un 4ème plan d’austérité budgétaire depuis le début de la crise, de 15 milliards d’euros, sur quatre ans : 10 milliards de baisses des dépenses et 5 milliards de hausses d’impôts.
Du côté des dépenses, une réduction des dépenses courantes – 25 000 postes de fonctionnaires en moins (8 % de la fonction publique), des nouveaux embauchés avec un salaire inférieur de 10 % à ceux des fonctionnaires en place – sera accompagnée d’une baisse des transferts sociaux. Les pauvres vont sévèrement trinquer avec des diminutions des allocations chômages et familiales en même temps que le ministère de la santé devrait voir son budget fortement réduit. On aura le détail précis des mesures lors de la présentation du projet de budget au Parlement le 7 décembre prochain.
Du côté des recettes, une taxe immobilière va être créée et la TVA, qui porte également proportionnellement, sur les ménages les plus pauvres, sera montée de 21 % actuellement à 22 % en 2013 et 23 % en 2014. Le salaire minimum va baisser de 1 € pour passer à 7,65 € de l’heure. Le taux d’impôt sur les sociétés, fixé à 12,5 %, ne sera pas touché. Avec ces deux dernières mesures, le gouvernement irlandais espère bénéficier d’une bonne compétitivité et profiter d’un dynamisme des exportations pour compenser l’affaissement de la demande interne que son plan drastique ne va pas manquer de provoquer.
Vers la déflation
Le pire est que ce plan ne semble pas à même de sortir les Irlandais de l’ornière. Il pourrait mener directement l’Irlande vers la déflation, une baisse continue des prix et de l’activité. La chute de la demande intérieure devrait se traduire par une croissance négative en 2011 de 2 % ou plus, ce qui taillera dans les recettes publiques et freinera l’effort de réduction du déficit budgétaire (11,7 % du PIB cette année, hors coût de restructuration du capital des banques).
Ce plan a d’autant moins de chance de réussir que les mesures qui peuvent permettre aux pays d’en mitiger les effets seront absentes : pas de baisse des taux d’intérêt pour relancer le crédit privé, pas de dévaluation pour gagner en compétitivité. De plus, la chute de l’activité entraînera une hausse du ratio de dette / PIB, de l’ordre de 100 % aujourd’hui, qui pourrait monter à 120-130 % à la fin du plan d’austérité en 2014. Bref, l’économie irlandaise est loin d’être sortie d’affaire.
Une contagion toujours possible
Malheureusement, le plan irlandais risque de ne pas suffire pour calmer les marchés. Son annonce ne s’est pas traduite par un soulagement des investisseurs qui intègrent très bien le risque de déflation qu’il porte. Tous les autres pays européens s’étant engagés dans la voie de la rigueur pour 2011, un multiplicateur d’austérité est en train de se mettre en place en Europe qui ne réassurera pas les marchés et leur fera douter de la capacité des banques à traverser cette nouvelle période de turbulence qui sera marquée par une montée des problèmes de remboursement de crédits.
La prochaine victime pourrait être le Portugal dont les taux d’intérêt sur la dette publique explosent. Or le pays devra aller sur les marchés début 2011 pour refinancer sa dette, 9,5 milliards d’euros arrivant à échéance au premier semestre. Le Portugal pourrait donc être tenté de faire comme la Grèce en se mettant hors marché, préférant emprunter à des taux « normaux » au FMI et au Fonds européen.
Si l’Espagne devait être ensuite touchée, la crise toucherait un pays plus important. Certes, une bonne partie des près de 1000 milliards d’euros de dette publique est détenue par les banques locales, ce qui limite la pression des investisseurs étrangers. Mais le pays aura quand même besoin de refinancer 192 milliards de dette l’an prochain. Et ses banques détiennent de nombreuses créances sur le Portugal. Le gouvernement Zapatero s’est engagé en mai dernier dans un plan d’austérité qui se traduit actuellement par une baisse sensible du déficit du gouvernement central. L’Espagne ne serait donc attaquée que par le sentiment de panique des investisseurs alors que le pays a pris les mesures nécessaires pour gérer ses finances publiques.
Une stratégie parasite
Enfin, l’Irlande ne tire aucune leçon de ses erreurs passées. On désigne souvent le pays comme un paradis fiscal. C’est vrai que son taux relativement faible d’imposition sur les sociétés a attiré de nombreuses multinationales, comme Microsoft ou Hewlett Packard. L’Allemagne essaie de forcer le gouvernement irlandais à remonter le taux actuel de 12,5 % mais le premier ministre s’y refuse catégoriquement.
Surtout, on oublie de préciser que l’Irlande est un paradis réglementaire qui autorise les prises de risque opaques. Que l’on se rappelle que la faillite de la banque d’affaires américaine Bear Stearns et les problèmes de l’allemande Hypo Real Estate sont notamment dus au fait qu’elles ont été touchées par les déboires de leurs fonds spéculatifs installés pour partie à Dublin.
Si l’on considère la finance au sens strict (capitalisation boursière, émissions d’obligations et actifs des banques), elle représente environ 4 fois le PIB mondial. Pour les pays de la zone euro, on passe à 5 fois. Pour la France à 6 fois. Pour l’Irlande : 14 fois.
L’Irlande paye les conséquences de son excroissance financière : dans l’immobilier mais, de manière plus générale, par une insertion dans la mondialisation qui passe par un comportement de prédation fiscale et financière sur le reste du monde.
Ce texte est tiré du site Internet du magazine Alternatives Economiques
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