L’auteur invité est Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives Economiques
La protection sociale, qui brasse 30 % du produit intérieur brut, engage l’ensemble du pacte social ainsi que le pacte intergénérationnel sur le long terme. Le gouvernement et sa majorité parlementaire, quels qu’ils soient, ne disposent pas d’une légitimité suffisante pour changer en changer seuls les règles du jeu.
Avec la réforme des retraites, Nicolas Sarkozy a, en l’espace de quelques mois seulement, ramené le pays de nombreuses années en arrière. Voitures qui brûlent, vitrines qui éclatent, jeunes matraqués, pompes à essence vides, grèves à répétition… Certains considèrent, notamment à l’étranger, que cela fait simplement partie du folklore national de la France éternelle. L’objectif ne peut pas, et ne doit pas, être d’éliminer tout conflit, mais, plus de deux siècles après la révolution française, le fait de ne toujours pas avoir trouvé d’autres moyens de gérer les désaccords au sein de la société constitue plutôt un des principaux handicaps du pays. D’autant que nos économies modernes, complexes et très interconnectées, sont devenues aussi plus sensibles au moindre dysfonctionnement social. Il faut en sortir, et cela passe par des changements institutionnels profonds : en matière de protection sociale, le gouvernement et sa majorité parlementaire, quels qu’ils soient, ne disposent pas d’une légitimité suffisante pour changer seuls les règles du jeu.
Dans le conflit autour de la réforme des retraites, les responsabilités sont clairement établies. Nicolas Sarkozy avait été élu en 2007 en s’engageant à ne pas toucher à la retraite à 60 ans. De plus, la réforme de 2003 avait prévu pour 2012 une nouvelle négociation afin d’ajuster les paramètres du système de retraite. Mais brutalement, le Président s’est mis en tête de mettre en œuvre dès cette année la grande réforme qui allait résoudre tous les problèmes jusqu’en 2050. Et cela en l’espace de quelques mois seulement, sans négocier réellement quoi que ce soit avec qui que ce soit. Moyennant quoi, les mesures particulièrement injustes prévues dans son projet ont provoqué une mobilisation très forte. Si importante qu’elle a surpris les syndicats eux-mêmes. Ils se sont efforcés pourtant tout au long du mouvement d’éviter les surenchères et de laisser la porte ouverte à d’éventuels compromis. Mais sans trouver aucun répondant : Nicolas Sarkozy a poursuivi sa stratégie de passage en force sans rien céder de significatif.
Ce faisant, il a probablement marqué des points auprès de la droite dure, heureuse de prendre une revanche sur les humiliations du CPE, des grèves de 1995, de mai 1968… Mais quel gâchis pour le pays ! Ces dernières années le mouvement syndical avait beaucoup évolué, abandonnant ses chimères révolutionnaires et recherchant désormais en priorité la négociation et le compromis. Un chemin que la CFDT avait emprunté depuis les années 1980 mais que la CGT suivait, elle aussi, avec constance depuis plus de dix ans maintenant. L’attitude de Nicolas Sarkozy remet en cause cette évolution : en refusant toute négociation, il a décrédibilisé les directions syndicales, qui risquent d’être de nouveau débordées par les durs. Et les efforts réalisés pour doter le pays d’une gouvernance moins centraliste et autoritaire sont profondément fragilisés.
Pourtant, la droite elle-même semblait en avoir compris la nécessité. En 2004, François Fillon, alors ministre du Travail, avait fait adopter une loi révolutionnaire vis-à-vis de la conception française traditionnelle de la décision politique : avant toute modification du droit du travail, le gouvernement devait désormais obligatoirement laisser syndicats et patronat négocier sur le sujet. Et le gouvernement devait ensuite transformer en loi l’accord trouvé s’il y en avait un. De même, la démarche engagée en 2007 par Nicolas Sarkozy avec le Grenelle de l’environnement, associant ONG environnementalistes, Etat, élus locaux et partenaires sociaux, semblait marquer, elle aussi, une profonde rupture avec les mauvaises habitudes françaises. Cette façon unique de gouverner un pays que personne ne nous envie (sauf sans doute Silvio Berlusconi) : un Président tout puissant qui dicte à une majorité parlementaire aux ordres des politiques concoctées en circuit fermé par quelques énarques. Et puis patatras : la réforme des retraites nous a ramenés au point de départ…
Il faut empêcher que de telles dérives se renouvellent. La protection sociale, qui brasse 30 % du produit intérieur brut (PIB), engage l’ensemble du pacte social ainsi que le pacte intergénérationnel sur le long terme. Son avenir ne peut plus continuer à dépendre du fait que tel ou tel camp a obtenu 51 % des voix un dimanche, deux ou trois ans auparavant. La viabilité économique de l’assurance maladie et des retraites doit en effet absolument être garantie en permanence. Mais s’il faut pour cela changer les règles du jeu, il faut obliger le gouvernement à une négociation préalable avec les partenaires sociaux. Il faut probablement aussi une majorité qualifiée qui excède la majorité simple au sein des assemblées parlementaires afin d’obliger le pouvoir, quelle que soit sa couleur, à rechercher des consensus larges quand il veut faire évoluer ces éléments centraux du « vivre ensemble ».
Ce texte est tiré du site Internet d’Alternatives Economiques
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