L’auteur invité est Gilles Bourque, économiste, chargé de projet à l’IREC.
Les constats sont troublants : si nous adoptons la politique du laisser-faire, les probabilités d’assister à un réchauffement au-delà de 2o C sont presqu’une certitude, avec des conséquences climatiques qui seraient dramatiques. Seule une stratégie ambitieuse de réduction des émissions et d’adaptation permettra de minimiser les dégâts et de faire face au réchauffement, d’ores et déjà inévitable.
Pour arriver à concevoir une telle stratégie et trouver les voies d’action, il est impératif et urgent de changer notre regard sur l’énergie. Nous devons faire avec l’énergie, ce que nous avons commencé à faire sur une grande échelle avec nos déchets, que nous nommons maintenant nos « matières résiduelles ». Et c’est justement ce que permet de faire le recadrage des perspectives en matière d’efficacité énergétique. Il faut désormais miser sur les « négaWatts ». À la manière des principes 3RV qui se sont imposés dans la gestion responsable des matières résiduelles, trois principes s’imposent en matière de gestion de l’énergie. C’est l’approche SEE :
• Sobriété énergétique
• Efficacité énergétique
• Énergies renouvelables
Les meilleures pratiques exigent de procéder dans l’ordre suivant :
• repenser nos pratiques de manières à éviter d’utiliser inutilement l’énergie;
• repenser nos manières de produire les biens et les services pour viser la réduction constante des ressources énergétiques utilisées;
• Réduire la dépendance aux énergies fossiles pour faire une place toujours plus grande aux énergies renouvelables.
Grâce à un usage plus sobre et plus efficace de l’énergie, le négawatt représente l’énergie la moins dispendieuse. De plus, en tenant compte des connaissances techniques actuelles, plusieurs études établissent que le potentiel de production de négawatts serait supérieur à la moitié de la consommation mondiale d’énergie.
Mais le négawatt ne représente pas seulement une source d’économie et d’efficacité d’énergie : il ouvre une voie exceptionnelle de création d’emplois et de développement local, puisque les activités économiques associées à cette approche sont généralement à forte intensité de main-d’œuvre et réalisées sur des marchés de proximité.
On invoque souvent le fait qu’Hydro-Québec ayant d’importants surplus, les motivations sont moins fortes pour plaider en faveur d’une politique d’efficacité énergétique. On peut légitimement se demander si des investissements en efficacité énergétique sont alors pertinents ! C’est vrai, Hydro-Québec a surévalué la demande en électricité ces dernières années et, à court-moyen terme, la mise en service de nouvelles centrales hydroélectriques et des nouveaux parcs éoliens ajoutera une importante capacité au réseau. Mais, il est vrai également que la hausse tendancielle des prix des hydrocarbures rendra tôt ou tard nécessaire une politique de réduction de la consommation et de substitution en faveur des énergies renouvelables.
Dans ce contexte, une stratégie beaucoup plus ambitieuse d’efficacité énergétique est parfaitement appropriée aujourd’hui pour le Québec. D’abord, parce que les surplus actuels sont, pour une part importante, dus au ralentissement économique. Ils sont donc temporaires. Ensuite, parce que les négawatts sont une source d’énergie fiable, peu coûteuse, durable et favorable au développement des communautés. Enfin, parce que nous voyons, globalement, les capacités énergétiques du Québec comme une opportunité de long terme pour se libérer du pétrole et reconvertir notre économie. En somme, tout milite pour une efficacité énergétique accrue.
Les faits sur l’efficacité énergétique
Même s’il est vrai que le prix peu élevé de l’électricité québécoise ne favorise pas les pratiques de sobriété et d’efficacité énergétiques des diverses classes de consommateur, ce n’est pas là un facteur qui devrait empêcher l’État ou les institutions publiques d’agir dans l’intérêt public en favorisant – par des mesures fiscales et budgétaires – les meilleures pratiques dans le domaine. Pour bien juger de la pertinence des choix qui s’offrent, un rappel de quelques faits déterminants s’impose. Cela permettra de bien cadrer la problématique et de mieux l’éclairer ensuite par des résultats obtenus d’expériences menées ailleurs.
Les constats
La récente étude sur le développement énergétique du Québec du Réseau des ingénieurs du Québec (RéseauIQ) constitue une référence incontournable. L’analyse établit que le secteur de la transformation de biens demeure encore aujourd’hui, au Québec, le plus grand consommateur d’énergie (avec 40 % du total). Le secteur du transport (27 %) vient en deuxième place. Les secteurs résidentiel, commercial et agricole se partagent le reste de la consommation énergétique québécoise (pour un total de 33 %).
En 2006, le total d’énergie finale consommée au Québec, toutes sources confondues, s’élevait à 1774 pétajoules (PJ – million de milliards de joules) et on estimait que la croissance de la demande en énergie le ferait passer à plus de 2000 PJ en 2016. Notre consommation énergétique par habitant dépassait largement celle du Japon et des pays de l’Union européenne en 2002, pour atteindre 4,99 tonnes équivalentes de pétrole (tep) par an. Cette inefficacité énergétique prive le Québec de retombées économiques importantes, car l’électricité gaspillée pourrait générer des revenus autrement intéressants. Selon le RéseauIQ, la réduction de 0,5 tep par personne d’ici 5 ans et de 1 tep par personne d’ici 10 ans permettrait de faire des économies d’énergie de 88 TWh (88 milliards de KWh), ce qui correspond approximativement à deux centrales comme celle de La Grande-2.
Dans la même étude, on signale que la firme spécialisée SodeXpro arrivait au constat suivant : le potentiel d’efficacité énergétique de la grande entreprise serait 20 fois plus élevé que celui des PME, pour un nombre 20 fois moindre d’entreprises. Cette firme évalue par ailleurs que le potentiel technico-économique d’efficacité énergétique dans le secteur industriel équivaudrait à 30 % des volumes consommés. C’est considérable.
Les conclusions et les propositions récemment soumises par les groupes écologistes Équiterre et Ontario Clean Air Alliance vont dans le même sens que celles de l’étude de RéseauIQ. Avec une consommation d’électricité par habitant au Québec deux fois supérieure à celle de l’Ontario et presque trois fois à celle de l’État de New York, le potentiel d’économies d’énergie par Hydro-Québec est tel que la société d’État serait capable d’augmenter son bénéfice brut de 473 millions, en revendant par exemple sur les marchés d’exportation l’électricité ainsi récupérée.
Les deux groupes écologistes signalent aussi un potentiel inexploité d’exportation de l’électricité québécoise qui serait très efficient. Comme ils le soulignent, le Québec enregistre ses pointes de consommation d’électricité l’hiver, à cause du chauffage, alors que l’Ontario connaît ses pointes l’été, à cause de la climatisation. Il y a là une complémentarité qui permettrait d’éviter la couteuse et polluante pratique d’Hydro-Québec d’utiliser des centrales au mazout ou au gaz pour combler ces pointes hivernales. Récemment, Hydro-Québec annonçait qu’elle devra importer jusqu’à 1 100 MW d’électricité sur les marchés court terme d’ici 2014, et songe même de recourir, à partir de 2015, à la centrale thermique de Bécancour pour les pointes hivernales.
Les deux territoires pourraient en outre profiter de la volonté de l’Ontario de se débarrasser de ses coûteuses centrales nucléaires pour améliorer leur complémentarité. Le Québec pourrait, par ailleurs, profiter de son potentiel de négawatts pour se libérer lui aussi des très couteux watts de Gentilly 2 et de ses encombrants déchets nucléaires.
En somme, un vaste et ambitieux programme d’efficacité énergétique pourrait nous permettre, à la fois, de développer la complémentarité avec nos voisins ontariens, tout en laissant un potentiel largement suffisant de capacité énergétique pour enclencher une reconversion économique vers un développement plus durable. […]
Un Fonds national d’efficacité énergétique
La création d’un Fonds de financement de projets d’efficacité énergétique dédié aux secteurs industriel, commercial et institutionnel (les ICI) constitue une proposition à fort potentiel structurant. S’inspirant de l’expérience de cinq fonds similaires, l’approche proposée repose sur un mécanisme simple : un organisme prête de l’argent pour des projets spécifiques d’efficacité énergétique et ce prêt est remboursé partiellement ou totalement à partir des économies générées.
Du point de vue des entreprises, les raisons qui justifient de tels investissements sont principalement de deux ordres : l’accroissement effectif de la compétitivité économique de l’entreprise et l’accès à un programme de financement.
Le défi se trouve plutôt du côté des promoteurs d’un fonds d’efficacité énergétique, car les facteurs de succès sont nombreux, ce qui rend la réalisation complexe. Il faut en effet :
• Une disponibilité financière suffisante pour lancer le fonds;
• La récurrence et la stabilité de financement;
• Une implication d’une ou des institutions financières ou encore d’un bras financier du gouvernement;
• Des taux d’intérêt avantageux afin d’orienter les décisions d’investissements vers l’efficacité énergétique;
• Une structure de prêt et de remboursement liée à la période de récupération sur l’investissement (PRI) des projets afin de maximiser les mesures d’efficacité énergétique pour chacun de ceux-ci;
• Une structure de gouvernance solide.
Le facteur le plus stratégique, de nombreuses recherches l’établissent, exige que les promoteurs de tels fonds aient eux-mêmes accès à une source de financement à bas taux. C’est essentiel. Un fonds d’efficacité énergétique est en effet en mesure de s’autofinancer et de croître dans le temps s’il peut se financer à bas coût. RéseauIQ propose donc que :
1) le Fonds national d’efficacité énergétique soit capitalisé au départ par le Fonds vert, qui recueille bon an mal an près de 200 millions $.
2) Il propose en outre que ce financement initial devrait être complété par un partenariat avec Investissement Québec ou une grande institution financière québécoise.
Ces deux propositions permettraient de répondre aux trois premiers facteurs de réussite cités plus haut.
Pour agir sur les autres facteurs de succès, RéseauIQ propose que :
3) les taux d’intérêt des prêts soient inversement proportionnels à la période de remboursement;
4) des incitatifs s’ajoutent à la structure de remboursement – par exemple, un moratoire sur le remboursement du capital pendant la période de réalisation des travaux ou un amortissement accéléré au niveau de l’impôt provincial.
Quant à la structure de gouvernance, RéseauIQ propose que l’Agence d’efficacité énergétique y assume un rôle important. Mais l’annonce récente de son abolition par le gouvernement rend cette proposition caduque !
Conclusion : investir dans l’efficacité énergétique
La proposition de fonds national d’efficacité énergétique est intéressante à plus d’un titre, mais surtout en raison de son effet structurant. Elle devrait certainement constituer une pièce majeure d’une stratégie globale de reconversion soutenable de l’économie québécoise puisqu’elle s’adresse au plus grand consommateur d’énergie, le secteur manufacturier. Dans le secteur du transport, on peut prévoir qu’avec les nouvelles normes d’émission qui ont été adoptées récemment au Québec, l’efficacité énergétique des véhicules automobiles devrait s’améliorer significativement d’ici 2016. Mais cette mesure ne touche qu’une partie du secteur transport, il reste donc beaucoup à faire, en particulier sur le plan du transport des marchandises.
Dans le domaine du bâtiment, la mise en application prochaine de la norme Novoclimat pour le secteur résidentiel – constamment retardée – devrait, selon nous, être accompagnée d’un ambitieux programme d’efficacité énergétique dans les secteurs institutionnel et commercial. En outre, pour mettre fin à la tendance au gigantisme des maisons neuves, qui annulent à toute fin utile les efforts de plus grande efficacité, Hydro-Québec devrait introduire une progression de la tarification selon la consommation des ménages : au-delà d’une consommation moyenne pour une résidence de taille raisonnable, le tarif du KWh serait haussé.
RéseauIQ le souligne dans son rapport : la Suède a récemment décidé d’éliminer le pétrole de son portefeuille énergétique d’ici 2030. Pourquoi le Québec, qui aime bien se comparer à cet autre pays nordique, ne ferait pas cause commune en adoptant lui-même cet objectif ? Dans un tel cas, il ne fait aucun doute que pour se libérer de sa dépendance au pétrole sur un horizon de 20 ans, le Québec aura besoin de développer toutes ses capacités pour graduellement substituer de nouvelles sources énergétiques à ses importations pétrolières. Or, nous l’avons vu, le potentiel de négawatts québécois est considérable.
Contrairement à la sobriété énergétique, qui exige une modération de l’utilisation des ressources, l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables demanderont d’investir massivement dans le développement de nos capacités financières, humaines et productives.
Pour lire le texte au complet, il faut aller sur le site web de L’IREC
Discussion
Pas de commentaire pour “Efficacité énergétique : investir dans les négawatts pour se libérer du pétrole”