L’auteur invité est Louis Favreau, titulaire de la Chaire de recherche en développement des collectivités (CRDC) depuis 1996 à l’UQO.
En février de cette année se tiendra le grand rassemblement international du Forum social mondial (FSM). Pour ceux d’entre vous qui vont à ce 2e grand rendez-vous africain à Dakar au Sénégal du 6 au 11 février, il est important de connaître un tant soit peu les organisations et les réseaux qu’on risque de croiser dans cette 10e édition du FSM . Pour ceux qui n’y seront pas, il est important de savoir quels sont ses acteurs les plus importants. Esquisse ici d’une première cartographie des forces de changement sur la scène mondiale. Pour ce qui est d’une analyse d’ensemble de la première décennie du FSM, on se référera à mon article produit l’an dernier dans ce carnet.
1. Les mouvements sociaux internationaux
1.1. Le mouvement paysan et ses principales organisations
Le plus connu de tous au plan international mais aussi le plus jeune est Via Campesina. Créé au début des années 90 (1993 pour mettre une date), ce mouvement qui a à peine 20 ans s’est fait connaître par l’objectif de la souveraineté alimentaire qu’il a mis de l’avant, thème que toutes les autres organisations ont repris par la suite. Ce mouvement international de paysans regroupe des sans-terre et des travailleurs agricoles (en référence au Mouvement brésilien des sans-terre, le MST). Il est présent dans une soixantaine de pays, est engagé depuis ses débuts dans l’émergence du FSM et défend un modèle d’agriculture familiale. L’Union paysanne au Québec en fait partie.
Moins connue mais plus ancienne, la Fédération internationale des producteurs agricoles (la FIPA) est née à Londres en 1946 et regroupe quelques 115 organisations nationales présentes dans 80 pays. Historiquement elle a représenté d’abord des agriculteurs des pays du Nord. Aujourd’hui, la majorité de ces organisations proviennent du Sud. Elle a un statut consultatif à la FAO depuis 1949. Elle regroupe sans doute des agriculteurs plus en moyens que ceux de Via Campesina mais pas exclusivement. Elle est aussi plus modérée dans ses revendications mais la crise alimentaire des dernières années a accéléré sa transformation. L’UPA est membre de cette fédération internationale. UPA-DI, en tant qu’ONG, exerce une présence non négligeable en son sein de pour soutenir des organisations paysannes du Sud de concert avec ses d’autres OCI d’agriculteurs de pays d’Europe, notamment en matière de commercialisation collective de produits agricoles de communautés du Sud.
1.2. Le mouvement des travailleurs : les organisations syndicales
Jusqu’en 2006, le mouvement des travailleurs au plan international était divisé en trois grandes familles de culture syndicale et politique passablement différente :
1. La famille la plus importante regroupait les syndicats de tendance social-démocrate sous le leadership des trade-unions anglais et des syndicats des pays scandinaves. C’était la Confédération des syndicats libres (CISL). La FTQ et le CTC en ont longtemps fait partie. De son côté l’AFL-CIO américaine a vite quitté cette organisation et l’a boudé pendant près de 60 ans.
2. La deuxième famille regroupait les syndicats d’origine chrétienne au sein de la Confédération mondiale des travailleurs (CMT). La CSN en a longtemps fait partie mais a décidé en 1998 de s’en retirer comme l’avait d’ailleurs fait sa cousine française la CFDT pour se joindre à la CISL.
3. La troisième famille était lié au bloc soviétique et regroupait des syndicats au sein de la Fédération syndicale mondiale (FSM), syndicats liés au Parti communiste de leur pays, qui s’est dissoute quelque temps après la chute du Mur de Berlin en 1989. C’est le cas de la CGT française par exemple. Plusieurs de ces syndicats du Nord ou du Sud sont ainsi devenus orphelins. Ils rejoignent aujourd’hui la nouvelle confédération créée en 2006 à Vienne.
Aujourd’hui, depuis ce congrès de fusion, s’est créée une nouvelle grande centrale syndicale, la Confédération syndicale internationale (CSI), laquelle regroupe 180 millions de travailleurs dans le monde en provenance de quelques 310 organisations nationales actives dans 154 pays. La CSN comme la FTQ en font partie. C’est en 2005 au FSM de Porto Alegre qu’a été en partie lancé le processus de fusion de la CISL et de la CMT qui forment toutes deux l’armature nouvelle de la CSI. Le processus de continentalisation de la CSI est amorcé depuis (les Amériques, l’Afrique, l’Asie et l’Europe).
1.3. Le mouvement coopératif international
Au fil du temps, les coopératives se sont donc dotées d’organisations qui les représentent politiquement auprès de leur État respectif mais aussi au plan international. L’Alliance coopérative internationale (ACI), qui a débuté ses activités à Londres en 1895, est cette organisation. Il aura cependant fallu attendre la période de l’après-guerre (1946) pour qu’elle s’organise vraiment et que l’ONU lui accorde une reconnaissance institutionnelle disposant d’un statut d’organe consultatif. L’ACI est une ONGI qui repose aujourd’hui sur le concours de 230 organisations membres dans plus de 100 pays et d’une dizaine d’organisations sectorielles mondiales (coopératives agricoles et coopératives de pêche, coopératives financières, coopératives de consommateurs, de santé, de logement, mutuelles d’assurance, etc.). Ayant son siège social à Genève en Suisse, l’ACI est organisée sur la base de quatre continents depuis les années 90 : l’Asie, l’Afrique, l’Europe et les Amériques. La présence du Sud en son sein est ainsi de plus en plus marquée. Au Québec, le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM) est membre de l’ACI par l’intermédiaire du Conseil canadien. Et SOCODEVI est l’ONG des coopératives québécoises qui travaille au soutien du développement coopératif dans les pays du Sud. DID (Développement international Desjardins) le fait, sur le terrain de l’épargne et du crédit, pour la fédération des caisses populaires Desjardins.
1.4. Le mouvement international des femmes
La Marche mondiale des femmes (MMF) est, à l’origine, une initiative québécoise, celle de la Fédération des femmes du Québec (FFQ) qui a organisé la première Marche mondiale des femmes contre la pauvreté et contre la violence faite aux femmes en 2000. La MMF est devenue depuis un réseau mondial regroupant quelques 6000 associations. Mentionnons ici que la récente Marche mondiale de 2010 a mobilisé plus de 5 000 groupes issus de 164 pays et territoires.
1.5. Le mouvement écologique au plan international
Ayant eu un grand coup d’envoi en 1992 à Kyoto, le mouvement écologique international n’a cessé de mobiliser sur des questions devenant de plus en plus majeures telles les menaces qui pèsent sur la biodiversité et encore davantage celles liés au réchauffement climatique. Les ONG de défense de l’environnement, comme Les Amis de la terre ou Greenpeace, sont au cœur de ce mouvement mais ils n’ont plus le monopole de l’intervention sur cet enjeu. La majorité des autres mouvements sociaux se sont emparés de la question : le mouvement coopératif à son congrès international de 2009 à Genève ; le mouvement syndical international au congrès de la CSI à Vancouver également en 2009 pour ne donner que ces deux exemples [2] . Au plan international, le mouvement écologique est sans doute un mouvement appelé à devenir encore plus important dans la prochaine décennie.
2. Les organisations non gouvernementales (ONG) de caractère professionnel
Elles sont des dizaines de milliers à travers le monde. Elles se distinguent les unes par le développement, les autres par l’humanitaire, d’autres par la défense de droits humains ou par l’environnement. Caractéristiques communes de ces quatre familles d’ONG : un engagement social adossé à une expertise.
2.1. Les ONG de défense des droits humains :
La plus connue, Amnistie internationale. Cette ONG a une inspiration première, les droits humains de la Déclaration universelle de 1948. Elle recrute 2,2 millions de sympathisants et exerce sa présence dans 150 pays dont le Canada. Réputée pour ses actions en faveur des prisonniers politiques et pour ses rapports dénonçant la condition des droits humains sur la planète. La seconde est Human Rights Watch : d’origine américaine, cette ONG a des antennes dans une dizaine de pays mais fait des opérations de surveillance permanente dans 80 pays. La troisième mais non la moindre est la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) : la plus vieille des organisations de ce type, fondée en 1922, cette ONG regroupe 164 organisations de défense de droits dans une centaine de pays.
2.2. Les organisations de défense de l’environnement
Les Amis de la terre est le premier réseau d’écologistes à s’être mondialisé. Cette ONG a une intervention forte, notamment par des campagnes de sensibilisation contre l’agriculture industrielle (l’agro-business), contre les OGM, contre le réchauffement climatique, pour la protection des forêts. Les Amis de la terre est une ONG présente dans 72 pays dont le Canada (avec une section québécoise). Une seconde ONG d’importance est Greenpeace international : une organisation présente dans 30 pays dont le Canada (avec une antenne québécoise). Elle dispose de 3 millions d’adhérents et de 1200 salariés à travers le monde. Réputée pour ces actions spectaculaires mais non-violentes de défense de l’environnement.
2.3. Les ONG de développement ou de coopération internationale
En tête de liste OXFAM : né à Oxford (Grande-Bretagne) en 1942 pour lutter contre la faim et la misère, OXFAM est devenue une grande ONGI de développement à l’échelle de la planète. Véritable figure de proue de ce type d’ONG, OXFAM est une fédération internationale composée d’une douzaine d’ONG opérant qui se consacrent, dans une centaine de pays du Sud, à la lutte contre la pauvreté et l’injustice (éducation, rapports hommes/femmes, sida, droits humains, etc.). Investissement important en recherche et organisation lobbyiste de premier ordre auprès des grandes organisations internationales (bureaux de plaidoyer à Washington, New-York, Bruxelles et Genève). 3 250 organisations du Sud sont ses partenaires. Présente au Canada avec une section autonome au Québec. Dépenses annuelles : $636 millions en 2006. Des dizaines d’ONG de ce type mais plus petites foisonnent au Québec et assurent une présence active pour soutenir le développement de communautés au Sud : Développement et Paix (200 partenaires, 30 pays), Alternatives, SUCO, CISO, Carrefour Tiers Monde, Plan Nagua…toutes membres de l’Association québécoise de coopération internationale (AQOCI).
2.4. Les ONG humanitaires
Médecins sans frontière (MSF) et Médecins du monde, Journalistes sans frontière, Ingénieurs sans frontière…sont des organisations regroupant des professionnels dont les membres s’engagent pour un temps donné dans le secours d’urgence au Sud à l’occasion, entre autres, de catastrophes dites « naturelles » (mais qui le sont de moins en moins étant donné leur lien avec le réchauffement climatique) telles des inondations (Pakistan été 2010), des tremblements de terre (Haïti, janvier 2010), des tsunamis…Ou dans des zones de guerre (le Darfour, l’Afghanistan…). La plus ancienne de ce type d’ONG : la Croix-Rouge ou Comité international de la Croix-Rouge (CICR) est née en 1864.
3. Les réseaux thématiques ou sectoriels internationaux
Puis il y a des réseaux émergents, de caractère thématique comme le mouvement pour l’annulation de la dette des pays du Sud : Jubilée Sud, fondé en 1999 regroupe 85 organisations de 40 pays du Sud. Partie de la question de l’annulation de la dette des pays les plus pauvres, cette ONG a aujourd’hui élargi son champ d’intervention à l’ensemble des politiques des institutions financières internationales et à celle du changement climatique. Développement et Paix au Québec et au Canada a fortement soutenu ce mouvement.
Une autre catégorie de réseaux, plus économiques ceux-là, sont les réseaux de commerce équitable et d’économie solidaire : INAISE, un réseau international de finance solidaire ; les Rencontres du Mont-Blanc, un regroupement de grandes coopératives et mutuelles françaises et européennes soucieux de renouveler la pensée et les pratiques de l’économie sociale (Fondaction et le CQCM au Québec se sont joints à cette initiative) ; le RIPESS-ALC, un réseau continental latino-américain qui croise l’économie solidaire et le commerce équitable.
Puis, il y a ceux qui réfléchissent et interviennent au niveau plus macro-économique en faisant en premier lieu une analyse de la crise globale que nous traversons comme l’influent groupe français ATTAC né en 1998 et présent dans une cinquantaine de pays (le Québec a une section de ce groupe) et en faisant l’examen critique des modes de régulation néo-libérale des grandes institutions financières internationales comme l’OMC, du FMI et de la BM. Finalement, ATTAC propose aussi une série de réformes pour contrer les pires excès du néolibéralisme mondialisé : taxe sur les transactions financières pour freiner la spéculation, abolition des paradis fiscaux…Sans compter des visées de dépassement du capitalisme à long terme qui en a fait un artisan majeur de la fondation du FSM en 2001. […]
En guise de conclusion
Soyons clair : nous n’avons pas la prétention dans ce court texte d’avoir été exhaustif. D’autre part la participation de toutes ces organisations et réseaux aux activités des différents forums sociaux et leur engagement dans des projets de solidarité internationale est à géométrie variable. Mais le FSM, malgré ce que certains peuvent en dire, n’est pas un repère de « révolutionnaires » ayant une vision enfiévrée du changement social (même si ces derniers sont présents). Le FSM est surtout un espace de délibération planétaire pour toutes les personnes et organisations qui se considèrent (explicitement ou pas) partie prenante de la gauche démocratique au sens où l’entendent les politologues Nöel et Thérien c’est-à-dire des personnes qui allient action collective (de différentes natures et dans des créneaux couvrant différents aspects de la vie en société) avec une analyse critique de la mondialisation néolibérale dans une perspective d’égalité et de solidarité internationale entre les peuples dans un contexte où l’après-capitalisme n’a pas encore véritablement dessiner ses contours. « Nous sommes encore dans une phase de recherche » nous dit Chico Whitaker, membre du Conseil international du FSM.
Phase exploratoire oui ! Mais nous savons cependant qu’une « gauche démocratique » signifie d’entrée de jeu : 1) que le changement dont il est question – quand on parle de « pistes de sortie du capitalisme » ou de « mondialisation équitable, écologique et solidaire » – est, sera et devra être démocratique et non commandée par une quelconque avant-garde éclairée ; 2) d’autre part, l’expression « gauche » nous indique, en fond de scène, l’existence d’un conflit sur l’égalité entre une gauche d’un côté et une droite de l’autre. Bref, un clivage de valeurs. […]
Pour lire le texte au complet, avec ses encadrés, ses notes et sa bibliographie, il faut aller sur le Carnet de Louis Favreau
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