Tiré du Bulletin de l’IRÉC. André Laplante présente les faits saillants d’une entrevue avec Pierre Gouin, ancien cadre au ministère des Finances et à la Caisse de dépôt et placement, maintenant retraité, sur divers enjeux actuels touchant les finances publiques du Québec.
L’économiste n’en démord pas. « J’ai beau analyser les données du ministère des Finances, dit-il, je ne vois pas de cohérence entre la situation des finances publiques et les mesures proposées dans le dernier budget. Il n’y a pas de problèmes structurels. Pendant dix ans, le budget a été pratiquement équilibré. Jusqu’à la crise, les revenus ont augmenté au même rythme que les dépenses courantes ».
Le budget Bachand contient deux pièces majeures : 1) il faut augmenter les revenus structurellement et 2) il faut changer le mode de financement des services publics. Pour l’économiste, c’est là que le bât blesse. « La nécessité d’augmenter les revenus n’est absolument pas démontrée, du moins si on se fie aux documents du ministère des Finances du Québec. Le gouvernement a même réalisé l’équilibre budgétaire après avoir intégré les déficits des réseaux dans les équilibres annuels à partir de 2006-2007. D’ailleurs, le portrait des finances publiques est tellement positif depuis l’atteinte du déficit zéro que j’en viens à douter des données officielles. On peut penser qu’avec un meilleur contrôle des dépenses et en ne baissant pas les impôts, la qualité des services publics aurait pu être sensiblement améliorée, en santé notamment. »
Le prétexte de la dette
« Le gouvernement a tout à coup regardé du côté de la dette, poursuit Pierre Gouin. On insiste sur la mauvaise dette, celle liée à des déficits budgétaires passés. Pourtant, pendant dix ans, il n’y a pas eu de déficit budgétaire. Les déficits, c’est un vieux problème qui remonte aux années 80 et 90 ! Ainsi, lorsque Jean Charest est arrivé au pouvoir, l’importance de la mauvaise dette était la même qu’aujourd’hui. Pourtant, il a baissé les impôts. Il y a l’obsession tout aussi étonnante de vouloir baisser rapidement le ratio de la dette. L’idée d’un certain niveau de dette est acceptée, car une bonne partie de la dette est justifiée par des immobilisations. Aucun économiste sérieux ne peut prétendre qu’il y a urgence à réduire la dette du Québec. Évidemment, il ne faut pas laisser la dette augmenter à cause de déficits courants. »
De 2000 à 2008, la dette canadienne et donc, la part québécoise de cette dette ont effectivement baissé. Celle du Canada a ainsi diminué d’environ 100 milliards $ au cours de la période. « Lorsque l’on évoque la dette que nous assumons au Fédéral, nous rappelle-t-il, on oublie souvent de nous dire que nous sommes aussi propriétaires d’actifs fédéraux qui correspondent à cette dette. » Ce qui se passe au Fédéral nous échappe. « Il est vrai que nous recevons huit milliards de dollars en péréquation, mais nous envoyons des dizaines de milliards en impôts et taxes à Ottawa chaque année. Lorsque nous essayons de rationaliser nos dépenses ici au Québec, il y toute cette partie qui nous échappe. Le Canada dépense comme une grande puissance, ce qu’il n’est pas. Le peuple québécois est-il d’accord avec l’augmentation des dépenses militaires? Notre point de vue est nécessairement minoritaire. Cette incapacité à avoir un contrôle sur une portion très importante de nos revenus a un impact majeur sur la gestion de notre situation financière ici au Québec. »
Un déficit conjoncturel utilisé politiquement
« Le déficit actuel est conjoncturel, affirme l’économiste. Tous les pays se donnent le temps de résorber leur déficit et c’est ce qui est prévu dans notre loi sur les équilibres budgétaires. Les revenus se rétablissent déjà avec la reprise. Est-ce qu’il faut augmenter les revenus davantage, est-ce nécessaire? Rien n’est prouvé. Par contre, une chose est sûre: le budget actuel va changer le mode de financement. J’ai été fort surpris de voir le gouvernement s’engager sur cette voie. Au moment des baisses d’impôt décrétées depuis 2004-2005, le gouvernement affirmait que ces baisses étaient compatibles avec le maintien de services publics de qualité. Aujourd’hui, invoquant un manque de revenus, plutôt que d’augmenter les impôts, le gouvernement décide d’augmenter ses revenus avec des tarifs et des franchises, et ce, sans mandat de la population. Ce n’est pas seulement une autre façon d’aller chercher de l’argent. C’est aussi une façon de réduire les dépenses en diminuant la demande. »
Un détournement de la mission de l’État
Selon Pierre Gouin, « cette nouvelle orientation gouvernementale heurte de plein fouet le principe des services publics gratuits accessibles à toute la population surtout en santé et en éducation tel que les Québécois et les Québécoises le souhaitent depuis la Révolution tranquille. Les nouveaux frais prévus en santé sont inacceptables. Lorsque j’étais cadre à la CDP, nous avions droit à un examen médical annuel gratuit en clinique privée alors que l’on veut demander 25 $ par consultation à la population. C’est très mesquin comme approche! Des hausses importantes des frais de scolarité sont aussi inacceptables. À l’époque, la scolarité me coûtait 500 $ par session et cela me rendait la vie difficile. J’ai pensé depuis ce temps que l’accès à l’université devrait être gratuit. Lorsque j’étais cadre, je payais des impôts élevés. Je ne m’en plaignais pas. Je rendais à la société une partie de ce qu’elle m’avait donné et j’aidais à consolider les services publics. Je crois qu’en grande majorité les contribuables québécois voient aussi les choses de cette façon. ».
Une fiscalité acceptable
« Le Québec a fait des choix de société tout en maintenant un niveau de fiscalité somme toute acceptable. Pour être honnête, dans les comparaisons avec nos voisins nord-américains, il faut tenir compte des services publics qui sont offerts. Les études réalisées par des firmes crédibles prouvent que les entreprises bénéficient au Québec de taux d’imposition parmi les plus faibles en Amérique du Nord. Notre société a fait un effort du côté des entreprises afin de créer des emplois. La majorité des Québécois qui ont réussi l’ont fait grâce au soutien du secteur public, notamment en éducation et en santé. Plusieurs d’ailleurs travaillent dans le public et le parapublic. De leur côté, les entreprises et leurs gestionnaires ont aussi réussi avec l’appui du public: impôts limités, mesures de soutien et contrats publics. Après avoir profité pleinement du système, ils osent prétendre que nous n’avons plus les moyens. La population est prête à payer les impôts nécessaires pour avoir des services publics de qualité tout en soutenant l’activité économique. Mais elle en a assez du gaspillage et de la corruption. »
Le vrai déficit, c’est celui de la crédibilité
« Le dernier budget risque de développer un cynisme absolument dévastateur pour la société québécoise, la vie démocratique et la conduite des affaires publiques. Le discours sur les finances publiques n’est plus crédible. Les gens accepteront difficilement de contribuer davantage. C’est pourquoi il faut un mouvement pour arrêter cette érosion de la confiance de la population envers ses institutions publiques. Du côté des finances publiques que je connais mieux, il nous faut un organisme plus fort qu’un Vérificateur général nommé par le gouvernement dont le mandat est limité. Les projections du ministère des Finances ne sont jamais contestées sérieusement au moment de leur présentation bien qu’elles apparaissent souvent irréalistes. »
Alors que le premier ministre baissait les impôts depuis 2005, une note du Vérificateur disait chaque année que le déficit n’était pas à zéro, car on ne tenait pas compte des déficits des institutions des réseaux de santé et d’éducation. Dans un tel contexte, un organisme indépendant aurait contesté les baisses d’impôts. « De même, lorsque Jean Charest a dit qu’il n’y aurait pas de déficit juste avant l’élection de 2008, le Vérificateur n’a pas pu commenter, car il n’a pas un mandat assez large, mentionne-t-il. Pourtant, les données internes du ministère indiquaient sûrement qu’un déficit était inévitable. Il pourrait aussi répondre à des questions ponctuelles qui requièrent une grande expertise comptable et un accès illimité aux données gouvernementales. Ainsi, quel est l’impact des pertes dans les fonds du gouvernement et des organismes consolidés gérés par la Caisse de dépôt sur les données financières publiées par le gouvernement ? Quel est le ratio de dette au Québec, établi selon les concepts utilisés par l’OCDE ? Quelles sont réellement l’importance relative de la bonne et de la mauvaise dette au Québec et de leur évolution ? Quel serait l’impact sur le service de dette d’une hausse de 3 % des taux d’intérêt ? »
Une marge de manœuvre dissimulée
La réforme comptable de 1998 du gouvernement du Québec a permis de dégager une importante marge de manœuvre. « Les dépenses en immobilisations n’ont plus été considérées comme des dépenses courantes, explique-t-il. Elles ont été amorties sur une longue période. C’est ainsi qu’elles n’affectaient plus directement le déficit budgétaire. Pendant les premières années, cela aurait pu permettre de réduire considérablement les dépenses et de générer un surplus budgétaire. Il semble que cette marge de manœuvre ait été utilisée pour développer le réseau des garderies subventionnées, ce qui peut se défendre dans le cadre d’une politique publique aussi importante pour le Québec que la famille. Par la suite, la marge de manœuvre a aussi été utilisée pour baisser les impôts, ce qui est contestable, car cela n’a rien à voir avec ce que les Québécois et les Québécoises demandent depuis la Révolution tranquille. Un organisme indépendant de vérification aurait pu forcer les débats sur l’utilisation de cette marge de manoeuvre, laquelle est en partie temporaire.»
Par ailleurs, comme les dépenses en immobilisations sont maintenant moins visibles, il y a un danger qu’elles soient moins bien contrôlées et qu’elles fassent accroître le ratio dette/PIB, ce qu’il faut éviter. Une bonne planification à moyen terme de ces dépenses est nécessaire, de même qu’un organisme qui garderait nos politiciens à l’œil.
Le Fonds des générations
L’économiste a conclu en faisant un constat plutôt désarçonnant du Fonds des générations. « On nous dit, conclut-il, que l’on a créé une réserve pour payer la dette. Ce fonds représente une somme de plus de trois milliards de dollars. Cependant, pour créer cette réserve, on laisse la dette augmenter d’un même montant! Nous pourrions utiliser cet argent pour payer des immobilisations ou baisser le déficit courant. Avec le fonds, on lègue une dette équivalente. La présentation du fonds constitue une fraude intellectuelle ! »
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