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Le samedi 23 avril 2022

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Au-delà du débat sur les emplois verts

L’auteur invité est Philippe Frémeaux, éditorialiste à Alternatives Economiques

Le Grenelle de l’environnement créera-t-il des emplois ? La focalisation du débat sur les « emplois verts » est compréhensible, mais ne doit pas faire oublier qu’une société sobre est surtout une société du partage du temps de travail.

Au moment même où, la semaine passée, les gouvernements réunis se mettaient laborieusement d’accord sur un accord sur le climat, une étude du Trésor affirmait qu’à moyen terme le Grenelle de l’environnement aurait un effet négatif sur la croissance et l’emploi. La publication d’une telle étude, au moment où l’avenir de l’humanité sur notre petite planète était en jeu à Cancun, témoigne à quel point nos élites économiques peinent à prendre la mesure des changements à apporter à notre modèle économique.

Que nous disent les experts de Bercy ? Que les investissements engendrés par le Grenelle dans les transports, le bâtiment ou les énergies renouvelables vont susciter dans un premier temps un surcroît de croissance et créer 200 000 emplois supplémentaires d’ici à 2014, mais qu’au-delà les prélèvements nécessaires au financement de ces projets provoqueront un effet récessif qui risque d’être plus important. De toute évidence, le rapport Stiglitz sur les limites du PIB comme indicateur de notre richesse n’a pas été lu au Trésor ! Juger ainsi de l’utilité des mesures adoptées dans le cadre du Grenelle est stupide ! Car le Grenelle, s’il parvient à faire diminuer par exemple la consommation d’énergie de notre parc de bâtiments ou de notre système de transport, va nécessairement peser sur le PIB à la baisse. Vivra-t-on moins bien pour autant ? Évidemment non !

Il est vrai que Jean-Louis Borloo nous avait promis que le Grenelle allait engendrer de nombreuses créations d’emploi. Logique : dans une situation de chômage de masse, on ne peut vendre à l’opinion la moindre mesure sans promettre qu’elle aura un effet positif sur l’emploi … Et pourtant, la nécessaire conversion écologique de nos modes de production et de consommation devrait plutôt avoir un effet négatif sur le nombre d’heures de travail nécessaires pour faire marcher l’économie. Certes, dans le secteur du bâtiment, des transports collectifs, des énergies renouvelables, de l’agriculture durable, des centaines de milliers d’emplois nouveaux apparaitront à coup sûr. En revanche, rendre les produits plus durables ou lutter contre le gaspillage diminuera la quantité physique de biens à produire, à transporter, à distribuer, à vendre, ce qui pèsera négativement sur l’emploi dans l’industrie, mais aussi dans le commerce, les transports, la publicité, etc. Tout l’enjeu est de s’assurer que cette mutation profite à tous.

Les esprits forts ne manqueront pas de nous rappeler que dans une économie ouverte à la concurrence internationale, tout cela n’est pas possible. Il est sûr qu’il n’est pas évident d’imposer une société écologique dans un seul pays ! Ce n’est pas une raison pour baisser les bras. Et donner à croire que les politiques permettant d’assurer la survie de l’humanité sur notre petite planète entraineraient nécessairement un chômage de masse constitue à coup sûr le meilleur moyen de rendre désirable le maintien d’un modèle économique qui nous précipite dans le mur. Une économie plus sobre, ça pourrait être aussi bien un temps de travail réduit pour tous. Certes, la réduction du temps de travail n’est plus à la mode, mais il faut tout de même rappeler que nous travaillons aujourd’hui trois fois moins qu’en 1900 au cours de notre vie. Il n’y a aucune raison d’inverser ce mouvement. Et surtout pas la concurrence des pays émergents. Face à la concurrence chinoise, rien ne sert de travailler plus pour gagner moins. Il faut surtout inciter les Chinois à réorienter leur économie vers la satisfaction de leurs propres besoins. Et pour le reste, sortir d’un modèle économique où certains travaillent toujours plus par peur de perdre leur emploi, tandis que d’autres peinent à trouver ou retrouver un emploi. Enfin, observons que la quantité de travail offerte par l’économie dépend de nos choix économiques et sociaux. Elle peut parfaitement croître même si certaines productions sont en décroissance.

De fait, la quantité d’emploi offerte dans une société de services complexe est corrélée aux formes prises par la division du travail. On peut prendre ses repas à la maison ou aller au restaurant. On peut garder ses enfants ou les confier à la crèche ou à une assistante maternelle. On peut choisir d’apprendre à jouer de la guitare avec des amis ou suivre des cours dans une école de musique… On voit à tous ces exemples qu’un même service peut être assuré par du travail salarié, dans un cadre marchand ou non marchand, mais aussi hors-travail, dans le cadre domestique ou par un réseau d’entraide de proximité… Une société où l’on travaillerait moins, qui faciliterait un meilleur partage des tâches domestiques, un développement du bénévolat et des échanges locaux non-monétaires, offrirait sans doute à ses membres un plus haut niveau de bien-être. Mais une telle perspective dépasse sans doute les capacités d’imagination des économistes du Trésor, trop occupés à compter ce qui vient grossir le sacro-saint PIB !

Ce texte est tiré du magazine Alternatives Economiques

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