L’auteure invitée est Susan George, d’Attac-France. Entrevue réalisée par Zineb Dryef et Pascal Riché du site Rue 89.
L’altermondialiste prône la défense de l’héritage des Lumières et une prise de pouvoir de l’Etat sur le système financier et bancaire.
Les Sages révoltés de notre République, ce sont ces voix qui nous réveillent parce qu’elles mêlent l’eau et le feu, l’expérience et la passion. Parmi eux Stéphane Hessel, 93 ans, Albert Jacquard, 85 ans, ou Edgar Morin, 89 ans.
Mais aussi Susan George, 75 ans : présidente d’honneur d’Attac-France, auteure de nombreux livres, la Franco-Américaine se bat depuis des années pour un monde moins injuste vis-à-vis du Sud et contre le système économique néolibéral. Nous l’avons rencontrée chez elle, vendredi, à l’heure du thé.
La conversation a justement commencé sur le succès du petit opuscule d’Hessel, « Indignez-vous ! », un homme qu’elle décrit comme « impeccable du point de vue moral, qui pratique ce qu’il prêche ». Entretien.
Rue89 : Appeler à l’indignation, un terme qui se place sur le terrain moral, est-ce la meilleure approche pour changer les choses ? N’est-il pas plus efficace de dire « raisonnez ! » ou « révoltez-vous ! » ?
Susan George : Hessel est sur le registre des valeurs, pas sur celui de l’analyse des dossiers économiques ou géopolitiques. Il appelle à l’indignation comme prélude à l’action. Il dit : rejoignez quelque chose. Et il s’adresse particulièrement aux jeunes. Fort de son passé, c’est vrai, il ne veut pas se résigner.
Moi, ce que je sens très fort, c’est l’attaque contre les Lumières. Et ça me désole : à la fois sur le plan philosophique et sur le plan de l’action, je trouve que c’est une très grande conquête de l’humanité.
Le libéralisme politique – tel qu’il était entendu au XVIIIe siècle, ce mouvement européen qui commence avec Locke et qui continue avec les encyclopédistes français – est à la base de la constitution américaine, il est à la base des libertés – politiques, religieuses, de la presse, de l’opinion…
Des gens sont morts pour cela, et la démocratie vient de cette époque-là. Eh bien, j’ai l’impression que ces Lumières font aujourd’hui l’objet d’une très grande attaque idéologique.
J’essaye de me placer dans cette tradition-là, qui vaut la peine d’être défendue.
Les jeunes générations se résignent-elles davantage face à cette attaque ?
L’Europe est un peu K.-O. Tout cela est allé très très vite. En 2009, quand j’étais à Londres pour le contre-G20, il y avait une réaction. On était 35 000 à Hyde Park. Les médias, le lendemain, étaient avec nous ; même Gordon Brown, alors premier ministre britannique, s’empressait de dire qu’il était de notre côté. Le monde était alors à un cheveu de la catastrophe.
Le G20 a parlé des paradis fiscaux, de l’emprise des marchés financiers, de l’emploi, de l’environnement, etc. Et puis une fois que les banques ont été sauvées, tout cela a complètement disparu. Le G20 et le G8 bricolent des solutions pour sauver les banques une deuxième fois. Et puis rien.
Pourquoi cette résignation ? Les gens pensent peut-être que leurs dirigeants sont en train de sauver la Grèce ou l’Espagne. C’est complètement faux, ils sont en train de sauver les banques qui ont acheté de la dette grecque ou de la dette espagnole… Il ne s’agit pas de faire quoi que ce soit pour les peuples.
Non seulement on sauve les banques une seconde fois, mais qui le fait ? Ce sont les peuples, par l’amputation de leur retraite, la baisse de leur salaire, la mise à pied de fonctionnaires. Pourquoi les gens aujourd’hui n’arrivent-ils pas à se regrouper ? En France, on est focalisés sur les élections de 2012, qui sont vraiment secondaires.
La crise qu’on vient de vivre n’a-t-elle pas débloqué quelque chose, dans la réflexion sur l’économie ?
Les gens ont vu que cela ne marchait pas, que le néolibéralisme ne fonctionnait pas. Mais ils continuent comme si cela fonctionnait… La mayonnaise de la contestation ne prend pas.
Il faudrait que les gens fassent des alliances, comme nous essayons de le faire à Attac : on a par exemple des partenariats sur les taxes financières avec des syndicats et diverses organisations – Secours catholique, Comité catholique contre la faim et pour le développement, Oxfam, Les Amis de la Terre…
On essaye de fédérer le monde syndical, caritatif, associatif, écologique. C’est la bonne piste, personne n’est en mesure de gagner seul.
Dans un scénario optimiste, le changement que vous souhaitez, par où commencer ?
Apprendre. Il faut commencer par apprendre. Aujourd’hui, la politique est devenue bien plus compliquée. C’est bien de s’indigner, mais il faut d’abord comprendre pourquoi cela ne marche plus.
Quand j’ai commencé à militer, on disait « Les Etats-Unis hors du Vietnam ! » Les gens étaient d’accord ou pas, mais ils comprenaient ce que cela voulait dire. Quand on disait « Arrêtez l’apartheid », on n’avait pas besoin d’un long discours. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas.
J’ai fait une longue campagne contre l’AGCS [Accord général sur le commerce des services, ndlr], personne ne savait ce que c’était : une OPA sur les services publics et les services de proximité.
Si on ne sait pas comment ça se passe, ce qui est voté, à quel moment, on ne peut agir. Ça ne sert à rien d’être « contre » si on ne peut ni l’expliquer à d’autres, ni taper au bon endroit. Autant se taper la tête contre les murs. Donc il faut apprendre, aider d’autres à apprendre, organiser, faire des alliances.
Et communiquer : on a de plus en plus besoin de choses visibles, qui intéressent les médias. Et ça, on le fait très mal. Il faut sortir des rituels. Faire une manif, c’est comme si je vous demandais de vous intéresser à la messe de 10 heures. Ça fait des années que je dis qu’avec 30 personnes, on peut faire quelque chose de visible, de drôle, et qui appuie là où ça fait mal.
Je propose ainsi depuis longtemps qu’on fasse non pas des « sittings », mais des « laughings » [to laugh= rire, ndlr] : aller rigoler devant tel ministère, ou devant le Medef… Car ce qu’en France on craint le plus au monde, et surtout chez les hommes politiques, c’est le ridicule.
Il y a eu des initiatives de ce genre, comme Sauvons les riches. Ou l’opération Cantona, pour retirer son argent de la banque le même jour. Qu’en avez-vous pensé ?
C’était amusant, mais aussi une fausse bonne idée. Il ne comprenait pas comment fonctionnent les circuits financiers.
Nous travaillons sur une autre approche : « Pour changer la banque, changez de banque. » Mais nous n’avons pas demandé tout de suite aux gens de le faire, parce que la seule banque vers laquelle on conseillerait d’aller aujourd’hui est la Nef, qui n’a que 60 employés, aucune surface.
Ce ne serait pas sérieux. Mais cela peut changer : la Nef se rapproche aujourd’hui de la Banca Etica [une plus grosse banque en Italie, ndlr] et d’autres banques européennes.[…]
Est-ce réaliste de commencer dans un seul pays ?
[Silence] Question difficile. Je ne l’ai pas creusée, à ma grande honte.
Je laisserais les banques échanger des devises, mais elles seraient taxées sur les transactions. J’interdirais l’accès à la plus grande partie des dérivés, ce marécage. Certains dérivés servent d’assurance, très bien. Mais je suis très hostile aux dérivés « nus », qui permettent de s’assurer pour quelque chose qu’on ne possède pas. C’est un peu comme si je prenais une police d’assurance-incendie sur votre maison. J’aurais alors intérêt à la brûler…
C’est un peu ce qu’a fait Goldman Sachs…
Et d’autres ! Ce marché est colossal. C’est 600 000 milliards par an. L’investissement va dans les produits financiers sans passer par l’économie réelle. Il faut instaurer une loi Glass-Steagall [adoptée aux Etats-Unis après la crise de 1929, ndlr] pour les banques, pour séparer les activités de crédit et d’investissement.
Dans un pays, on peut aussi dire aux banques : « Vous allez prêter en priorité aux PME-PMI, surtout celles qui ont un projet écologique ou social. » C’est un contrôle du crédit, dans le sens où il y aurait des bénéficiaires prioritaires ; mais on ne va pas nationaliser toute l’économie.
Pourquoi encadrer le crédit de façon rigide ? On peut aussi imaginer des bonifications de crédit pour les PME.
Pourquoi pas, il faut étudier les meilleures suggestions, je ne suis pas économiste.
Y a-t-il des solutions internationales ?
Pour les paradis fiscaux, oui. Si on peut interdire à la Société Générale d’y avoir recours dans un seul pays, est-ce qu’en droit, on peut l’obliger à fermer sa succursale de Jersey ? Je ne suis pas sûre.
Je me suis demandé s’il était possible d’interdire aux agences de notation de noter les Etats. Mais aux Etats-Unis, la Cour suprême a estimé que le premier amendement les protégeait, au nom de la liberté d’expression. […]
Pour lire le texte au complet, il faut aller sur le site web Rue 89
Discussion
Pas de commentaire pour “« Il faut mettre les banques sous tutelle »”