« La mondialisation a généré une croissance économique stable pour une génération. Elle a rétréci et remodelé la planète », souligne Klaus Schwab, fondateur du Forum économique mondial de Davos, dans l’avant-rapport du forum. Mais dans un sursaut de clairvoyance, il admet néanmoins : « Une minorité a cueilli une part disproportionnée des fruits. Même si la croissance de nouveaux champions émergents rééquilibre la puissance économique entre pays, il est manifeste que la disparité économique au sein des pays est en train de croître. »
Le « gotha » des dirigeants du monde, ceux-là même qui ont mis en place les règles qui ont conduit à la crise, se disent débordés par la complexité du monstre qu’ils ont créé. Avec le nouveau leadership des grands pays émergents, sur lesquels ils n’ont plus tout à fait la même relation de contrôle; devant les mouvements de contestation sociale qui ne peuvent que s’étendre étant donné la croissance des prix de première nécessité et la corruption généralisée du système de gouvernance mondiale; face à la « montée du populisme et du nationalisme » et la perte du « sens de la solidarité nationale » (!!!!), les dirigeants des grandes entreprises transnationales voudraient maintenant voir émerger « une opinion publique globale bien informée et aisément mobilisable, partageant des normes et valeurs de citoyenneté mondiale ». Je suis entièrement d’accord, mais autour de quelles normes et valeurs ?
Nous avons vu, dans des billets précédents sur le thème de la fiscalité, les raisons pour lesquelles il est urgent, tant d’un point de vue social que d’un point de vue strictement économique, de réformer la fiscalité pour casser les tendances actuelles de plus grandes inégalités. On a vu aussi comment certaines forces politiques rejettent ou s’engagent vers de telles réformes. Voici deux exemples, tirées du site du Progressive Economics Forum, d’initiatives rétrogrades qu’il faut combattre et dénoncer parce qu’elles constituent des obstacles à une fiscalité plus équitable.
La première provient justement de l’une des organisations mondiales qui a activement participé à la mise en place des règles du modèle de développement insoutenable qu’il nous faut changer : la Banque mondiale (BM). L’économiste Erin Weir nous présente dans un billet publié en décembre dernier comment la BM préconise une fiscalité qui aggrave les inégalités. L’une des publications clés de la BM, aussi importante pour les milieux d’affaires ou publics du monde que peut l’être l’Index of Economic Freedom du Heritage Foundation, est le rapport annuel Doing Business. Dans leur rapport le plus récent, un chapitre spécial porte sur la question de la fiscalité, dans lequel les auteurs insistent en introduction sur l’importance d’une bonne fiscalité qui donne aux États les moyens d’agir pour produire les biens publics.
Malgré cette profession de foi de bon aloi, les indicateurs qui sont proposés pour mesurer l’efficacité des fiscalités nationales sont ni plus ni moins que l’appel à toujours moins d’équité fiscale. L’index proposé donne le meilleur rang aux pays qui ont les taux d’imposition les plus bas ainsi que les niveaux de dépenses publiques les plus insignifiants. Imaginez-vous : le pays qui obtient la meilleure note est l’Ile des Maldives, l’un des paradis fiscaux les plus corrompus, avec un taux d’imposition des profits de 10 % (comprenant la parafiscalité!). Les pays qui diminuent la fiscalité des entreprises reçoivent une mention alors que ceux qui l’augmentent sont notés d’un X. Le rapport critique nommément l’Islande pour avoir augmenté l’impôt des entreprises de 15 % à 18 %. Erin Weir le mentionne, le rapport de la BM fait la promotion d’une compétition fiscale entre les pays pour favoriser la baisse des taux !
Selon ce point de vue, le Canada apparaît donc comme un excellent élève de la BM avec la décision des Conservateurs de diminuer les impôts des entreprises. Le taux d’imposition des entreprises au fédéral est passé de 28 %, en 2000, à 18 % en 2010. En 1960, au plus fort de la croissance de l’économie canadienne, nous dit Armine Yalnizyan, l’impôt fédéral était de 40 % ! L’argument selon lequel cette baisse de taxe devrait créer 100 000 emplois et générer encore plus de revenus fiscaux n’est rien d’autre qu’une des nombreuses idées Zombies resservies par une droite idéologique sans scrupule qui n’agit que par cupidité. Le billet rétablit clairement les faits à ce sujet : la baisse de l’imposition ne s’est pas traduite par une croissance des investissements des entreprises. On peut dire qu’elle s’est plutôt transformée en inégalité croissante des revenus.
Alors que les enjeux actuels exigeraient plutôt de mobiliser les ressources disponibles dans un effort commun pour renouveler les infrastructures pour un développement durables, en investissant dans l’éducation, la recherche et d’autres biens publics qui ont d’énormes retombées positives sur la rentabilité des entreprises, les milieux d’affaires refusent de faire leur part. Cet aveuglement d’égoïsme devient de plus en plus intolérable.
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