Maintenant que l’affaire semble réglée, il est opportun de tirer certaines « morales » de ce conte de l’ère de voyous financiers des dernières années. Comment a pu survenir une telle affaire ? Il fallait, d’une part, une masse importante de petits poissons en demande de rendements financiers insoutenables et prêts à placer les yeux fermés leurs épargnes dans une société qui leur promettait de tels rendements. Il fallait un groupe de financiers cupides, prêts à tout pour avoir leur part des indécents bénéfices de cette industrie financière. Il fallait évidemment une industrie financière pléthorique, imbue d’elle-même, se sentant au-dessus des lois et assez riche pour corrompre (d’autres appellent ça faire du lobbying) les décideurs politiques. Il fallait enfin un environnement réglementaire déficient, parce que faiblement financé et géré par l’État et dépassé par la dynamique échevelée de l’industrie.
On peut dire que « l’affaire » est réglée, mais rien n’est réglé puisqu’il n’y a pas de jugement et d’accusations contre les responsables et le système qui a engendré cette affaire. La fin des procédures judiciaires, incluant celles engagées contre la Caisse de dépôt et placement, était en effet une condition pour que le règlement soit conclu. Un coupable a été jugé – il est même déjà sorti de prison ! – mais la chaîne de responsabilité des pratiques quasi-frauduleuses qui a permis ces détournements restera voilée par la justice, et donc impunie. En ce qui me concerne, la justice n’a pas été rendue : nous ne connaîtrons pas les manquements de l’Autorité des marchés financiers et des firmes comptables KPMG et Beaulieu Deschambault, de Northern Trust et de la Société de fiducie Concentra.
Les clients de Capital Teraxis sont les victimes les plus irréprochables de cette affaire parce qu’ils n’ont pas choisi d’investir dans Norbourg : c’est la Caisse de dépôt qui les a foutu dans le pétrin en vendant ce portefeuille de fonds à ce criminel en cravate. Mais ce n’est pas seulement la Caisse qui est ici en défaut. C’est plutôt un système de réglementation et, plus largement, un modèle de développement qu’il faudrait rapidement repenser si on veut éviter la répétition de cette crise. Ce dont il s’agit, c’est de repenser notre rapport à la finance, qui passe par le questionnement de nos manières de penser, d’agir et de faire l’économie. Il faut rapidement sortir de la financiarisation qui s’est imposée depuis quelques décennies.
Autrefois fortement réglementé et cloisonné par les divers États nationaux, le secteur financier s’est graduellement autonomisé par rapport à l’économie réelle, dans la foulée de la mondialisation, de la déréglementation et du support des nouvelles technologies de la communication. Alimenté par une « épargne de masse » issue de la génération des baby-boomers, nous avons assisté à la croissance phénoménale d’institutions financières opaques – les fonds de couverture et les fonds privés d’investissement – tournées vers des attentes de rendements insoutenables sur des horizons de court terme. Mais la financiarisation ne se limite pas à la seule spéculation financière ; elle signifie également un transfert d’influence au sein des lieux de pouvoir économique. Le capitalisme actionnarial qui s’est imposé depuis les années 1990 s’exprime dans un nouveau modèle d’entreprise où les financiers, présidant désormais aux décisions stratégiques, imposent le critère unique de la valorisation actionnariale. Le processus de financiarisation tend par ailleurs à s’imposer comme mécanisme global de régulation de l’économie, prescrivant par exemple aux États des politiques de régression sociale – diminution de la fiscalité, coupures dans les programmes sociaux – pour satisfaire aux exigences des firmes de notation.
C’est le procès d’un modèle de développement qu’il faut faire.
[Pour mieux comprendre tout ce qu’il faut savoir sur l’affaire Norbourg, je vous conseille de lire l’article de François Desjardins dans Le Devoir.]
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