L’auteur invité est Olivier De Schutter, Rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation. Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats.
Que peut faire le G20 pour nous préparer à faire face aux crises alimentaires, maintenant et à l’avenir ? Le président de la Banque Mondiale Robert Zoellick a récemment établi une liste de neuf mesures que le G20 devrait adopter dans le cadre de l’actuelle présidence française. Ces mesures vont de l’amélioration de l’information sur les stocks de céréales et le développement de meilleures méthodes de prévisions météorologiques au renforcement des filets de protection sociale pour les pauvres et l’aide aux petits exploitants agricoles afin qu’ils bénéficient des appels d’offre des acheteurs humanitaires comme le Programme Alimentaire Mondial.
Ces mesures sont évidemment bienvenues, mais elles ne traitent que les symptômes des faiblesses du système alimentaire global et ignorent les causes à l’origine des crises. Elles atténueront peut-être les incidences de la flambée des prix, mais elles n’empêcheront pas la récidive des chocs, ce qui ne pourra être fait que si le G20 concentre son action autour de huit priorités.
Tout d’abord, le G20 devrait soutenir la capacité des pays à se nourrir. La facture alimentaire de nombreux pays pauvres a été multipliée par cinq ou six depuis le début des années 90. Cette situation résulte non seulement de la croissance démographique mais aussi du fait qu’ils se sont focalisés sur une agriculture d’exportation. Le manque d’investissement dans une agriculture destinée à nourrir les communautés locales rend ces pays vulnérables aux chocs des prix internationaux, ainsi qu’à la volatilité des taux de change.
A titre d’exemple, le Mozambique importe 60% de sa consommation de blé et l’Egypte, 50% de ses besoins alimentaires. La hausse des prix affecte directement la capacité de ces pays à se nourrir à un coût acceptable. Cette tendance doit être inversée en permettant aux pays en développement de soutenir leurs agriculteurs et, là où l’offre domestique est suffisante, en les protégeant contre le dumping des producteurs étrangers.
Deuxièmement, il faut organiser des réserves alimentaires, pas seulement pour les stocks humanitaires dans les régions prédisposées aux désastres et pauvres en infrastructures, comme le propose Zoellick, mais aussi comme un moyen d’assurer des revenus stables aux producteurs agricoles et une alimentation abordable pour les pauvres. Si cela est géré de manière transparente et participative, et si les pays combinent leurs efforts au niveau régional, ces réserves alimentaires peuvent constituer un moyen efficace pour relancer le dynamisme des marchés vendeurs et contrecarrer la spéculation des négociants, limitant ainsi la volatilité des prix.
Troisièmement, il faut restreindre la spéculation financière. Bien qu’elle ne soit pas une cause de la volatilité des prix, la spéculation sur les dérivés de denrées alimentaires de première nécessité y contribue de manière significative. Une telle spéculation est le fruit de la dérégulation massive des marchés dérivés de matières premières débutée en 2000 – et qui doit désormais être inversée. Les principales économies devraient s’assurer que ces dérivés soient le plus possible réservés à des investisseurs qualifiés et informés, qui négocieront sur la base d’attentes relatives aux fondamentaux du marché, plutôt que principalement ou uniquement pour obtenir des gains spéculatifs rapides.
Quatrièmement, les pays en développement aux prises à des difficultés financières craignent que les filets de protection sociale, une fois en place, ne deviennent budgétairement insupportables du fait d’une baisse soudaine des revenus d’exportations, de mauvaises récoltes ou d’une flambée des prix des denrées alimentaires importées. La communauté internationale peut aider à dépasser cette réticence en établissant un mécanisme de réassurance globale. Si la prime était en partie payée par le pays demandeur d’une assurance et le solde pris en charge par les contributions des donateurs, ces pays seraient alors plus enclins à mettre en place des programmes de protection sociale solides.
Cinquièmement, les organisations de fermiers ont besoin de soutien. Le fait que la majorité de ceux qui souffrent de la faim soient parmi ceux qui dépendent directement d’une agriculture à petite échelle s’explique principalement par une insuffisance d’organisation. En créant des coopératives, ils peuvent déplacer la chaine de valeur dans la transformation, l’emballage et la commercialisation de leurs produits. Ils peuvent améliorer leur pouvoir de négociation à la fois pour leurs achats d’outils de productions et pour la vente de leurs récoltes. Et ils peuvent constituer à terme un poids politique suffisant pour que les décisions prises à leur sujet ne le soient pas sans eux.
Sixièmement, nous devons protéger l’accès à la terre. Chaque année, des régions plus vastes que l’ensemble des terres agricoles françaises sont cédées à des investisseurs ou des gouvernements étrangers. Cette captation, principalement importante en Afrique sub-saharienne, constitue une réelle menace pour l’avenir de la sécurité alimentaire des populations concernées. Les gains obtenus par la production agricole résultant de ces investissements bénéficieront aux marchés étrangers, et non aux communautés locales. Le G20 pourrait demander un moratoire sur ces investissements à grande échelle jusqu’à ce qu’un accord approprié concernant la réglementation de ces terres soit obtenu.
Septièmement, il faut finaliser la transition vers une agriculture durable. Les occurrences météorologiques contribuent largement à la volatilité des prix sur les marchés agricoles. Il faut s’attendre, à l’avenir, à ce que le changement climatique bouleverse un peu plus l’offre. Et l’agriculture est aussi en grande part responsable du changement climatique, à l’origine de 33% de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre, si l’on inclut dans ce calcul la déforestation pour les cultures et les pâturages. Nous avons besoin de systèmes agricoles plus résistants au changement climatique, à mêmes de contribuer à le réduire. L’écoagriculture offre certaines solutions mais il faudra un large soutien de la part des gouvernements pour encourager plus encore les meilleures pratiques déjà mises en ouvre.
Enfin, il faut défendre le droit à l’alimentation. Les populations ont faim non pas par un manque de production de denrées alimentaires, mais parce que leurs droits sont violés en toute impunité. Il faut assurer aux victimes de la faim l’accès aux traitements médicaux lorsque leurs dirigeants ne prennent pas les mesures nécessaires contre l’insécurité alimentaire. Les gouvernements doivent garantir un salaire minimum, des soins de santé appropriés et des conditions sûres pour les 450 millions de travailleurs agricoles de la planète, en appliquant les conventions du droit du travail dans les zones rurales, avec une surveillance indépendante.
La faim n’est pas uniquement une question technique, c’est aussi une question politique. Il faut des marchés, bien sur, mais il faut aussi une vision à long terme qui aille bien au-delà des simples solutions de court terme. Le système alimentaire global aura toujours besoin de pompiers. Mais nous avons surtout besoin d’architectes capables de concevoir un système résistant mieux au feu.
Pour lire le texte original, il faut aller sur le site Project Syndicate
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