L’auteur invité est Denis Clerc, fondateur et chroniqueur du magazine Alternatives Economiques.
La 20e édition du « Rapport sur le développement humain« , publié par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), vient de paraître. Un rapport de plus, direz-vous. Et l’on sait bien que les rapports ne changent pas le monde. Certes, mais il existe des exceptions. Le premier rapport sur le développement humain, daté de 1990, en fut une. D’abord, un rapport publié par une agence des Nations unies (même s’il stipulait que ses analyses et conclusions « ne reflètent pas nécessairement les vues du Pnud ») critiquait vigoureusement le « consensus de Washington » professé alors par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI): libéralisation de l’économie, réduction des dépenses publiques, déréglementation, etc. Surtout, cette première édition s’ouvrait sur une affirmation: « Les personnes sont la vraie richesse d’une nation. » Cela aurait pu n’être qu’une affirmation rhétorique, mais il n’en était rien puisque, en lieu et place du « grossier PNB », il proposait une vaste batterie d’indicateurs sociaux dont deux – l’espérance de vie et le taux de scolarisation – venaient compléter le produit par tête pour composer l’indice de développement humain (IDH). Certes, il est important de disposer d’un niveau de vie décent, affirmait le rapport, mais jouir d’une bonne santé et d’une éducation de qualité ne l’est pas moins. Et l’un n’implique pas forcément l’autre, tout dépend de la façon dont les gains de revenus sont répartis: davantage de policiers ou d’écoles?
Vingt ans après, le Pnud persiste. Le rapport met toujours en doute « l’idée selon laquelle la croissance des revenus (…) serait suffisante pour améliorer la santé ou l’éducation dans les pays à IDH faible ou moyen ». Mais il enfonce le clou: « Les marchés peuvent être nécessaires à un dynamisme économique soutenu, mais ils n’amènent pas nécessairement des progrès dans les autres dimensions du développement humain. » La récente crise financière est « un rappel brutal des risques d’une libéralisation débridée ». Les auteurs du rapport se situent explicitement dans la lignée de Karl Polanyi: « Sans une action étatique et sociétale complémentaire, les marchés peuvent être déficients » en matière environnementale, sanitaire ou éducative. Bref, il ne suffit pas que l’économie marche bien pour que la société en bénéficie. C’est ce qu’explique, analyses à l’appui, l’excellent hors-série poche d’Alternatives Economiques réalisé par le Forum pour d’autres indicateurs de richesse, que je recommande à tous nos lecteurs.
Quant à l’IDH, bien que critiqué, il demeure un instrument utile pour montrer que l’évolution économique et l’évolution sociale peuvent plus ou moins fortement diverger. Pour le compléter, l’équipe du Pnud propose deux nouveaux indicateurs composites, l’un centré sur les inégalités (de revenus, de santé et d’éducation), l’autre sur la pauvreté. Entre 1970 et 2010, sur les 135 pays passés en revue, seuls trois (la Zambie, la République démocratique du Congo et le Zimbabwe) ont connu une baisse de leur IDH. Et le rapport souligne que les pays pauvres ont globalement connu une amélioration plus rapide de leur IDH que les pays riches. Au sein d’un même groupe de pays du point de vue du revenu, les évolutions divergent sensiblement: ainsi, les Etats-Unis, n° 1 mondial de l’IDH entre 1980 et 1990, sont passés au 2e rang en 1995 et au 3e en 2000 (alors que leur croissance économique entre 1990 et 2000 était la plus forte de tous les pays industrialisés). Ils sont désormais au 4e rang, dépassés par la Norvège (1re), l’Australie (2e) et la Nouvelle-Zélande (3e). Dans le même temps, la France a suivi le chemin inverse, passant du 19e au 14e rang depuis 1980. Mais si l’on tient compte des inégalités, l’IDH des Etats-Unis recule de neuf places, celui de la France de trois, tandis que le Canada (8e en 2010) recule de deux places et la Belgique (18e) progresse de deux, doublant ainsi la France.
Je me réjouis évidemment de ce que les pays pauvres progressent sur le chemin du développement, et que les inégalités soient enfin perçues comme une régression dans ce même chemin. Ce n’est pas encore la fin du « grossier PNB », mais on se rapproche d’une vision plus civilisée.
Ce texte est tiré du du site du magazine Alternatives Economiques
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