L’auteure invitée est Jean-Marie Harribey, ancien Professeur agrégé de sciences économiques et sociales et Maître de conférences d’économie à l’Université Bordeaux IV.
Dans L’Humanité de samedi 5 février 2011, un tête-à-tête intéressant sur « Matières premières agricoles : interdire la spéculation ? » oppose Patrick Artus et Aurélie Trouvé. Le premier affirme que « les marchés à terme offrent une assurance sur les prix » tandis que pour la seconde « il faut désarmer les marchés à terme ».
Patrick Artus est trop instruit pour croire un instant ce qu’il raconte. Mais il a peut-être tellement la nostalgie de l’efficience des marchés qu’il tente de nous (se) persuader qu’on peut, malgré la crise financière, encore accorder quelque crédit (crédit, oui !) à une telle foi.
Le fond de son argumentation consiste à distinguer les marchés à terme sur lesquels s’échangent des produits dérivés, vulgaires bouts de papier une fois titrisés les contrats commerciaux sur des biens réels, et les marchés à terme sur lesquels s’échangent les biens réels, par exemple les matières premières agricoles. Les premiers sont à proscrire mais pas les seconds, selon Patrick Artus.
Cette distinction est-elle tenable ? Le principe d’un marché à terme est de mettre, au départ, face à face un producteur et un « assureur » pour se prémunir contre une variation de prix. Mais l’« assureur » n’est pas fou. Lui-même cherche à s’assurer auprès d’un autre « assureur » et ainsi de suite. Les uns parient à la hausse du prix jusqu’au terme du contrat, les autres parient à la baisse. Et c’est justement dans cette suite sans fin que vont s’immiscer les opérateurs dont la fonction n’est pas de produire de la farine avec le blé servant de sous-jacent au produit dérivé, mais dont le métier est de faire du « blé » avec la farine. Il n’y a pas de marché à terme sans spéculation, c’est tautologique.
Patrick Artus est donc atteint du blues de l’économiste écartelé entre l’intelligence de la situation et la croyance en l’efficience des marchés financiers. On ne redira jamais assez qu’un marché financier est, intrinsèquement et définitivement, incapable de s’équilibrer et de s’autoréguler. En raison du fait que la fameuse loi de l’offre et de la demande ne s’y applique pas. Lorsque le prix d’un titre financier augmente, sa demande ne diminue pas, elle augmente car tous les spéculateurs veulent s’enrichir rapidement. Lorsqu’il baisse, sa demande n’augmente pas, elle baisse, parfois jusqu’à créer la panique.
Aurélie Trouvé a donc raison d’opposer à Patrick Artus que, pour stabiliser les cours des produits agricoles, on ne peut s’en remettre à un marché dérégulé, surtout s’il est de gré à gré. En cette période de crise de l’Union européenne, vouloir une politique agricole dont les marchés à terme seraient la boussole ne peut qu’accroître la volatilité des cours et accentuer la dérive productiviste de l’agriculture industrielle. Car, n’en doutons pas, derrière les fonds spéculatifs qui font du blé avec la farine, il y aura aussi des Frankenstein pour inventer des OGM. Mais y a-t-il un assureur sur les marchés à terme pour assurer contre les risques génétiquement modifiés ?
Ce texte est tiré du blogue de l’auteur sur le site Internet d’Alternatives Economiques
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