L’auteur invité est Guillaume Duval, rédacteur en chef du magazine Alternatives Economiques.
Après la chute de Lehman Brothers à l’automne 2008, les gouvernements et les banquiers centraux du monde entier ont su réagir de façon suffisamment rapide et puissante pour éviter l’enclenchement d’une dynamique dépressive analogue à celle qui avait suivi le krach de 1929. Mais deux ans et demi plus tard, le monde est très loin d’être sorti d’affaire pour autant.
L’activité a certes repris quelque peu, mais du coup les déséquilibres massifs qui ont conduit à la plus grande crise de l’après-guerre se rappellent à notre bon souvenir. La crise est notamment liée à la tendance chronique des Américains à consommer davantage qu’ils ne produisent, sans épargner quoi que ce soit. Corriger cela implique nécessairement une mutation profonde et douloureuse de leurs modes de vie. Quand on observe le succès électoral du Tea Party et la violence du débat public aux Etats-Unis, on se demande cependant comment cela va être possible sans que la société américaine ne se déchire…
La Chine, de son côté, est confrontée à un défi qui semble a priori nettement plus facile à relever : consommer plus et épargner moins. Mais pour l’instant, on voit surtout une crispation sur les politiques mercantilistes antérieures et une poursuite des déséquilibres qu’elles entraînent. Il faut dire que, malgré tous les beaux discours des dictateurs éclairés de Pékin, les oligarques, qui s’en sont mis plein les poches avec l’envolée des exportations chinoises, n’ont qu’un intérêt modéré à ce que le yuan soit réévalué et le salaire de leurs ouvriers augmenté. Sans parler des inquiétudes des dignitaires communistes sur leur capacité à garder le contrôle d’une société où la classe moyenne deviendrait réellement dominante.
Quant à l’Europe, bien qu’elle n’ait pas du tout connu, dans son ensemble, de déséquilibres aussi massifs que ceux des Etats-Unis, elle a été plus touchée qu’eux par la crise et peine davantage encore à s’en relever. En cause, cette fois, ses déséquilibres internes et l’absence de mécanismes de solidarité et de gouvernance adaptés. Mais, là aussi, loin de pousser les Européens à franchir une étape supplémentaire en matière d’intégration, la crise semble avoir surtout dopé les égoïsmes nationaux et les démagogues populistes qui en jouent.
Pour ne rien arranger, la hausse récente des prix du pétrole et des produits alimentaires nous rappelle que, au-delà des folies commises au sein d’une sphère financière hors de contrôle, la crise que nous traversons est aussi, et déjà, une crise écologique. Une crise liée aux tensions accrues sur les matières premières suscitées par le décollage des pays émergents, ainsi qu’à l’impact déjà sensible du changement climatique et des usages énergétiques de surfaces agricoles sur la production alimentaire.
Or, loin de nous pousser à presser le pas dans la transformation écologique de nos économies, cette crise nous a incités à lever le pied du fait notamment de la pression à la baisse des dépenses publiques. Une tendance qui risque de se révéler fatale, notamment pour l’Europe, dont les ressources non renouvelables, exploitées de longue date, sont désormais rares. Heureusement, on n’est jamais tout à fait à l’abri d’une bonne surprise.
Ce texte est tiré du magazine Alternatives Economiques Hors-série n° 088 – février 2011
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