Les auteurs invités sont Amelie Lescroel et Sylvain Angerand.
Chez Carrefour, le poisson est à la fête : du 17 au 23 février, l’enseigne de distribution lance sa semaine de communication « Les Jours bleus ». L’objectif est de promouvoir l’écolabel MSC censé garantir aux consommateurs que leur poisson est issu d’une pêche durable. Problème : depuis quelques mois, ce label est au cœur d’une controverse scientifique grandissante.
MSC, cela veut dire Marine Stewardship Council ; on peut traduire ça par « pêche durable ». Parce que du poisson, justement, il n’y a en a plus beaucoup : l’effondrement des stocks à cause de la surpêche est l’un des principaux problèmes écologiques actuels.
Or, pour continuer à vendre, il faut rassurer le consommateur. Créé en 1997 par le WWF et Unilever, ce label a mis du temps à trouver ses marques. Mais depuis quelques années, le logo en forme de petit poisson bleu et blanc se multiplie sur les boîtes de poisson pané et autres étalages des grandes surfaces.
Des autorisations injustifiées
Au départ, les scientifiques étaient plutôt enthousiastes à l’idée de mieux encadrer la pêche et d’encourager la pérennité des populations. Mais rapidement, les premiers couacs sont apparus. Il y a eu la certification, en 2004, d’une pêcherie de merlu en Afrique du Sud alors que le stock est considéré comme effondré. Rebelote en 2009 avec une autre pêcherie de merlu du Pacifique.
Plus récemment, une polémique a éclaté sur le colin d’Alaska, un poisson en bonne place sur les étals de Carrefour. Aujourd’hui, les tensions se cristallisent autour de la pêche à la légine antarctique. Ce poisson de luxe est devenu, en quelques années, une cible privilégiée de l’industrie halieutique avec une explosion de la pêche illégale.
Légine antarctique : la certification de trop
Malgré toutes les incertitudes sur l’état des stocks, les industriels ont fait appel au MSC pour rendre « respectables » ces prélèvements. Bingo ! En novembre 2010, ils ont obtenu le précieux label au grand dam des scientifiques qui l’ont fait savoir dans la revue Science.
Cette certification est celle de trop : la légine antarctique est une espèce dont on ignore où et avec quelle fréquence elle se reproduit puisque personne n’a jamais retrouvé ni œufs, ni larves.
Surtout, cette pêche a ouvert aux chalutiers les eaux du sanctuaire maritime de la mer de Ross, en Antarctique, qui est considéré comme l’écosystème marin le plus préservé au monde. La légine en est une espèce-clé et son exploitation menace l’équilibre du système ainsi que les populations de cachalots, orques et phoques qui s’en nourrissent. Un scandale.
Un label pour les pays développés
Le label MSC, c’est du sérieux. La preuve, il interdit explicitement les techniques des pêches destructrices. C’est à dire l’utilisation de poison ou, mieux, de dynamite. C’est bien mais c’est insuffisant, c’est un écran de fumée pour détourner l’attention de techniques beaucoup plus répandues et tout autant destructrices. L’utilisation de chaluts de fond qui détériorent les fonds marins et capturent l’ensemble des espèces sans aucune distinction est l’une d’elles.
Levons le voile sur le grand mystère : le MSC est un système contrôlé par l’industrie et les pays développés et ils ne s’en cachent pas. D’habitude, il y a toujours un responsable africain ou originaire d’Amérique du Sud dans le bureau de ce genre d’organisation pour faire illusion mais là, non. Aucun des treize membres du conseil du MSC ne provient d’un pays du Sud.
Dans un excellent rapport, Stefano Ponte, de l’Institut danois d’études internationales, nous explique comment, à la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, les grandes entreprises se sont ruées sur le MSC pour éviter que le gouvernement ne redistribue plus équitablement les quotas de pêche avec les nouveaux arrivants.
6 000 euros pour un recours
Une autre technique consiste à multiplier les réunions dans les pays du Nord, notamment celles où sont discutés les critères de certification : c’est radical pour éviter que des représentants des pays du Sud, qui n’ont pas les moyens de parcourir la planète, ne participent. Et si cela ne suffit pas, on va faire payer les râleurs.
Les scientifiques sont bien souvent des gens rigoureux et obstinés : face au refus de l’organisme certificateur de prendre en compte leurs remarques sur la pêche à la légine antarctique, ils ont décidé de déposer une objection formelle. Une procédure pour laquelle MSC leur a demandé la bagatelle de 18 000 euros. Aujourd’hui, le MSC a fait un effort, ce recours ne coûte plus que 6 000 euros.
Les chercheurs croisent les doigts pour ne pas avoir à renouveler leur plainte, et les petits pêcheurs, bien souvent victimes collatérales de la pêche industrielle, se demandent bien où trouver une telle somme d’argent.
Fausse indépendance des sociétés d’audit
Le MSC n’aime pas qu’on le chatouille sur son indépendance. L’argument, développé dans un communiqué, est bien rodé : « Le MSC ne touche aucune somme d’argent liée à l’évaluation et à la certification d’une pêcherie, afin de garantir toute son indépendance. »
Sauf que le problème n’est pas là. Comme la plupart des certifications, MSC accrédite un certain nombre d’entreprises privées qui se chargeront des audits de certification. C’est ensuite qu’il y a conflit d’intérêt : une pêcherie qui souhaite être certifiée fait appel à une des sociétés accréditées et la paye pour réaliser l’audit.
Quand on sait qu’un audit MSC coûte entre 10 000 et 100 000 euros et que ces sociétés d’audit sont en très forte concurrence, chacun comprendra que l’indépendance est très relative.
Le système a un autre « avantage » pour les petits pêcheurs des pays du Sud : pas besoin de dépenser vos économies pour assister aux réunions ou de porter plainte quand vous n’êtes pas d’accord, de toute façon vous ne pourrez jamais vous payer un audit.
Ce texte est tiré du site web français Rue89
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