La pensée économique perd un géant
Par François Desjardins, journaliste économique pour Le Devoir
On a toujours l’impression que les plus grands partent trop tôt. Gilles Dostaler, spécialiste parmi les spécialistes de John Maynard Keynes et professeur au Département des sciences économiques à l’UQAM depuis les années 70, vient de perdre son combat contre le cancer.
Penseur réputé au Québec comme ailleurs, auteur d’ouvrages phares traduits tant en japonais qu’en arabe, M. Dostaler était «encore très présent» à l’université, à tel point qu’il a participé à une assemblée départementale au mois de janvier.
«C’était une sommité dans son domaine, c’était très clair», a rappelé hier Stéphane Pallage, qui dirige le Département des Sciences économiques de l’UQAM, en se remémorant le premier contact qu’il a eu avec M. Dostaler en 1995 lors de sa propre embauche. «Dès le premier contact, on réalisait à quel point cet homme était un puits de science.»
La connaissance intime que M. Dostaler avait de Keynes — et sa lecture du néolibéralisme — a eu ceci de précieux au cours des dernières années qu’il devenait une référence incontournable pour quiconque voulait saisir la signification de l’intervention économique des gouvernements en cette période de crise financière.
«Jusqu’à l’automne dernier [2008], on était à contre-courant du discours dominant», a-t-il confié lors d’un entretien avec Le Devoir en février 2009 dans le cadre de la publication de Capitalisme et pulsion de mort, avec Bernard Maris, chez l’éditeur Albin Michel. «Avec la crise engendrée par les « subprimes » [les prêts hypothécaires à risque élevé], le discours dominant a changé complètement.»
Autres ouvrages
Parmi les autres grands ouvrages de M. Dostaler, né en 1946, figure Keynes et ses combats, paru chez Albin Michel. Traduit en anglais, en japonais et en portugais, il lui a valu d’être finaliste aux Prix du Gouverneur général du Canada en 2005. Aux éditions du Seuil, avec Michel Beaud, il a écrit en 1993 La Pensée économique depuis Keynes: historique et dictionnaire des principaux auteurs, traduit notamment en arabe, en roumain et en vietnamien. Il a aussi contribué au Devoir des Écrivains, en novembre 2010.
«Il connaissait Keynes sur le bout des doigts, a dit Stéphane Pallage hier. C’était un des rares économistes et historiens à avoir accédé à l’ensemble des archives de Keynes à Cambridge.»
Paul Toutant, ex-journaliste de Radio-Canada dont l’épouse est une amie de longue date de la conjointe de M. Dostaler, s’est rappelé un grand vulgarisateur, mais aussi un homme aux multiples facettes que le public connaissait moins: gastronome, amateur de vin, de tennis et de musique.
«C’est lui qui m’a initié aux chanteurs d’opéra de la fin du XIXe siècle et du début du XXe», a dit hier M. Toutant. Devenu très malade, il avait cependant délaissé l’opéra, car «à la fin tout le monde meurt, et c’est triste», disait-il à M. Toutant.
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Gilles Dostaler a rejoint ses grands auteurs
Par Christian Chavagneux
Gilles Dostaler, professeur d’économie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et contributeur régulier d’Alternatives Economiques depuis 2002 est décédé samedi dernier 26 février. Une érudition exceptionnelle en matière d’histoire de la pensée économique associée à une volonté d’intéresser le grand public nous avait conduits à le solliciter pour diriger une série sur les grands auteurs de l’économie. 56 articles plus tard, Gilles entamait une seconde série sur les précurseurs « des » pensées économiques, il tenait au pluriel. Son dernier article est paru dans notre numéro de mars. Au total, il aura publié plus de 80 articles dans notre mensuel.
Bien qu’atteint d’un cancer depuis de longs mois, il avait tenu à continuer à écrire dans chaque numéro. Lors de son dernier passage à Paris, en septembre 2010, nous avions fait une liste des auteurs à couvrir qui menait jusqu’en juin 2012…
Alternatives Economiques est particulièrement fier d’avoir pu compter un tel économiste de renom parmi ses contributeurs. En nous inspirant de sa façon de présenter les grands auteurs, nous reviendrons sur la vie et l’œuvre de Gilles Dostaler dans notre numéro d’avril. D’ici là, nous publierons plusieurs témoignages d’économistes français avec qui il a travaillé. Nous perdons plus qu’un collaborateur, un véritable ami.
D’autres hommages :
Un athlète de la plume et du clavier par Ghislain Deleplace, professeur à l’Université Paris 8 – Saint-Denis.
Un grand économiste et un homme de la vie, par Bernard Maris.
Son art consistait probablement à savoir faire parler les autres, par François Morin, professeur émérite de Sciences économiques à l’Université de Toulouse.
Quand je le lisais, j’avais l’impression d’avoir un ami, par Gilles Raveaud.
Gilles Dostaler, il nous reste une pensée, par Jean-Marie Harribey.
Quel regret de découvrir cet économiste humaniste par l’annonce de son départ. Lisant présentement des textes de Marcel Rioux, La culture comme refus de l’économisme, je me dois une excursion dans cette pensée.
Je suis autodidacte. Je jardine la connaissance pour la partager avec mon entourage.