Les recommandations du BAPE dévoilées hier semblent pertinentes (voir le communiqué du GRAME paru sur OikosBlogue). Sans le nommer, il s’agit d’un moratoire qui durera le temps de l’évaluation environnementale stratégique – semblable à celle qui a statué contre l’exploitation pétrolière et gazière dans l’estuaire du Saint-Laurent – qui pourrait s’échelonner sur deux ans. Le grand avantage, c’est que le Québec pourra maintenant profiter de la vaste étude menée de façon concomitante par l’EPA (l’Agence étatsunienne de protection de l’environnement), avec des moyens considérables. Et il en faut, car selon une enquête réalisée en 2009, qui était restée confidentielle mais qui fut dévoilée par le New York Times dans son édition du 26 février, l’eau usée résultant de la fracturation hydraulique remonte à la surface avec, selon les termes de l’étude, « highly corrosive salts, carcinogens like benzene and radioactive elements like radium ».
Les documents obtenus par le NYT proviennent de fuites d’officiels de l’EPA ou du personnel de l’État de Pennsylvanie. On peut d’ailleurs accéder directement à certaines des 30 000 pages de documents annotées par le NYT en cliquant ici. On peut aussi visionner la carte interactive du NYT ou encore le document infographique qui donne une bonne idée du processus de fracturation.
L’enquête de l’EPA a été réalisée sur un gisement de gaz de schiste de Marcellus, en Pennsylvanie, et a porté sur 200 puits. Selon ce document, l’eau extraite de 128 puits présente des taux de radiations dues à la présence d’uranium et de radium, supérieurs à la norme autorisée pour l’eau potable. 42 prélèvements affichent des taux trop élevés de radium, 4 d’uranium et 41 pour ce qui est de la présence de benzène dans l’eau usée. L’EPA fait état de taux de radioactivité 100 à 1 000 fois supérieur aux normes. Donc, l’exploitation des gaz de schiste par la méthode de fracturation serait beaucoup plus nuisible pour l’environnement et la santé que le prévoyaient les études antérieures.
L’un des documents obtenus est une étude confidentielle réalisée par l’industrie du gaz. On y affirme que la radioactivité détectée dans les eaux usées ne pourra pas être complètement diluée dans les rivières ou par un traitement conventionnel. Non seulement l’EPA ne serait pas intervenue pour chercher à corriger la situation, elle a permis aux autorités municipales responsables du traitement des eaux usées de ne pas tester la radioactivité des eaux rejetées après traitement.
Pour les États-Unis ce n’est pas un petit problème. Ce pays de la libre entreprise a totalement laissez-faire l’industrie du gaz dans ce Klondike du gaz de schiste. En 2009 il y aurait ainsi 493 000 puits actifs d’exploitation du gaz. C’est plus du double du nombre de puits qu’il y avait en 1990. Mais à la différence qu’aujourd’hui 90 % de ces puits utilisent la méthode de la fracturation. Ce sont surtout dans cinq États qu’on retrouve des puits dans des zones densément peuplées, où les impacts de l’industrie peuvent avoir des conséquences sur la population : Colorado, Ohio, Pennsylvanie, Texas et Virginie. Mais pour le Wyoming, État avec une faible densité de population, c’est plutôt la contamination de l’air qui pose problème. Pour la première fois de son histoire, la qualité de l’air de cet État n’a pas rencontré les standards minimum requis, en raison du benzène et du toluène contenus dans les fumées des 27 000 puits implantés au Wyoming, dont la grande majorité utilise la méthode de fracturation. Dans le comté où la concentration de puits est la plus forte, la réaction de ces fumées avec le soleil contribuerait à un niveau d’ozone plus élevé que les records atteint à Houston ou Los Angeles.
Comment se surprendre de la réponse extrêmement prévisible de l’industrie : « These low levels of radioactivity pose no threat to the public or worker safety and are more a public perception issue than a real health threat », aurait déclaré James E. Grey, chef opérateur de Triana Energy. Pourtant, comment expliquent-ils que dans une étude confidentielle de l’American Petroleum Institute qui date de 1990, on signalait que les risques significatifs de cancer qui découleraient de rejets d’eaux usées contenant des éléments radioactifs – à un niveau de radioactivité inférieur à ceux de Pennsylvanie – déversés dans le Golfe du Mexique – donc beaucoup plus fortement dilués – étaient très élevés pour les personnes qui consommeraient du poisson contaminé.
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