CESD-Oikos-989x90

Le samedi 23 avril 2022

Recherche:

À propos de solidarité multigénérationnelle

L’auteur invité est Jean Carette, professeur retraité de l’UQAM et président d’ESPACES 50 +.

Intervention au rendez-vous montréalais des générations du 19 février 2011.

En 2010, 90 000 naissances au Québec, 46 000 gars et 44 000 filles. Le tiers d’entre eux, la moitié d’entre elles vont dépasser les cent ans, ce qui devrait donner un minimum de 36 600 centenaires au Québec en 2110, soit dix fois plus qu’aujourd’hui. En termes de générations, nous constatons la présence de quatre à cinq générations alors que notre esprit est habitué à une cohabitation de trois générations seulement.

En termes de vieillissement collectif, ce sont deux générations qui atteignent dès aujourd’hui les âges les plus élevés que nous appelons troisième et quatrième, et qui composent à elles deux un groupe social de plus en plus nombreux qui dans les vingt ans à venir atteindra le quart de la population du Québec. Cette cohabitation multigénérationnelle inédite bouleverse nos modes de penser et d’agir, individuellement et collectivement, et nous impose un effort soutenu pour retravailler, adapter et remodeler le contrat social qui nous fait vivre ensemble, entre générations et entre sexes, entre groupes sociaux et entre cultures.

C’est ce bouleversement, rapide et déroutant, qui nous contraint à repenser la solidarité intergénérationnelle. Mon objectif ce matin est d’éclairer notre lanterne pour que ce concept soit plus précis dans nos têtes et que par nos actions et nos choix de société, nous soyons en mesure de mieux le prendre en compte. Et ce à trois paliers successifs.

Premier niveau : ce dont nous parlons ici va plus loin, plus fort, plus large qu’une morale de fraternité interpersonnelle. L’intergénérationnel ne consiste pas seulement à prendre et à tenir des résolutions comme :
• Je vais donner un coup de main à grand-mère;
• ou : je vais appeler plus souvent mon petit-fils;
• ou : je vais offrir des fleurs à ma tante âgée …et fortunée pour la Saint-Valentin.

Ces gestes sont louables et peuvent introduire plus de fraternité dans le voisinage, mais ne sauraient aménager une solidarité structurelle au fondement même du social. Il y faut un travail intense de l’ensemble des acteurs sociaux pour élaborer une telle solidarité, la fonder en raison et en droit, l’alimenter, la réguler et la rendre durable. Ici les petits ruisseaux restent au niveau des individus et ne font pas le lit d’une grande rivière sociale.

À un deuxième niveau, la solidarité intergénérationnelle implique bien sûr un échange régulé de biens et de services entre les groupes d’âge, bien sûr une transaction permanente des dettes et des dons, bien sûr une négociation face à face de la réciprocité. Il est juste et utile socialement d’équilibrer les apports mutuels des différentes cohortes, en termes de répartition des charges et des avantages, des droits et des devoirs, partout où c’est mesurable et possible. Nous nous interrogerons tantôt sur l’importance et les formes sociales de cette «équité» intergénérationnelle :
• Du côté des aînés : Je t’ai élevé et tu dois être à ton tour mon aidant «naturel»;
• ou : Nous avons créé la Régie des Rentes et tu me dois tes cotisations.
• Et du côté des jeunes : Je récolte les dettes, la rareté et la précarité et tu dois me rendre des comptes et tenir tes promesses.
• ou : Il n’y aura plus d’argent pour nous assurer une retraite et vous êtes partis avec la Caisse.

Mais la solidarité multigénérationnelle risque une réduction à l’état de caricature si nous limitons nos échanges sociaux à de tels calculs ou de telles rancunes. Il ne faut se tromper ni de partenaires ni de responsables quand nous portons des revendications certes légitimes mais qui ne sauraient s’adresser indistinctement à un ou plusieurs groupes d’âge inférieur ou plus avancé, sans prendre en compte l’ensemble des rapports sociaux, c’est-à-dire d’abord les inégalités sociales. Il ne faudrait d’ailleurs pas ignorer que ces discours sont souvent suscités par ceux qui y voient un moyen idéologique de manipuler l’opinion à peu de frais, en lui faisant oublier les sources réelles de ces inégalités entre les destins, les parcours et les conditions de vie.

Il convient donc de hisser notre réflexion à un troisième niveau, celui du contrat social à redéfinir. Comment voulons-nous, allons-nous, pouvons-nous, devons-nous vivre ensemble, dans le respect de la dignité, des droits et de la qualité de vie de tous ou du plus grand nombre, quels que soient les âges, les sexes et les appartenances culturelles ou générationnelles ? Non seulement d’un groupe d’âge à l’autre, mais à travers la succession des générations au long cours de notre histoire commune, quels que soient les aléas et les circonstances de celle-ci ?

La solidarité intergénérationnelle implique une continuité, poursuite, aménagement ou rupture des acquis, à partir de la richesse patrimoniale et collective qui dépasse et de beaucoup le Produit national brut et sa répartition.

La solidarité intergénérationnelle suppose une chaîne d’échanges et de partages transmise à travers le temps, échange et partage régulé et conventionné de décisions collectives et d’actes sociaux au service de ce que nous appelons le bien commun ou l’intérêt général, toujours à clarifier, à redéfinir et à reconstruire, collectivement.

Et par exemple :
• Voulons-nous reprendre la Révolution Tranquille ou rompre avec ses acquis et ses modèles?
• Préférons-nous «À chacun selon ses moyens» ou «À chacun selon ses besoins»?
• Sommes-nous en faveur d’une individualisation de la protection des risques, dont ceux liés au vieillissement, ou pour une mutualisation plus forte ?
• Voulons-nous une richesse mieux ou aussi mal partagée ? Et comment ?
• La nature sera-t-elle encore pour nous une source de richesses indéfiniment exploitables ou un patrimoine vivant et fragile ?
• Quel type de puissance et d’institutions publiques souhaitons-nous? Avec quelles limites ? Avec quels leviers ? Avec quels acteurs ?
• Quels savoirs et quelles mémoires, quel type d’expériences et de maturité cherchons-nous à préserver, valoriser, diffuser, transmettre ?
• Considérons-nous la solidarité intergénérationnelle et sociale comme une exigence morale, une simple «variable d’ajustement des politiques publiques» ou bien comme un fondement de nos choix de société, une priorité de notre avenir commun?

Le vieillissement est trop souvent perçu comme un problème ou un cadeau empoisonné. Il pourrait être un levier de développement et un atout collectif. En le replaçant au cœur de la vie de chacun, quel que soit son âge, comme une chance réelle et non un fardeau pour l’individu, comme une conquête positive pour tous et comme un droit collectif, nous ouvrirons la voie à une Déclaration des générations qui fera de nos Rendez-vous un acte solidaire et novateur, vers une réelle politique des âges.

Ce texte est tiré du site de l’Institut du nouveau monde (INM)

Discussion

Commentaire pour “À propos de solidarité multigénérationnelle”

  1. Réflexion à partagée. Nous entendons trop souvent ces opinions réductrices qui opposent les générations. Vivement une politique des âges novatrice et solidaire. Merci

    Écrit par Janvier Cliche | mars 20, 2011, 11 h 20 min

Commentaire

Inscrivez votre courriel ci-dessous pour recevoir le bulletin hebdomadaire:

Agenda Public

Un code est requis pour ajouter des evenements a l'agenda.
Appuyez sur "Obtenir un code" ci-dessous pour s'inscrire.

Si vous avez un code, inserez votre code ci-dessous:

Votre compte étant nouveau, s'il vous plait enregistrer vos informations:











Informations sur l'evenement a ajouter: