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Le samedi 23 avril 2022

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Conférence de clôture au rendez-vous montréalais des générations du 19 février 2011

L’auteur invité est Fernand Dansereau, réalisateur, producteur et scénariste.

Nous aurons aujourd’hui entendu plein de statistiques inquiétantes, beaucoup de propositions sociales et politiques et de touchants appels à la solidarité intergénérationnelle. Qu’ajouter de plus? Peut-être vous parler de mon expérience de vieillir, des questions qu’elle m’impose dans cette recherche d’un dialogue intergénérationnel justement.

Commençons par dire que je ne me sens pas le droit d’interpeller les plus jeunes. Je me souviens trop du regard que je portais quand j’avais 24 ans sur les générations qui m’avaient précédé. Je savais tout à cette époque! Et les désespérantes préoccupations de mes aînés me scandalisaient profondément! Il était tellement urgent de changer la vie, d’ouvrir grandes les fenêtres de l’avenir, d’entreprendre l’immense chantier de l’espoir. Je n’avais guère de temps pour les écouter d’autant que je ne voyais pas du tout comment je pourrais compter sur eux.

Il me semble naturel de penser que les jeunes femmes et les jeunes hommes d’aujourd’hui doivent éprouver des sentiments du même ordre. Quoique moins naïvement et certainement moins prétentieusement. Et je respecte trop ce renouvellement incessant de la vie, cet appel à la création et au développement pour vouloir le contrer ou tenter de le canaliser. Il y a là des fraîcheurs et des puissances d’énergie que les plus vieux ne peuvent et ne doivent pas essayer d’endiguer. Elles sont indispensables au progrès de l’humanité et à la survie même de cet espoir dont nous avons tous tellement besoin.

Mais à quoi peut donc servir mon expérience de vieillir ? […]

C’est cette aventure de la conscience qui fait la joie du vieil âge et constitue son mandat. Un mandat beaucoup plus excitant et autrement exigeant que les mascarades du « rester jeune » que veut nous imposer la société de consommation. Or le premier appel d’une conscience qui s’élargit, c’est celui de la liberté. La liberté de penser bien sûr! Mais également la liberté d’être. Cette liberté ne va pas sans l’approfondissement de l’être qui prétend la porter. Florida Scott-Maxwell écrit encore : « Peut-être que la création de l’identité est la tâche la plus essentielle de l’homme, et si nous demandons à la recevoir comme un droit, nous n’avons pas encore compris que cette création est le travail de toute une vie » . Quand l’âge nous libère des exigences quotidiennes d’engendrer une famille, de gagner l’argent du soutien, d’établir un renom professionnel, nous nous retrouvons soudain devant la possibilité d’être enfin nous-mêmes, devant la convocation délicieuse à parachever notre être.

Et c’est là qu’une grande surprise nous attend. Car on se lasse très vite du pauvre moi sur lequel on voudrait s’attendrir enfin. Il ne tarde pas à nous ennuyer terriblement. Son narcissisme ne peut conduire au bout du compte qu’à alourdir l’isolement qui tourmente tant de vieilles personnes. Heureusement, des convocations beaucoup plus stimulantes peuvent alors surgir: celle de ce que les psychologues et bon nombre de maîtres spirituels appellent le soi, c’est-à-dire l’épanouissement de l’humanité en nous. Florida Scott-Maxwell poursuit encore : « Toute vie est destinée à être héroïque. La grandeur est requise de nous. Tel est le but et la justification de la vie ».

L’héroïsme dont elle parle, ce n’est ni la gloire des journaux ni l’enflure de l’ego, ni les victoires tapageuses sur quelqu’ennemi notoire. C’est la conquête pas à pas, quotidienne, articulée et efficace de l’amour. L’amour de soi d’abord et l’amour des autres. L’amour de soi pour mieux aimer les autres. Gilles Vigneault a dit dans ses chansons combien il est difficile d’aimer, d’aimer pour vrai avec générosité, rigueur, tendresse authentique. C’est la tâche essentielle à laquelle nous sommes tous convoqués et encore davantage quand on arrive à la vieillesse: « …apprendre chaque jour à aimer de mieux en mieux. Et comme l’écrit Marie de Hennezel, c’est ce qui réchauffera non seulement nos coeurs, mais nous procurera une authentique et durable jeunesse. »

J’entends grincer les dents des militants du pouvoir gris qui combattent si généreusement contre l’âgisme et luttent pour contrer le désengagement des personnes âgées par rapport au bien public et surtout à la justice. Ils pourraient croire que j’entreprends ici de prêcher la résignation. Mais c’est bien le contraire. L’amour est aussi politique quand il permet de poser des gestes structurants dans le sens d’une justice plus grande. Tant mieux si les gens de vieil âge restent actifs et concernés par le débat social le plus longtemps possible. Et je ne voudrais surtout rien faire ou rien dire qui tende à décourager l’action citoyenne.

Mais je sais que la perte graduelle du pouvoir reste quand même inéluctable avec le temps, que cette perte touchera éventuellement non seulement notre rayonnement social, mais notre corps et finalement même notre esprit pour nous projeter dans un no-man’s land beaucoup plus incertain. C’est une stratégie pour ce no man’s land justement que je recherche ici. […]

J’entendais l’autre soir quelqu’un qui déclamait le fameux poème écrit par Péguy à la suite de la guerre de 1914 : « Heureux ceux qui sont morts, dans les grandes batailles, couchés dessus le sol, à la face de Dieu. Heureux ceux qui sont morts pour un dernier haut lieu, parmi tout l’appareil des grandes funérailles ». Et je m’étonnais du trajet parcouru par la conscience contemporaine dans le court laps de mon existence. Cette glorification de la guerre qu’on nous présentait dans les collèges classiques des années 40 comme la fine pointe de l’humanisme, nous apparaît désormais lamentable et dérisoire. Quelle fulgurante mutation malgré toutes les mauvaises nouvelles dont m’abreuvent chaque jour les journaux! Le progrès de la conscience depuis l’apparition de l’homo sapiens est, à proprement parler, incalculable. 50,000 ans à peine entre le singe et nous. Et nous n’en sommes qu’au début « de l’intellectualité » comme disait Louis-Edmond Hamelin. Où en sera l’humanité dans mille ans?

Bien vaniteux celui qui peut prétendre seulement l’imaginer. Nul en effet ne peut prédire de quoi demain sera fait. Mais nous savons que nous avons chacun de nous et nous tous ensembles à créer chaque jour du sens, justement. Qu’il n’y en aura pas d’autre que celui que nous allons inventer. Et c’est à cela que doit d’abord servir cet agrandissement de la conscience dont parlait Florida Scott-Maxwell.

Mais par où commencer? Où trouver ce terrain où jeunes et vieux peuvent se rencontrer et se concerter dans un combat essentiel, immédiat, urgent, évident. C’est pourtant simple : l’environnement! Le défi est là, tout concret, pour occuper ce travail de la conscience et nos énergies amoureuses, quel que soit notre âge. Les scientifiques nous disent en effet qu’il faudrait les ressources de 3 ou 4 planètes comme la nôtre pour faire partager à l’ensemble de l’humanité le mode de vie dont nous jouissons en Occident. Or ces planètes supplémentaires, nous ne les avons pas. Comment alors allons-nous procéder pour le partage des ressources? Comment en effet puisque que non seulement ces ressources ne suffisent plus, mais qu’elles s’épuisent. N’y aura-t-il que les guerres et la domination du plus fort sur le plus faible pour assurer la survie de l’humanité?

Nous souhaitons de tout coeur échapper à cette monstrueuse fatalité. D’autant que nous savons la terre assez généreuse pour nourrir ses milliards d’enfants si ces derniers se contentaient de satisfaire leurs besoins véritables et essentiels. Mais comment l’espérer? Comment croire que les grandes masses humaines apprennent à résister aux appels des sirènes de la consommation? Comment croire que la ploutocratie qui achève de conquérir la planète puisse céder sa place à des sociétés de véritable solidarité? Il semble ridicule de même en parler.

Et pourtant il y a des milliards de gens autour de la planète qui cherchent une métamorphose. Il y a des millions de groupes et d’organisations qui militent jour après jour pour changer le cours des choses. J’entends l’appel unanime à l’espoir et au renouveau qui inspire toutes ces énergies même si elles semblent trop souvent tirer à hue et à dia. Il y a dans notre monde une soif incommensurable de trouver enfin une justice véritable, une égalité réelle, un bonheur qui ne soit pas frelaté. C’est la plus grande force politique de toute l’histoire de l’humanité qui se trouve ainsi enfouie dans nos consciences.

Mais comment arriver à extraire ce minerai? D’abord en ne désespérant pas. Quand j’avais 24 ans, encore, je faisais du journalisme de combat sous le règne de ce qu’on a appelé « la grande noirceur », c’est-à-dire l’époque Duplessis. L’horizon de l’avenir semblait aussi sombre, sinon davantage, qu’il peut apparaître aux jeunes d’aujourd’hui. Et puis, tout d’un coup, tout a basculé, comme un pan de falaise qui s’écroule. L’âge doré de la révolution tranquille s’est mis à fleurir. Et nous avons aperçu que ce séisme était le résultat de tous les petits gestes et tous les combats apparemment perdus des décennies qui avaient précédées. Oui, la métamorphose est possible! Je l’ai vue une fois dans ma vie. Et nous l’apercevons peut-être encore avec ce qui se passe ces jours-ci dans le monde arabe. Je sais qu’il est permis de l’espérer même si on ne peut encore l’apercevoir comme probable.

Nous entrevoyons déjà quel en serait l’enjeu principal. Le défi le plus pressant qui confronte désormais l’humanité est en effet d’apprendre à gérer le désir, à pondérer nos appétits, à partager équitablement les ressources. C’est très simple, trop évident! Il apparaît tout de suite impossible de rêver que les grandes masses humaines des cinq continents fassent toutes en même temps le trajet intellectuel que je dessine ici devant vous.

Alors où trouver l’espoir dont je parle? De même que les religions fournissaient autrefois aux peuples qui les avaient générées des modèles de vie qui aidaient chaque personne à régler les arbitrages du quotidien, nous avons besoin de voir apparaître quelques grands et nouveaux mythes qui nous soutiennent aujourd’hui dans la tâche de régulariser nos comportements. C’est là que la culture peut nous porter secours. Je ne parle pas ici de la culture des arts et des lettres, mais de la culture humaine qui encadre nos vies. Cette culture est faite, toujours, de l’interaction quotidienne qu’entretiennent les êtres humains dans une société particulière. Or notre société particulière à nous, désormais, est mondiale. C’est à l’échelle de l’humanité entière qu’elle est en train de se réinventer. Les grands mythes qu’elle va générer seront faits de l’addition et de la confrontation de tous les choix, grands et petits, que chacun opère dans son quotidien. Il me semble que les générations peuvent et doivent se rencontrer dans ces interactions avec une détermination beaucoup plus consciente et résolue que par le passé. Car « si les petits ruisseaux font les grandes rivières » aime à dire mon ami Jean Carette, « les grandes rivières créent souvent des deltas qui font surgir et alimentent de multiples ruisseaux à leur tour». Et je le crois comme lui.

Il importe probablement de répéter ici que le rôle que nous appellerons l’État à jouer dans l’émergence de ces grands mythes ne saurait être sous-estimé. A travers ses divers acteurs, ses lois et programmes, ses priorités et ses orientations, il peut en effet contribuer puissamment à mobiliser des individus et en faire des acteurs sociaux positifs et socialement efficaces. C’est là en effet que l’amour doit aussi devenir politique. […]

Quand vous allez rentrer chez vous et que vous écouterez ce soir les horreurs quotidiennes du téléjournal, vous penserez peut-être que je vous ai tenu un propos bien naïf; mais si vous y réfléchissez ensuite pendant la nuit, vous verrez, je crois, que nous n’avons pas d’autre choix que celui d’essayer d’aider un peu les autres.

Merci d’espérer avec moi.

Ce texte est tiré du site de l’Institut du nouveau monde (INM)

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