L’auteur invité est Christian Chavagneux, rédacteur en chef adjoint d’Alternatives Economiques.
Alors que les grandes entreprises et les banques renouent avec les profits, semblant laisser la crise derrière elles, Dominic Barton, le patron du cabinet de conseil McKinsey, appelle les grands leaders du privé à ne surtout pas revenir au business as usual. Il réclame la mise en œuvre d’un capitalisme privilégiant les performances de long terme, des entreprises responsables socialement et un changement radical de leur mode de direction.
La première surprise de cet article paru dans le dernier numéro de la Harvard Business Review provient du diagnostic de départ. Les dirigeants d’entreprise qui pensent que le débat idéologique lié à la crise – qui a eu tendance à redonner du poids à l’Etat et à la régulation – est terminé, se trompent complètement, affirme Barton. Le poids de la crise va encore se faire sentir politiquement pendant longtemps. Et il prendra la forme de tensions constantes s’appuyant sur les effets jugés négatifs de la mondialisation, sur l’existence de fortes inégalités, et sur un chômage persistant. De ce fait, la pression sur les gouvernements pour contrôler toujours plus les entreprises est là pour longtemps et les entreprises n’ont pas le choix : « nous pouvons réformer le capitalisme ou nous pouvons laisser le capitalisme être réformé pour nous ». L’objectif de Barton est clair : prendre les devants avant que les politiques n’encadrent trop le capitalisme, voire le remettre carrément en cause. Et pour cela, il avance trois propositions.
Remettre en cause le court termisme
Il faut cesser de gérer les entreprises avec pour seul objectif la maximisation des résultats trimestriels. Selon les travaux de McKinsey, 70 à 90 % de la valeur fondamentale d’une entreprise dépend de ses perspectives de profits sur 3 ans et plus. Dans ces conditions, si le management dépense toute son énergie sur les résultats à trois mois « alors le capitalisme a un problème ».
Certaines entreprises l’ont compris, nous dit Barton. Unilever, Coca Cola ou Ford ont arrêté de fournir aux marchés ces petites informations financières sur leurs perspectives de profits de court terme qui font la joie des marchés. Google n’en a jamais publié. IBM publie un cadre stratégique à 5 ans et demande à être jugé sur sa performance de moyen terme et par sur le fait de savoir s’il manque quelques dollars à son résultat tel trimestre. Mais cela reste des exceptions. Elles doivent devenir la règle.
Le changement doit aussi se produire du côté des investisseurs. Les fonds de pension, compagnies d’assurance et fonds souverains ne doivent pas licencier un gestionnaire qui ramène 10 % de rendement quand le marché a fait 12 %. 10 %, c’est déjà suffisant ! Barton retrouve ici les demandes faites par les économistes Michel Aglietta et Sandra Rigot dans leur livre Crise et rénovation financière (Odile Jacob, 2009) où, à côté des banques centrales et des régulateurs de marchés, les actionnaires de long terme se doivent d’exercer un contre pouvoir à l’instabilité du capitalisme en privilégiant le long terme.
Les entreprises jouent un rôle social
Les entreprises ne sont pas là que pour maximiser leurs profits. Qu’elles le veuillent ou non, elles s’inscrivent dans le fonctionnement des sociétés et elles doivent faire attention à ne pas les détruire car elles en dépendent. Avec ce discours, Barton renoue avec la mentalité américaine des années 1960, quand le magazine Fortune demandait aux grands patrons d’être des « industriels hommes d’Etat ».
Interrogé par McKinsey en 2008 et 2010, les trois quarts des grands patrons mondiaux répondent qu’ils sont persuadés qu’une action sociale et environnementale accroît la valeur de l’entreprise. Parfait. Mais la création de valeur ne suffit pas, enchaîne Barton. Le capitalisme dépend de la confiance de l’ensemble de la société et, aujourd’hui, les opinions publiques des pays du Nord ne font pas confiance aux entreprises pour aller dans le sens du bien public. Il va falloir que les grands patrons fassent plus pour regagner une confiance dont l’absence pourrait finir par se traduire politiquement de manière sévère.
En manque de leaders
Enfin, les entreprises manquent de vrais dirigeants. Pour McKinsey, l’entreprise idéale fait appel aux investisseurs pour se développer, et de ce fait est capable de séduire sur ses projets, mais elle est dirigée par un propriétaire soucieux de la développer à long terme. Les conseils d’administration des entreprises ne jouent pas ce rôle du propriétaire.
Pour changer cela, Barton propose trois grands changements. D’abord, des administrateurs qui passent du temps pour administrer, et ont les compétences pour le faire (y compris en faisant travailler des experts indépendants) et qui ne se contentent pas de toucher leurs jetons de présence ou de bâtir un capitalisme de copinage comme c’est largement le cas en France. De ce point de vue, pour Barton, un Michel Pébereau, Président de BNP Paribas et membre au total d’une dizaine de conseils d’administration, dont cinq sociétés cotées avec leur siège en France pour respecter le plafond fixé par la loi française, représente assurément un anti modèle.
Ensuite, il faut mettre fin à des systèmes de rémunération des patrons qui récompensent plus le fait d’être arrivé dans le poste que la qualité de la gestion qui suivra. Et qui, comme l’a montré la crise, célèbre les patrons qui perdent en leur permettant de se retirer dans le luxe après avoir planter leur société. Le salaire des patrons devraient évoluer avec la capacité d’innovation de l’entreprise, être évalué sur plusieurs années et subir les conséquences de mauvais résultats.
Enfin, le principe « un homme, une voix » ne peut plus être de mise dans un capitalisme où la détention d’actions tourne à vitesse grand V. Les détenteurs de long terme doivent avoir plus de poids dans les décisions stratégiques.
Répétons-le : toutes ces propositions viennent d’un consultant qui, après avoir rencontré 400 leaders mondiaux du public et du privé, est persuadé que le capitalisme est politiquement en danger et ne survivrait pas à une nouvelle crise. Franklin D. Roosevelt, qui était partisan d’un capitalisme régulé, avait su habilement joué des mêmes craintes dans les années 1930, pour mettre en place un capitalisme encadré et social après les débauches inégalitaires et spéculatives des années 1920. Il rejoignait en cela le diagnostic établi par Keynes en 1933 : « le capitalisme international, et cependant individualiste, (…) n’est pas une réussite. Il est dénué d’intelligence, de beauté, de justice, de vertu, et il ne tient pas ses promesses. En bref, il nous déplaît et nous commençons à le mépriser. Mais quand nous nous demandons par quoi le remplacer, nous sommes extrêmement perplexes ». Il faut alors le transformer. On n’est malheureusement pas certain que, de Barack Obama aux dirigeants européens, le message soit bien passé.
Ce texte est tiré du blogue de l’auteur sur le site d’Alternatives Economiques
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