Les auteurs invités sont Louis Favreau, titulaire de la Chaire de recherche en développement des collectivités (CRDC), et Ernesto Molina, chercheur au CQCM.
Nous traversons, nous dit l’économiste Jean Gadrey dans son dernier livre,« la première crise socio-écologique du capitalisme financier et boursier, la première où la raréfaction des ressources et les dégâts écologiques ont eu une influence sur le plongeon économique » (Gadrey, 2010 : 152). Écologiquement parlant, la planète est en état de survie. Parmi les risques environnementaux d’envergure planétaire mentionnons le réchauffement accéléré de la planète dû à la consommation élevée d’énergies fossiles ; la menace qui pèse sur la biodiversité due au modèle de développement qui ne prend pas en compte l’équilibre des écosystèmes et, finalement, les diverses formes de pollution. Transférer le mode de vie des populations actuellement riches à l’échelle de la planète est insoutenable et l’action à entreprendre implique une intervention à l’échelle mondiale pour prendre en compte le cycle de vie de nos productions et l’empreinte écologique de notre consommation. Mais Copenhague en 2009 a échoué et Cancun en 2010 a réussi mais sans rien décider au plan opérationnel. La transformation écologique de l’économie est un enjeu mondial qui rejoint aussi les réalités du Québec des régions et qui questionne notre mode de production et de consommation. La mobilisation autour du gaz de schiste en est le dernier témoin. Tentons de mettre en perspective ce que nous nommons, en pesant bien nos mots, une urgence écologique. […]
Les crises se télescopent : désastre annoncé
Précisons : le changement climatique, la crise alimentaire et la crise énergétique se télescopent et se combinent à cette crise financière que peu de monde avait vu venir. Et peu à peu on prend conscience qu’avec le réchauffement climatique sont également venus la réduction de la biodiversité, le trop plein d’azote dans l’atmosphère causé principalement par une agriculture productiviste, l’acidification des océans, la dégradation des forêts, la diminution des terres cultivables, la pénurie mondiale d’eau douce…D’où la fracture de plus en plus nette entre la création de richesses au plan économique et le progrès social et écologique. Question centrale qui en condense plusieurs : quelle sera l’ampleur du réchauffement au 21ième siècle ? 2, 3, 4, 5, 6 degrés C ? Ainsi les chocs majeurs liés au réchauffement de la planète peuvent se résumer ainsi si on augmente au delà de 2 degrés : productivité agricole réduite (sécheresses, inondations…), insécurité aggravée de l’accès à l’eau potable, inondations côtières et risques sanitaires accrus. À l’échelle mondiale, dans le premier cas, cela induit plus de 600 millions de mal-nourris de plus ; dans le second, le stress hydrique affecte plus de 1,8 millions d’habitants ; dans le 3e cas 300 millions de réfugiés et dans le 4e cas de 220 à 400 millions de personnes exposées au paludisme (malaria), au choléra, etc. (Houée, 2009 : 204-2005).
Le groupe intergouvernemental d’études sur l’évolution du climat (GIEC) n’a pas été jusqu’à répondre au delà de 2 ou 3 degrés, tant à ce niveau, les choses apparaissent déjà redoutables. Ce groupe d’experts internationaux s’entend pour dire que 2 degrés est un plafond et que pour respecter ce plafond, cela suppose que les pays industrialisés du Nord réduisent de 30% d’ici 10 ans leurs émissions de CO2. On déduit alors que les modifications dans l’économie de ces pays sont des modifications de grande envergure, fondamentales même.
Des échéances qui peuvent être fatales
De plus, désormais certaines échéances peuvent être fatales étant donné les croisements de l’échéance climatique liée au seuil de réchauffement de la planète, de l’échéance énergétique liée à l’épuisement des ressources pétrolières (et de sa gestion spéculative) et de l’échéance alimentaire liée à la remise au marché de la fixation des prix qui montent en flèche. Le tout sur fond de scène d’une montée des inégalités qui consacre et perpétue la fracture entre le Nord et le Sud. Le monde dans lequel nous vivons est ainsi devenu plus instable et plus imprévisible. La planète est engagée dans une crise écologique telle que l’urgence est à la porte et l’interdépendance des nations, des populations, des mouvements s’est, du coup, haussée de plusieurs crans surtout au Sud. La rencontre de Copenhague fin 2009 a marqué les esprits par l’échec des gouvernements et des institutions internationales à répondre à cette urgence.
La première crise socio-écologique du capitalisme financier
Nous assistons donc, nous dit l’économiste Jean Gadrey, « à la première crise socio-écologique du capitalisme financier et boursier, la première où la raréfaction des ressources et les dégâts écologiques ont eu une influence sur le plongeon économique » (Gadrey, 2010 : 152). On peut ajouter que la probabilité d’un rôle plus déterminant encore des facteurs écologiques sera au rendez-vous dans l’avenir. La question devient alors : peut-on laisser le système financier en l’état ? Peut-on laisser les grands actionnaires dicter leurs quatre volontés par leur politique du gain à court terme ? Peut-on laisser le commerce mondial développer des échanges aussi peu écologiques en matière de transport de marchandises ? Va-t-on laisser courir le recours systématique au crédit, la publicité sans contraintes, l’emprise des marques et surtout la pression au renouvellement constant des biens que nous possédons, bref le consumérisme croissant qui a fait prendre nos désirs pour des besoins et le futile pour de l’utile ? Va-t-on tolérer encore longtemps les États qui ont des politiques de laisser-faire face à l’intensification de l’exploitation des ressources naturelles et notamment des ressources énergétiques fossiles (la dernière en liste, le gaz de schiste), l’exploitation intensive de terres agricoles à des fins énergétiques, ce qui menace la biodiversité (les biocarburants), l’utilisation des terres arables à d’autres fins (grands centres d’achat, espaces pour le parc automobile) ? Va-t-on laisser une agriculture productiviste continuer à utiliser massivement des intrants chimiques et des pesticides en polluant les nappes phréatiques et les cours d’eau, à augmenter la distance entre la production agricole à grande échelle et les lieux de transformation et de consommation ? Bref, pour être plus directs encore, allons-nous continuer de rester légers sur la question écologique au nom du maintien de l’emploi dans des secteurs qui seraient à reconvertir ? […]
2. Aller vers une transformation écologique de l’économie
D’abord plusieurs mouvements se sont mis au vert, notamment un certain nombre de coopératives qui mettent en valeur la biomasse forestière pour le chauffage d’établissements publics ou qui font naître des filières d’activités économiques d’avant-garde dans des secteurs comme la bioénergie, l’éolien, l’agroalimentaire biologique, le récréo-tourisme. Exemple parmi d’autres de ce que peuvent faire des mouvements issus des communautés locales. Mais ensuite, plus largement, cela signifie de la part des pouvoirs publics de rediriger une partie de l’argent public et de l’argent privé vers une économie verte ; de soutenir la relocalisation de certaines activités économiques ; de développer une fiscalité nouvelle (taxes « kilométriques ») sur les transports… ; de miser sur les énergies renouvelables par des entreprises sous contrôle démocratique et à lucrativité limitée ; de favoriser la diminution de la consommation énergétique de l’industrie, de l’agriculture, de l’habitat, du transport par des mesures incitatives fortes, voire contraignantes ; de forcer les entreprises du secteur privé à assumer ses responsabilités sociales et écologiques. Bref, oser retirer des territoires d’expansion et de profits à des multinationales dont la seule préoccupation est le profit maximum.
Voyons de plus près la chose.
2.1. Des alternatives concrètes
Nous prenons à témoin l’expérience des coopératives forestières comme révélateur de la mise en branle d’une lutte pour l’indépendance énergétique de communautés locales de même que de la lutte contre la déforestation à l’échelle du Québec sous la gouverne de la Fédération québécoise des coopératives forestières (FQCF) qui a mis cette question à l’ordre du jour depuis quelques années.
Il y a l’enjeu forestier et celui des énergies renouvelables. L’effort d’une dizaine de projets de coopératives en énergies renouvelables ne sait pas avéré tout à fait vain puisqu’un d’entre eux a franchi le cap en étant reconnu par Hydro-Québec dans son appel d’offres de 2010. Premier pas dans la bonne direction de ce côté-là. Le gouvernement se traînant les pieds dans ce dossier, les projets vont peut-être malgré tout bénéficier d’un effet de levier de la coopérative Val-Éo !
Sans compter, il va sans dire, la mobilisation citoyenne contre le gaz de schiste qui s’est pointée le nez depuis l’été 2010 dans toute la Vallée du Saint-Laurent.
2.2. Des orientations pour passer au vert
Se mettre au vert, passer à une économie écologique. Oui mais ! Cela suppose qu’on se pose les deux questions suivantes : Quels secteurs faire croître ? Quels secteurs faire décroître ? La réponse n’est pas facile. Beaucoup d’emplois sont en jeu et la conversion écologique de l’économie doit s’accompagner d’une démarche de justice sociale pour les travailleurs et les agriculteurs concernés. Politiquement parlant, les questions deviennent celles-ci : a) allons-nous en priorité continuer à construire des autoroutes pour satisfaire les impératifs du parc automobile et du transport par camion ou favoriser le transport collectif (trains de banlieue, autobus électriques…) ? ; b) allons-nous privilégier une agriculture industriellement intensive et centrée sur l’exportation qui induit par exemple des coûts énormes de transport (l’agneau néozélandais fait 20,000 kilomètres pour se rendre à notre table) ou financer sa reconversion et soutenir une agriculture de proximité écologiquement intensive ? Et ainsi de suite ! Plusieurs mouvements ont donc commencé à s’engager dans cette bataille. Ils ont commencé à se mettre au vert et au développement durable et solidaire des territoires mais rien de cela ne relève de l’évidence chez leurs membres. Travail de longue haleine et débat collectif bien argumenté à l’horizon ! […]
Une option parmi d’autres : miser sur un secteur non-capitaliste sous contrôle démocratique
Il faut sortir de la crise écologique que nous traversons. Un siècle d’énergies à bas prix, de transports à peu de frais, de ressources naturelles en abondance, de pays du Sud colonisés puis mis sous ajustement structurel. Ce capitalisme productiviste nous conduit aujourd’hui à l’affaiblissement considérable de la coopération internationale initiée par Rio 1992 et Kyoto 1997 parce que les deux plus grands pollueurs de la planète, les Etats-Unis et la Chine ont refusé à Copenhague fin 2009 de se soumettre à un ensemble de règles supranationales (Godard, 2010). À cet effet, il est impératif de faire progresser prioritairement les entreprises sous contrôle démocratique dans tous les sphères possibles partant de l’idée qu’elles ne sont pas branchées, comme les entreprises du secteur privé, sur la seule recherche de rendement maximum pour des actionnaires, mais plutôt, en tant que secteur non-capitaliste, sur la double perspective d’une lucrativité limitée et de l’utilité sociale. Surtout que l’économie dominante a changé de régime, particulièrement à partir des années 1980, en réussissant à imposer « sa logique mortifère qui a généré une crise économique majeure et une crise écologique d’ampleur historique » (Kempf, 2008). L’écologie est ainsi devenue, une proposition incontournable, un volet majeur de toute action collective des mouvements sociaux sans exclusive et de tout parti politique qui se respecte.
Imposer l’urgence écologique dans le débat politique
De façon plus générale, la question écologique va progressivement s’imposer dans le débat démocratique ici comme au plan international. Intégrer notamment les questions de climat et de biodiversité dans les décisions économiques, politiques et sociales est devenu incontournable. L’écologie n’est pas une force d’appoint mais une proposition sociale et politique centrale intimement liée à la résolution de la crise économique et sociale. Dès maintenant, des alternatives sont déjà là dans des centaines d’expériences locales concrètes qui répondent à la crise écologique. Il faut cependant les coupler avec une alternative globale portée par des organisations sociales et des partis politiques qui ont suffisamment de vision, d’ouverture aux autres, de force de proposition et de leadership pour favoriser des mises en réseau à toutes les échelles (locale, nationale et internationale).
Pour lire le texte au complet, avec ses références et ses nombreux encadrés, on va sur le carnet de Louis Favreau
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