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Le samedi 23 avril 2022

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Sous-traiter la sécurité : une idée périlleuse

L’auteur invité est Jean-François Lisée, ancien conseiller des premiers ministres Jacques Parizeau et Lucien Bouchard de 1994 à 1999, maintenant directeur exécutif du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM).

Tous les astronautes, et la plupart des ingénieurs, connaissent bien cette caricature, épinglée dans des dizaines de cubicules d’employés de la Nasa, dans les années 60.

On y voit, comme dans un rayon-X, tout l’ingénieux dispositif technique allant de la base jusqu’au sommet de la grande fusée portant la petite capsule spatiale qui la chapeaute. Dans la capsule, un astronaute demande à son collègue : « Ça te rassure vraiment, toi, de savoir que tout ce qu’il y a en dessous de nous a été fabriqué par le plus bas soumissionnaire ? »

En 2011, voilà une question que sont en droit de se poser presque tous les passagers aériens du monde et beaucoup de consommateurs de médicaments. Car c’est maintenant la norme. Le plus bas soumissionnaire répare les avions et teste les nouveaux produits pharmaceutiques. Mais à la différence des années 1960, l’entreprise impliquée n’est plus dans le voisinage. Avec la globalisation, elle est souvent sur un autre continent.

Réparer vos avions en Chine

Les journalistes d’enquête de Frontline, l’émission du réseau public américain PBS, ont récemment noté que l’entretien des avions de ligne, jusqu’à récemment un élément « sacré » qui se faisait à l’interne, connaît une révolution de l’impartition. « Le tiers de l’entretien lourd était sous-traité en 2003, les trois-quarts en 2007 ». Les sous-traitants sont américains, canadiens, mais de plus en plus… mexicains, sud-américains et, massivement, chinois ! Alors qu’aux États-Unis, plus de la moitié des techniciens travaillant sur ces avions font état d’un diplôme adéquat, le taux chute à 4% au Mexique et à 1% en Chine. La revue Aviation Weekly cite pour sa part une étude de l’Université de New York concernant la capacité de 1 000 techniciens étrangers de lire les manuels techniques anglophones, rarement traduits. Alors que les techniciens américains affichent un niveau de lecture équivalent à 14 années d’études, leurs collègues chinois, mexicains ou espagnols n’en affichent que cinq.

Pour l’instant, l’industrie affirme que le nombre de fatalités causées par des défaillances techniques n’augmente pas plus vite que la somme des vols, au contraire. Les critiques affirment que ce n’est qu’une question de temps avant que toutes ces économies se traduisent par des morts.

Et les médicaments ?

Les journalistes d’enquête, détenteurs de prix Pulitzer, Donald Barlett et James Steele croient pour leur part que l’impartition dans le milieu pharmaceutique a déjà fait ses victimes, qu’ils estiment à 200 000 par an aux États-Unis, soit davantage que les victimes d’accident de la route.

Dans un article percutant publié en janvier dans Vanity Fair, ils font état de l’extraordinaire augmentation des tests cliniques effectués sur des médicaments en Afrique, en Europe de l’Est et en Orient. En 1990, seulement 271 tests cliniques étaient réalisés hors-États-Unis. En 2008 : 6 485, une augmentation de 2000%. Au total, 80% des demandes d’approbation de nouveaux médicaments reposent au moins partiellement sur des tests réalisés dans des pays étrangers, là où le contrôle de qualité est nettement moins contraignant qu’en Occident. Avec quelle supervision des autorités américaines ?

Seulement 0,7% des sites étrangers reçoivent la visite d’un inspecteur. À Ottawa, Santé Canada s’inquiète du phénomène et s’apprête à mieux encadrer ces impartitions.

Car si une compagnie n’arrive pas à prouver l’efficacité de son produit en Occident, expliquent les journalistes, ils peuvent camoufler cette conclusion et refaire le test dans ces « pays de secours » (c’est le terme utilisé) où, subito presto, le produit fonctionne ! Dans le cas de Avantia, un produit anti-diabétique, le gouvernement Indien a forcé l’arrêt des tests sur son territoire bien avant que le gouvernement américain ne reconnaisse ses impacts néfastes auprès des patients – une augmentation de 27% de risque d’arrêt cardiaque, entre autres.

Une corruption peut en cacher une autre

Wikileaks vient de lever un autre coin de voile sur les conséquences politiques de l’impartition, cette fois au Nigeria. La pharmaceutique Pfizer a du verser 75 millions de $US en indemnités aux familles des onze enfants morts après avoir « testé » un produit contre la méningite. Le NouvelObs rapporte que le directeur de Pfizer au Nigeria s’est ouvert à l’ambassadeur américain de la riposte de son entreprise. Il s’agissait de trouver des preuves de corruption pour compromettre le ministre nigérian de la santé, qui s’entêtait à poursuivre Pfizer devant la justice.

La prescription a fonctionné. Le ministre a démissionné. Les poursuites ont été retirées. Pfizer-Nigéria est en bonne santé.

Et encore : Il y a eu en 2008 près de 2 000 tests-cliniques en Chine pour des produits américains. Pourtant ce n’est qu’en novembre 2010 que les autorités chinoises ont publié leurs premières « lignes directrices éthiques » pour protéger les participants.

On peut lire le texte au complet, avec ses références, en allant sur le blogue de Jean-François Lisée.

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