L’auteur invité est Pauline Green, présidente de l’Alliance coopérative internationale (ACI).
Chers collègues et amis,
Il me fait grand plaisir d’être parmi vous aujourd’hui. C’est, en effet, ma première visite à Québec, mais ce n’est pas la première fois que j’entends parler du mouvement coopératif canadien. Depuis déjà plusieurs années, j’ai le plaisir de travailler avec de nombreux collègues canadiens. Récemment, j’ai eu le privilège de collaborer avec M. Alban D’Amours, l’ancien président du Groupe Desjardins, lors de son mandat au conseil de l’Alliance coopérative internationale. Sans son engagement ferme et celui de ses très proches collaborateurs, on n’aurait jamais réussi de manière si remarquable à réviser la structure, la vision et les objectifs de l’Alliance coopérative internationale (ACI). En effet, cela faisait déjà près de trois décennies que le conseil d’administration de l’ACI tentait sans succès d’en faire autant.
Lors de sa réunion à Rome en 2009, ce conseil décida d’entamer une réforme profonde, et cela grâce aux efforts de M. D’Amours et à ceux de son équipe. C’était un succès remarquable et, je tiens à signaler, un succès rendu possible uniquement à cause du travail acharné d’Alban D’Amours et de son équipe chez Desjardins.
Il faut noter que les coopératives du monde entier ont une dette énorme envers le mouvement coopératif canadien pour son soutien extraordinaire apporté pendant de nombreuses années à la croissance du mouvement coopératif sans égard aux frontières nationales. Aujourd’hui, je peux vous assurer qu’en ce qui concerne le développement international, aucune organisation coopérative ne devance le mouvement coopératif canadien sur la scène mondiale. Avec le soutien de l’Agence canadienne du développement international dans les pays en développement, votre réputation bien méritée vous précède. Grâce à cet évènement à Québec, j’ai la chance de vous remercier ainsi que l’ACDI et j’en suis très heureuse de pouvoir le faire dans ce forum public.
Vous savez que le mouvement coopératif est au cœur de ma vie et c’est pourquoi je suis particulièrement heureuse d’être parmi vous pour le lancement de la Semaine du développement international. Si nous voulons que le modèle coopératif en ce qui concerne les entreprises continue à élargir son rôle de développement économique, il est essentiel de stimuler la diversification de l’économie coopérative dans la vie économique des pays les plus développés de notre monde. Par ailleurs, il faut aussi promouvoir notre présence et notre rayonnement dans les pays du monde dans lesquels les coopératives peuvent avoir un impact considérable sur la lutte contre la pauvreté par la construction de logements, la création d’emplois, ainsi que par des programmes éducatifs et sanitaires. Finalement, je considère que l’apport le plus crucial sera de rallumer l’espoir parmi les populations diverses, notamment parmi les jeunes, en leur offrant une gamme plus large de choix dans la vie.
Je dois également vous dire que je suis heureuse de travailler dans le monde de la coopération aujourd’hui, un moment tellement important et crucial pour notre mouvement.
Si nous sommes vraiment convaincus que notre modèle d’entreprise coopératif est valable à cause de son système unique de partage de propriété ainsi qu’à ses valeurs et principes, nous avons devant nous une occasion unique, une chance inattendue dans notre vie de faire un grand pas en avant, de faire progresser notre mouvement global en ce qui concerne sa visibilité, son influence et son profil.
Notre tâche collective est d’être à la hauteur du défi.
Il y a deux événements qui influent sur ce moment clé de notre histoire.
Le premier événement ? L’effondrement des institutions du secteur bancaire a affecté la confiance des gens ordinaires dans les institutions financières auxquelles ceux-ci ont confié leur patrimoine, leur maison, leurs épargnes pour payer des études et même leur fonds de retraite. Même les emplois de ces gens ordinaires ont été touchés par ces institutions qui, malgré des subventions massives de fonds publics, ont déclaré que leur besoin de recapitalisation réduisait ainsi leur capacité de prêter aux entreprises, et, bien sûr, leur capacité d’accorder des prêts personnels.
Pourtant, face aux mêmes circonstances d’effondrement global du système financier, il faut constater que le mouvement coopératif du secteur bancaire, les mutuelles et les coopératives d’épargne et de crédit ont eu bien moins de mal à passer à travers la crise. Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas été touchés. En effet, il y a eu des faillites à l’intérieur de notre mouvement. Mais ces difficultés ont été relativement mineures et faciles à circonscrire. En fait, nous avons pu résister à la crise grâce aux systèmes de garanties financières développées à l’intérieur même de notre mouvement, sans recourir à l’assistance gouvernementale destinée aux institutions financières. Tout cela en tenant compte du fait que les coopératives sont aussi vulnérables que les autres acteurs économiques aux effets de la récession.
En gros, il faut reconnaître que les institutions financières coopératives ont pu résister à la crise et ont su en sortir plus fortes. Pendant que les institutions financières traditionnelles subissaient des retraites, les institutions mutuelles et coopératives maintenaient leur volume de dépôts. Il est devenu clair que la structure collective de propriété est, par sa nature même, bien plus conservatrice en ce qui concerne les investissements ainsi que les politiques de crédit. De manière générale, nous ne faisons que recycler les dépôts en prêts, tout cela en évitant les pratiques les plus risquées. Par conséquent, nous avons pu enregistrer des augmentations de dépôts, des fois des augmentations impressionnantes, tandis que notre volume de prêts maintenait son rythme et même progressait. Par contre, dans les mêmes circonstances, le volume de prêts de certaines des plus importantes institutions financières traditionnelles s’effondrait.
En bref, en ce qui concerne notre performance, nous pouvons en être fiers.
Quel est le deuxième événement créant ce moment clé de notre histoire ? Voilà que le 18 décembre 2009, l’Organisation des Nations unies a déclaré l’année 2012, l’année internationale des coopératives.
Cette déclaration est un signe important de reconnaissance envers la valeur et l’importance de nos contributions au développement social et économique et à la revitalisation des communautés locales et de leur vie communautaire.
Cela nous offre la possibilité d’améliorer notre profil parmi les institutions internationales et parmi les décideurs les plus importants au niveau global et local. D’ailleurs, cela nous offre la possibilité d’améliorer notre profil parmi le grand public, l’enjeu peut-être le plus important. Cela nous accorde la chance d’effacer le problème primordial de notre mouvement – son manque de visibilité sur la scène internationale. Ce problème est une des causes de notre absence dans certaines communautés autour du globe ; de notre profil très bas dans le marché mondial ; de notre incapacité d’avoir un vrai impact sur les priorités sociales et économiques du monde ; sans parler de notre manque d’accès au financement du développement international. Il ne nous arrivera jamais un moment si opportun de réparer la situation. Il nous faudra en profiter au maximum.
Notons que c’est l’ancien secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, M. Kofi Anan, qui a signalé que plus de la moitié de la population mondiale recevait des services offerts d’une manière ou d’une autre par des coopératives. Nous savons que les 300 coopératives les plus importantes du monde ont une valeur d’ensemble de 1,3 mille milliards de dollars, ou en d’autres mots, l’équivalent du PIB d’une économie au 10e rang mondial, celle de l’Espagne, ou un peu moins que le PIB du Canada ! Ces 300 coopératives ne sont que la pointe de l’iceberg, étant donné qu’il y a des milliers de coopératives sur notre planète et que les propriétaires de ces coopératives sont au nombre d’un milliard sans oublier que ces coopératives produisent de l’emploi pour plus de 100 millions de personnes.
Notre problème majeur ? Presque personne n’est au courant de notre existence, de notre importance, de la portée de nos efforts et de leur impact. Il faut modifier cette perception ! D’ailleurs, nous pouvons le faire en profitant de l’Année internationale des coopératives et en travaillant d’un commun accord.
Notons que si l’Année internationale des coopératives consiste uniquement d’une série d’événements disparates, quoique bien intentionnés, autour de notre planète, cela ne nous aidera en rien. Il faut travailler ensemble autour d’un message clair que nous partageons, et rassembler une multitude d’activités locales, régionales, nationales et internationales autour de ce message uni et partagé. Ce message haussera le profil global de notre modèle d’entreprise grâce à un message unique et un objectif partagé.
Dans ce moment clé, il faut avoir une vision large – plus particulièrement en ce qui concerne le développement coopératif. Permettez-moi de vous offrir un exemple de la différence produite par un travail collaboratif.
Pendant les deux dernières années, Coopératives Europe, l’organisme de l’ACI représentant la région européenne, a effectué une étude sur les coopératives européennes qui sont impliquées dans le secteur du développement. Les constats de cette étude ont mené à la publication d’une compilation des travaux des organisations coopératives d’Europe autour du monde – à partir des régions les plus désavantagées d’Europe en passant par les Balkans jusqu’à l’Amérique latine, l’Orient et l’Afrique.
En somme, on dénombrait 311 projets parmi ces organisations. Les 162 projets les plus importants avaient une valeur d’ensemble de 80 millions d’euros – un montant extrêmement important. La présentation de cette compilation à l’Union Européenne a stimulé beaucoup d’intérêt.
Cet intérêt a été suscité pas le fait que les coopératives ont produit ces montants à même leurs propres ressources ou grâce à l’assistance du grand public, comme en Suède, ou avec le gouvernement, comme ici au Canada, aux États-Unis, au Japon et aux pays d’Europe. De plus, les coopératives avaient produit une liste de projets visant le développement complété avec beaucoup de succès.
Le tout sans oublier que dans notre communauté, il y avait un bassin d’experts triés sur le volet ainsi qu’un réseau local de coopératives sur le terrain comme point de liaison. Ces coopératives locales, qui endossent les valeurs et les principes du mouvement, peuvent, avec de l’assistance et du renforcement des capacités, nous aider à maximiser la valeur-ajoutée de ces projets. Vous savez mieux que moi, que l’un des problèmes dans le secteur du développement est de trouver des partenaires efficaces sur le terrain.
Grâce à la publication des données contenues dans cette compilation, Coopératives Europe a reçu une invitation à siéger au comité de travail sur le prochain plan stratégique de cinq ans concernant le développement international. Enfin, nous avons réussi notre entrée chez l’un des plus importants donateurs dans le secteur du développement international. Cela nous permettra d’accéder finalement à des montants plus grands du Fonds de développement européen pour bâtir des coopératives autour du monde et créer des partenariats mondiaux pour le développement utilisant l’expertise présente dans notre communauté, et bien sûr présente au Canada.
Ensemble il nous sera possible de réussir.
C’est en travaillant ensemble que nous pouvons compiler nos données pour lancer une campagne promotionnelle et de marketing visant le monde entier pour démontrer que notre mouvement se trouve parmi les acteurs les plus puissants dans la lutte contre la pauvreté au niveau international.
Dans les semaines à venir, l’ACI convoquera une réunion de ses agences de développement. Nous voulons que nos projets de développement soient visibles au lancement de l’Année internationale des coopératives à New York. Mais ce qui est plus important, nous voulons travailler à établir un profil international et définir notre principal argument de vente – voilà le travail que nous réservons pour vous, les gens de développement : définir votre liste de priorités, votre travail. Ce que l’ACI peut vous offrir est la coordination internationale, le marketing et la promotion auprès des grands fonds de développement publics et privés.
Je voudrais vous citer un exemple. Dans un document décrivant le programme Coop Afrique, ayant un budget de £5 millions, le Département du développement international britannique, le Department for International Development, a dressé une liste des avantages que le modèle d’entreprise coopératif produisait, dont la croissance économique inclusive, l’engagement communautaire, etc.… À mon avis l’impact sera bien plus valable si les coopératives engagées dans le développement collaboraient pour établir cette liste d’un commun accord suivie d’une promotion globale effectuée par l’ACI.
Établir une approche si consistante nous permettra de former des partenariats importants, c’est-à-dire des consortiums efficaces et capables de livrer non seulement des projets – mais plutôt des programmes. Cela nous permettra de formuler des demandes majeures auprès des agences clés.
En guise de conclusion, permettez-moi de signaler un dernier point important. Le conseil global de l’ACI veut absolument que l’année 2012 soit plus qu’une fête agréable autour de nos réussites jusqu’à date. Nous voulons créer un effet durable grâce à l’Année internationale des coopératives pour soutenir la croissance de notre mouvement pendant des décennies.
Pour le moment, on travail sur les préparatifs d’un fonds majeur, le Global Co-operative Development Fund. Avec la collaboration d’une de nos banques coopératives, on établit un modèle d’une coopérative globale et on prépare le financement de lancement. Dans son rôle de fondateur clé, l’ACI est responsable d’assurer que l’agence d’exécution pourra garantir que les fonds touchent le niveau des bénéficiaires réels.[…]
L’ACI aura un rôle de coordination pour l’Année internationale afin d’assurer que le mouvement global en profite pleinement. Je voudrais que notre communauté mondiale de développement utilise le plein potentiel de 2012 pour augmenter notre visibilité dans le développement et accroître nos ambitions et notre rayonnement. Pour ma part, je peux vous assurer que l’ACI est déjà en train de faire tout ce qu’elle peut faire pour soutenir et faciliter ce travail. Pour en faire plus, votre collaboration est essentielle.
C’est en travaillant ensemble que nous ferons de 2012 un moment crucial dans la croissance de notre mouvement. Je vois la possibilité de travailler avec vous avec beaucoup d’enthousiasme.
Je vous remercie de votre attention.
Ce texte est tiré du webzine de SOCODEVI
La grande voix de Pauline Green, qui a réétabli la coopération dans l’économie la plus libérale d’Europe, doit nous inciter à être beaucoup plus affirmatif dans la certitude et la démonstration que la coopération correspond précisément aux challenges et aux besoins d’une société abimée et désorientée. Merci, Pauline.